Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

croisades (suite)

Déviée dans son itinéraire, altérée dans son esprit par les buts lucratifs et politiques de ses membres, la quatrième croisade met cependant un terme, au moins apparent, au schisme de l’Église grecque à Constantinople. Surtout, à un Empire byzantin allié réticent et incertain, elle substitue un Empire latin qui ne devrait pas ménager son appui aux croisés. De plus, en entraînant la constitution de nouveaux États francs dans le Levant — Empire latin de Constantinople (1204-1261), royaume de Thessalonique (1204-1224), principauté de Morée (1205-1428) et duché d’Athènes (1205-1456) —, en facilitant la constitution d’un empire commercial et insulaire vénitien, elle renforce le dispositif politico-militaire de la chrétienté occidentale à proximité de la Terre sainte en mettant à la disposition des croisés futurs des bases avancées pouvant assurer un déploiement plus aisé de leurs forces maritimes et terrestres.

• Finalement, le détournement de la quatrième croisade ne peut être absous par Innocent III que dans la mesure où cette dernière doit trouver son prolongement naturel dans la réalisation d’une nouvelle croisade, la seule à être purement pontificale. Cette cinquième croisade est prêchée dès 1213 sur l’ordre d’Innocent III, mais elle n’est proclamée qu’en novembre 1215 par le quatrième concile de Latran. Elle est animée d’abord par le roi André II de Hongrie (1205-1235) ; celui-ci ne parvient pas à s’emparer de la forteresse musulmane du mont Thabor, qui, depuis 1210, domine la plaine d’Acre (1217). Des croisés frisons, rhénans, puis italiens, français, anglais et espagnols sous la direction du roi de Jérusalem, Jean de Brienne (1210-1225), font alors le siège de Damiette, que le sultan Al-Malik al-Kāmil (1218-1238) tente de faire lever en proposant de restituer aux Latins le territoire de l’ancien royaume de Jérusalem à l’exclusion de la Transjordanie. Préférant occuper l’Égypte, le légat Pelage s’empare de Damiette le 5 novembre 1219 et entraîne le roi Jean de Brienne dans une expédition en direction du Caire, qui s’achève par un désastre et oblige les croisés à restituer le port égyptien.

• Aussi, le pape Honorius III fait-il prêcher une sixième croisade pour obliger Frédéric II à accomplir le vœu de croisade qu’il a formulé dès 1215. Dans ce dessein, il lui fait même épouser en 1225 l’héritière du royaume de Jérusalem, Isabelle, fille du roi Jean de Brienne. Mais, ne cessant de repousser son départ sous des prétextes divers depuis 1220, ce prince est finalement excommunié, et ses États sont frappés d’interdit par le pape Grégoire IX en 1227.

« Vivant exemple du mépris de la crainte de Dieu », Frédéric II n’hésite pas alors, selon l’expression de Paul Alphandéry et d’Alphonse Dupront, à « placer l’accomplissement du vœu de croisade au-delà de l’excommunication pontificale ». Le 28 juin 1228, il s’embarque et, avec une habileté extrême, se fait céder les Lieux saints par le sultan d’Égypte Al-Malik al-Kāmil à titre personnel et sans tenir compte des droits de l’Église. Par le traité de Jaffa du 11 février 1229, qui institue entre les deux souverains une trêve de dix ans, il acquiert en effet Jérusalem, préalablement démilitarisée, Bethléem, Nazareth ainsi que les routes et les hameaux permettant d’accéder à ces villes depuis Saint-Jean-d’Acre, c’est-à-dire Ramla et Lydda au sud, Toron (auj. Tibnīn) au nord et même l’arrière-pays de Sidon, par où est assurée la liaison territoriale entre le royaume de Jérusalem et le comté de Tripoli.

Bien que cet accord entre un excommunié et un infidèle revête un caractère scandaleux aux yeux du pape, dont le représentant en Orient, le patriarche de Jérusalem, refuse d’imposer à Frédéric II la couronne royale que celui-ci ceint le 17 mars 1229, le « menu peuple » chrétien retient seulement le fait que le libérateur du tombeau du Christ, après quarante-deux ans de captivité, est l’empereur Frédéric II, sur lequel les prisonniers chrétiens que sa politique a délivrés croient déceler la marque de Dieu. Le paradoxe est à son comble.

Rapidement défaite à la faveur des guerres civiles incessantes qui opposent les barons syriens, et notamment Jean d’Ibelin (v. 1200-1266), au maréchal Riccardo Filangieri, représentant personnel de Frédéric II au Levant, l’œuvre de cet empereur doit être reprise par de nouveaux croisés : Thibaut IV de Champagne (1201-1253) et le duc de Bourgogne, Hugues IV (1213-1272), qui, en 1239, échouent devant Ascalon ; Richard de Cornouailles (1209-1272), qui obtient du sultan Ṣalāḥ al- Dīn Yūsuf (Saladin II [1229-1261]) la signature, en 1241, d’un nouveau traité qui élargit les clauses de celui de 1229, puisqu’il reconnaît aux chrétiens la possession de la Galilée orientale, restituant ainsi au royaume de Jérusalem les frontières de 1187.

Mais, en substituant à l’alliance germano-égyptienne une alliance franco-damasquine, les barons guelfes incitent le sultan Saladin II à s’allier aux Khawārezmiens (ou Khārezmiens), qui s’emparent de Jérusalem en 1244, puis battent l’armée franco-damasquine à Gaza en octobre 1244.

• Pour tenter de réparer ce double désastre, le pape Innocent IV fait décider par le concile de Lyon de 1245 la prédication d’une septième croisade. Ayant fait le vœu de se croiser dès 1244, le roi de France, Louis IX, quitte Paris le 12 juin 1248 ; il gagne Aigues-Mortes, puis aborde à Limassol en septembre suivant, d’où il repart pour l’Égypte en mai 1249 afin de frapper au cœur la puissance musulmane maîtresse des Lieux saints. S’étant emparé sans difficulté de Damiette le 6 juin 1249, il est vaincu à la Mansourah du fait de la trop grande imprudence de son frère Robert d’Artois (1216-1250). Contraint de se retirer sur Damiette au lieu de marcher sur Le Caire, il est finalement fait prisonnier le 6 avril 1250 ; il ne retrouve la liberté qu’en échange de la ville de Damiette et n’obtient celle des autres croisés que contre versement d’une rançon de 400 000 besants au chef des Mamelouks, qui, entre-temps, avait écarté à son profit les Ayyūbides du pouvoir. Il séjourna en Terre sainte quatre ans, du 13 mai 1250 au 24 avril 1254, et envoie ses frères en Europe susciter une nouvelle croisade. Leur appel ne peut être entendu par les Hohenstaufen, contre lesquels Innocent IV prêche justement la croisade ; quant au roi d’Angleterre, Henri III, s’il accepte de prendre la croix, il se hâte d’obtenir du pape la permission de suspendre son « passage ». Seule la troupe des « pastoureaux » s’étant portée au secours du roi de France, celui-ci doit se contenter de pratiquer sur place une politique réaliste. Apaisant les querelles intestines des princes des États francs, il met en état de défense leurs dernières places fortes et négocie, à l’imitation de Frédéric II, d’utiles accords diplomatiques avec les Mamelouks d’Égypte et avec le grand khān des Mongols.