Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

croissance économique (suite)

C’est surtout à partir de 1945-1950 que la croissance est considérée de nouveau comme le phénomène fondamental. Ce retournement spectaculaire résulte de l’action de diverses circonstances. Tout d’abord, la dépression de 1929 a été longue et sévère. Les pays capitalistes n’en sont véritablement sortis qu’avec la fin de la Seconde Guerre mondiale. Certains ont cherché à savoir comment ces pays avaient connu un blocage de la croissance et par quelles mesures il pouvait être surmonté. Pour d’autres, le régime étant condamné, il convenait de s’interroger sur son successeur (capitalisme contrôlé ou non). Par ailleurs, un régime nouveau, apparu en Russie, a survécu à la guerre. Le développement, amorcé antérieurement à la Première Guerre mondiale, s’y est considérablement accéléré, et l’économie soviétique a accompli des progrès rapides. Aussi, les liaisons entre planification et croissance et l’efficacité d’un semblable mode de développement ont-elles fait l’objet de nombreux examens, au moment où un mode différent (le système capitaliste) semblait donner des signes de défaillance. Enfin, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les problèmes de la pauvreté, de la faim, des inégalités de développement sont apparus en pleine lumière. La nécessité de renié lier à cet état de fait a conduit à s’interroger sur les mécanismes de la croissance ainsi que sur les mesures à prendre pour la déclencher et faire en sorte qu’elle se soutienne elle-même.

Avec l’effort contemporain d’approfondissement, les théories explicatives de la croissance économique sont nombreuses. Cependant, une classification de ces théories est possible en fonction de leur degré d’abstraction.

Les théories les plus abstraites se proposent de mettre en évidence les mécanismes fondamentaux dont dépend la croissance à travers des « modèles », dont les plus célèbres sont ceux du Britannique Roy F. Harrod (né en 1906) et de l’Américain Evsey David Domar (né en 1914). Le modèle d’Harrod (Towards a Dynamic Economy, 1948) s’appuie sur le fait que, pour un pays donné, il existe un taux effectif d’épargne auquel correspond un seul taux de croissance (appelé par Harrod taux justifié ou garanti de croissance) qui puisse être maintenu de manière permanente, régulière et équilibrée. Mais il arrive que des variations se produisent dans les taux d’épargne ou d’investissement, engendrant alors des troubles dans la croissance. Ces déviations par rapport au taux justifié constituent précisément les phases de hausse et de dépression. Harrod a, en outre, précisé que le taux justifié de croissance (donné par l’épargne) était, en fait, inférieur à ce qu’il appelle le taux naturel de croissance, qui est donné par l’accroissement démographique et par le progrès technique. Il en concluait que le rythme de croissance dans les pays développés dépendrait du volume de l’épargne. Avec le modèle de Domar, il ne suffit pas que l’investissement soit égal à l’épargne pour que la croissance soit équilibrée. Il faut encore que l’augmentation du revenu soit égale à celle de la capacité productive et réciproquement. Cette deuxième égalité, ajoutée à l’égalité keynésienne de l’épargne et de l’investissement, constitue pour Domar la condition du plein-emploi. La conséquence est que l’équilibre et le plein-emploi ne sont concevables que dans la croissance. Domar a même été jusqu’à préciser quel était le taux de croissance (en termes réels) qui assurait l’équilibre du plein-emploi.

On a pu reprocher à de telles théories, plus ou moins abstraites, de ne pas permettre de rendre compte de la croissance en tant que phénomène de longue période. La théorie contemporaine estime ces formules d’ajustement trop mécaniques : elles négligent tous les facteurs d’ordre psychologique ou sociologique. Les théories moins abstraites, bien qu’elles paraissent souvent trop descriptives et insuffisamment explicatives, présentent le mérite de montrer que la croissance est un phénomène complexe qui est loin de se réduire à un modèle abstrait. Pour des auteurs comme William Arthur Lewis (né en 1915), Benjamin Higgins (né en 1912) et Walt Whitman Rostow (né en 1916), l’analyse de la croissance ne peut être autre que celle des différents facteurs qui agissent solidairement sur la croissance. Celle-ci se présente alors comme un processus cumulatif, chacun des facteurs s’influençant et se renforçant mutuellement. Tout changement d’un facteur provoque à son tour celui des autres. Ainsi, selon Rostow (The Process of Economic Growth, 1952), la croissance résulterait du jeu de six propensions : au développement des sciences fondamentales, à l’application économique des disciplines scientifiques, à l’acceptation des innovations, à la recherche du progrès matériel, à la consommation et au développement démographique. Cette démarche intellectuelle a conduit Rostow à distinguer, dans The Stages of Economic Growth (1960), cinq étapes dans la croissance (société traditionnelle, société de transition, démarrage, période de mûrissement et enfin société de consommation de masse). C’est le terme même de démarrage ou plutôt de décollage (take-off) qui semble avoir le plus bouleversé l’analyse de la croissance.

Ces théories, plus ou moins fondées sur une analyse historique, ont surtout le mérite de rendre compte, tant pour les pays développés que pour les pays sous-développés, des phénomènes de blocage de la croissance en raison de l’inadaptation d’un facteur par rapport aux conditions propres à déclencher ou soutenir la croissance. Ainsi, pour les pays sous-développés, ces théories expliquent que c’est l’insuffisance des aptitudes intellectuelles et de la formation professionnelle qui, souvent, empêche un emploi judicieux des capitaux mis à leur disposition. À l’inverse, pour les pays développés, il y aurait un certain blocage de la croissance en raison d’un ralentissement de la croissance démographique, entraînant une baisse de l’investissement ou, mieux, une diminution des raisons d’investir. Mais l’analyse contemporaine a souligné que c’était là une tendance qui ne jouait que dans certaines circonstances, celles où, précisément, d’autres facteurs ne contrecarrent pas les conséquences du ralentissement démographique.