Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

culture (suite)

Cependant, si l’on veut approfondir cette première constatation, on rencontre plusieurs problèmes, dont le moindre n’est pas le paradoxe existant entre l’universalité du fait culturel — et de certains faits culturels particuliers comme la prohibition de l’inceste par exemple — et la multiplicité, l’extrême diversité des cultures à travers l’espace et le temps. Il est toujours difficile d’établir le statut de la multiplicité culturelle : la saisir comme essentielle, c’est se condamner à une attitude empirique, celle du collectionneur et du conservateur de musée, voire de l’amateur d’exotisme. La saisir comme accessoire et secondaire, c’est courir le risque de généralisations trompeuses et tomber dans ce que Claude Lévi-Strauss* appelle l’éthocentrisme : l’impossibilité de concevoir l’originalité radicale des coutumes et des mœurs qui nous sont étrangères. Pour rendre compte de l’identité de certains faits (culte solaire, organisation dualiste de la société, techniques de la poterie, du tissage, etc.) dans des cultures différentes et éloignées dans le temps et dans l’espace, certains anthropologues ont supposé l’existence d’un état culturel minimal, qui serait à la fois le fondement historique de la culture et la base de toutes les évolutions et transformations ultérieures. Cette hypothèse « évolutionniste » a été soutenue par L. W. Morgan*, G. Frazer, E. B. Tylor, E. Westermarck, etc. D’autres auteurs, davantage tournés vers l’histoire, ont étudié les phénomènes de diffusion culturelle à partir d’un foyer déterminé ; certains (William James Perry, sir Grafton Eliott Smith) ont émis l’idée que la culture universelle est tout entière dérivée d’un centre unique. Les travaux sur l’acculturation, c’est-à-dire sur l’ensemble des phénomènes qui résultent du contact de deux civilisations, ont permis de dépasser les conflits théoriques et de mieux comprendre les mécanismes de l’emprunt et de la transmission culturels.

Une seconde série de questions surgit quand on considère non plus la relation des diverses cultures entre elles, mais la spécificité du fait culturel en rapport avec les données naturelles de la vie animale. La question de la nature du fait culturel, de la relation de la culture à son propre fondement n’est pas sans importance. Bien avant qu’existe l’anthropologie scientifique, les philosophes s’interrogeaient sur le rapport de la culture à la nature, le fondant soit sur l’histoire, en supposant un stade préculturel et sauvage du développement, soit sur une disposition particulière de l’être humain. Pour certains savants, comme Malinowski*, la culture a une fonction universelle déterminée par les besoins. Pour d’autres, elle est dérivée d’un événement, comme ce « meurtre primitif du père » que Freud, après Frazer, s’est plu à reconstituer. Dans l’optique structuraliste de Lévi-Strauss, la culture provient d’un découpage de la réalité naturelle selon les lois de l’esprit humain, d’une « projection » de la logique inconsciente. La culture n’est ni dans la nature ni hors de la nature, mais participe d’une structure d’ensemble, dont l’homme, comme sujet et comme repère absolus, est exclu.


Transformations culturelles, transmission et acculturation

La question des transformations culturelles est au centre de l’enquête anthropologique sur le terrain comme de la réflexion théorique. Par « transformations culturelles », il faut entendre aussi bien les changements survenus dans le temps, à l’intérieur d’une culture, que les variations dans l’espace, d’un bout à l’autre d’un territoire ou d’un territoire à l’autre. Expliquer le processus de la transformation culturelle, en admettant l’existence d’un ou de plusieurs types, dont les diverses cultures concrètes seraient autant de variations, c’est répondre à la question que posait la définition minimale de la culture : comment les cultures peuvent-elles être à la fois si diverses et présenter une telle quantité de ressemblances ?

Les partisans de l’évolutionnisme considèrent les transformations et les changements culturels comme les phases d’un immense processus évolutif, qui, à partir « d’éléments minimaux » (Tylor), irait jusqu’à des formes de plus en plus complexes et de plus en plus synthétiques. On peut se demander ce que vaut en anthropologie la distinction que fait l’évolutionnisme entre le primitif et l’évolué, et le modèle biologique de filiation qu’elle suppose ; en effet, comme l’écrit Lévi-Strauss, « jamais une hache n’engendre une hache, et, entre deux outils identiques, il y aura toujours une discontinuité radicale ». Si l’on peut dire, avec Tylor, que l’arc et la flèche forment une espèce, comme la coutume de déformer le crâne des enfants ou celle d’enterrer les vieillards, c’est par une analogie des moins fondées avec les modèles biologiques ; ce qui fait la spécificité d’une coutume ou d’une institution, c’est la place qu’elle occupe dans une société et la signification qu’elle revêt dans la culture globale ; la paille avec laquelle le Français moderne aspire un soda n’a rien à voir avec le « tube à boire » utilisé pour des raisons magiques par certaines tribus. De plus, la thèse évolutionniste soutient qu’il existe des cultures primitives, une « mentalité primitive », selon l’expression de L. Lévy-Bruhl. Or, cette idée est très contestable. D’une part, elle réintroduit un modèle psychologique, établissant un parallèle entre l’évolution de l’humanité dans son ensemble et celle de l’individu, comme le suggère le rapprochement entre la mentalité primitive et la mentalité infantile. D’autre part, l’évolution sociale et culturelle est sinon une illusion, du moins un produit de notre propre culture, dont la particularité est d’être progressive et synthétique, ce qui n’est pas le cas de toutes les cultures, sans que, pour autant, on puisse considérer ces dernières comme des phases et des étapes d’un développement inachevé. « Il n’existe pas de peuples enfants, tous sont adultes », dit Lévi-Strauss.