Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

cybernétique (suite)

Le concept d’antihasard

Dans son ouvrage intitulé Nouveaux Sentiers de la science, sir Arthur S. Eddington (1882-1944), constatant qu’aucune explication de l’univers n’était possible à partir du seul concept de hasard, a postulé l’existence d’un facteur inconnu mais non transcendantal, qu’il a appelé l’antihasard. Cela est particulièrement perceptible en biologie, où l’évidence de nombreuses finalités n’est pas discutable. Pour l’instant, on peut considérer que l’antihasard se confond à peu près avec la finalité. Un système est finalisé lorsqu’il évolue vers un nouvel état antérieurement défini, quelles que soient les péripéties imprévisibles qui accompagnent cette évolution. Cela constitue une lutte contre le déterminisme naïf et la « vis à tergo ».


Mécanismes finalisés

Le plus simple et le plus général est le mécanisme de rétroaction : le système S transforme une énergie entrante E en une action A. Celle-ci est toujours un phénomène complexe qui comprend un grand nombre de variables. Si l’action d’une machine à vapeur est constituée par la mise en rotation d’une poulie et d’un volant, il faut pour la décrire (incomplètement d’ailleurs) connaître des masses, des vitesses, des dimensions, des accélérations, des températures, etc. Pour réguler cette action, il faut choisir une de ces variables, et ce sera la seule régulée, par exemple la puissance. (Le choix de cette variable était erroné dans le régulateur de James Watt.) Il faut installer un détecteur de la grandeur de cette variable. Celui-ci envoie à tout instant à un comparateur l’information de la valeur actuelle de cette variable. Dans le comparateur, elle est confrontée à une grandeur de même nature dite « valeur de consigne », qui indique la puissance souhaitée. Cette comparaison donne comme résultat un signal d’erreur. Un correcteur capable de moduler la valeur de E est informé à son tour de cette erreur. Si la puissance de A est trop élevée, E sera corrigé en moins ; la correction se fera en plus dans le cas contraire. Il s’agit là de la rétroaction négative, ou en constance, qui agit en sens inverse de l’erreur constatée. Lorsque l’effet du signal d’erreur se produit dans le même sens, on est en présence d’une rétroaction positive, ou « run-away ». Elle conduit soit à un emballement du système, soit à son arrêt. On peut rencontrer cette rétroaction positive dans la matière inerte (les supernovae par exemple) ainsi que dans la plupart des processus d’action de la matière vivante. Ici, il s’agit d’une combinaison très efficace qui fait commander l’action par une rétroaction positive, mais celle-ci à son tour se voit contrôlée par une rétroaction négative qui la limite.

La théorie des servomécanismes a bien défini les modalités de détermination et d’utilisation du signal d’erreur.

Un des concepts fondamentaux de la cybernétique est qu’il n’est pas nécessaire de connaître les raisons d’une variation accidentelle, car on la corrigera en intervenant uniquement sur la variable qu’on a choisi de régler.

On peut définir la finalité du système S comme représentée par sa valeur de consigne. Enfin, en faisant varier cette dernière, on modifie le signal d’erreur, ce qui se traduit par une modulation de l’action quelle que soit la puissance de celle-ci (servomécanisme).


Cybernétique et mécanique rationnelle

L’idéal d’efficacité est constitué par un automate séquentiel strictement déterministe. C’est le seul moyen de minimiser la perte d’énergie et de temps (trajectoire libre des vaisseaux spatiaux par exemple). Mais lorsqu’on se trouve en situation de semi-ignorance, il n’est plus possible de s’y fier. Il faut être en mesure de corriger l’imprévisible ; c’est dans cette situation concrète qu’il faut recourir à la cybernétique. Elle agit par corrections successives. Ces corrections se payent en temps (le chemin finalement parcouru est plus long) et aussi en énergie (l’énergie de correction plus l’énergie absorbée par l’augmentation du chemin). Judicieusement utilisés dans une procédure cybernétique, ces deux facteurs (temps et énergie) « payent » l’ignorance dans laquelle on se trouve d’une partie des facteurs d’un phénomène. D’un autre point de vue, seule la cybernétique permet de parvenir à ses fins dans un monde imparfaitement connu.


Les deux grandes branches de la cybernétique

La cybernétique distingue dans les systèmes deux fonctions différentes, leur structure et leur mémoire.

Bien que n’étant pas toujours de nature cybernétique, le concept de mémoire constitue un facteur très important pour l’application de cette méthode. On appelle mémoire d’un système l’ensemble des mécanismes de fixation et de rétention des états simultanés de ses capteurs décrivant un aspect de l’environnement, ainsi que ceux de restitution plus ou moins fidèles des informations ainsi collectées. Cette restitution constitue une évocation de la situation du système au moment de la perception. Les possibilités de combiner des situations non perçues simultanément sont fondamentales en cybernétique.


Recherche d’une finalité

Tout système bouclé est finalisé. C’est une finalisation par action de la structure. Elle est rapidement impuissante à dominer des perturbations trop importantes ou trop complexes.

Recherche d’une finalité par restructuration interne. L’homéostat de Ross Ashby a donné à la cybernétique son originalité et sa véritable dimension. C’est un modèle de l’homéostasie de Walter Bradford Cannon (1871-1945), c’est-à-dire des mécanismes de régulation du milieu intérieur des êtres vivants tels que Claude Bernard* les a décrits en insistant sur le fait que la fixité du milieu intérieur est la condition de la vie libre, c’est-à-dire de l’autonomie. Quelles que soient les circonstances, et même en cas de destruction partielle, l’homéostat d’Ashby a cette propriété de toujours retrouver son équilibre. Cette indépendance à l’égard des circonstances extérieures représente un modèle de neuropsychologie. L’appareil initial est constitué de quatre éléments identiques. Chacun d’eux est un système régulé d’une façon très classique, mais il présente déjà l’originalité suivante : l’énergie ne sert qu’à la fonction de régulation, il n’y a pas d’action au sens propre du terme. On distingue trois sous-ensembles :
— un détecteur, formé d’une aiguille métallique qui porte d’une part une palette plongeant dans un bac d’eau acidulée et polarisée, d’autre part un barreau aimanté qui, sur un axe, est sensible aux champs de quatre enroulements ;
— un comparateur, constitué par un tube triode, la tension de polarisation étant fournie par la grille, et le courant du tube passant par l’enroulement qui agit sur l’aiguille à laquelle le tube est associé, mais aussi dans trois autres enroulements agissant sur les aiguilles des trois autres éléments ;
— des résistances insérées sur ces circuits de rétroaction.