Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

croisades (suite)

Animée par Nūr al-Dīn Maḥmūd (1118-1174), puis par Saladin (en ar. Ṣalāḥ al- Dīn Yūsuf [1138-1193]), la contre-offensive musulmane se meut en djihād et aboutit finalement à la défaite des croisés à Ḥaṭṭīn en juillet 1187 et à la capitulation de Jérusalem le 2 octobre suivant. De la domination franque en Palestine seules subsistent alors trois têtes de pont isolées : Tyr, Tripoli et Antioche.

• À la nouvelle de ces désastres parvenue à Rome dès l’été 1187, l’Occident s’émeut. Sur l’ordre du pape Grégoire VIII, une troisième croisade est prêchée.

Répondant à cet appel, Henri II Plantagenêt, Philippe Auguste et l’empereur Frédéric Ier Barberousse se croisent dès 1188. Pour assurer le financement de leur entreprise, les deux premiers de ces souverains décident de lever une dîme dite « saladine ». Parti en mai 1189, Frédéric Ier Barberousse emprunte l’itinéraire danubien. Il surmonte l’hostilité des populations balkaniques, brise celle des troupes byzantines en s’emparant par la force de Philippopolis et d’Andrinople, et contraint Isaac II Ange (v. 1155-1204) à assurer son passage en Asie Mineure, où il triomphe des Turcs à Iconium (auj. Konya) en mai 1190, peu avant de se noyer en Cilicie en traversant le Sélef (auj. Göksu) le 10 juin 1190. Décapitée, l’armée germanique se disperse, seuls quelques centaines de chevaliers, commandés par Frédéric de Souabe, venant finalement renforcer les troupes avec lesquelles le roi de Jérusalem, Gui de Lusignan (v. 1129-1194), a entrepris en août 1189 le siège de Saint-Jean-d’Acre, occupée par Saladin en juillet 1187.

Ces forces sont tardivement rejointes en avril et en juin 1191 par les armées de Philippe II Auguste et par celles de Richard Cœur de Lion. Les deux souverains ont pourtant quitté Vézelay dès juillet 1190 et emprunté à partir de Gênes et de Marseille la voie maritime réputée plus rapide, mais ils se sont attardés six mois en Sicile avant de reprendre la mer à Messine au printemps 1191 ; de plus, jeté sur les côtes de Chypre et fort mal accueilli par le despote de l’île, Isaac Comnène, Richard Cœur de Lion a dû conquérir celle-ci au passage avant d’en donner finalement la royauté à Gui de Lusignan en 1192. Disposant désormais d’une base sûre au large des côtes du Levant, renforcés par les forces françaises et anglaises, les croisés font capituler Acre le 12 juillet 1191. Philippe Auguste ayant regagné la France, Richard Cœur de Lion assume seul la direction de la croisade.

Vainqueur de Saladin à Arsouf et à Jaffa le 7 septembre 1191 et les 1er et 5 août 1192, il reconquiert la totalité du littoral d’Acre jusqu’à Ascalon, mais ne peut s’écarter de ce dernier pour reprendre Jérusalem en raison des menaces qui pèsent sur ses communications. Aussi signe-t-il avec Saladin, le 3 septembre 1192, une trêve de trois ans qui assure aux Francs la possession de la côte de Tyr à Jaffa ainsi que la liberté du pèlerinage à Jérusalem en échange de facilités analogues reconnues par les chrétiens aux musulmans se rendant à La Mecque.

Ainsi, la troisième croisade a assuré, dans le cadre territorial nouveau du second royaume de Jérusalem, ou « royaume d’Acre », la survie pour près d’un siècle des États latins du Levant.


Les croisades du xiiie s.

Malgré des résultats très positifs, la troisième croisade n’a pas réussi à délivrer les Lieux saints. Aussi ne faut-il pas s’étonner si la chrétienté occidentale multiplie au xiiie s. les expéditions militaires de ce type. L’expérience ayant prouvé que la réussite ne peut être le fruit de l’improvisation soutenue par la foi, ces dernières prennent un aspect national, leur organisation dépendant désormais des souverains, qui disposent des moyens de les faire aboutir et qui ont tendance à en subordonner la finalité spirituelle à la réalisation de leurs ambitions politiques ou économiques, ainsi que le démontrent amplement les déviations qu’ils leur font désormais subir au cours du xiiie s. en les détournant vers Constantinople, l’Égypte ou la Tunisie.

Bien qu’elle ait abouti à la reprise de Beyrouth et à celle de Sidon, et, par contrecoup, au rétablissement des communications terrestres entre Acre et Tripoli en 1197, la croisade allemande, organisée à partir de 1195 par l’empereur Henri VI, est surtout l’occasion, pour ce dernier, de réaliser les ambitions méditerranéennes de ses ancêtres maternels, les rois normands de Sicile, en faisant reconnaître à cette occasion sa suzeraineté par les princes d’Antioche et de Petite Arménie, auxquels il octroie en échange des couronnes royales. Brutalement interrompue par la mort du souverain le 28 septembre 1197, cette croisade apparaît comme une expédition militaire d’un type nouveau, dont la finalité politique réelle prend les apparences d’un pèlerinage de la croix.

• Ne trompant guère la masse des fidèles, qui traite désormais en Occident les croisés comme des « soldats vaincus », cette déviation de l’idée de croisade apparaît encore plus nettement lorsque les chefs de la quatrième croisade acceptent que cette dernière soit détournée vers Constantinople à la demande des Vénitiens. Voulue par le pape Innocent III (1198-1216), désireux de rendre aux expéditions en Terre sainte leur caractère primitif de pèlerinage militaire international, prêchée en France par le légat Pierre de Capoue (v. 1160-1242) et par Foulques de Neuilly († 1202), transportée par les Vénitiens pour le prix de 85 000 marcs, que les croisés se sont engagés à leur verser en vertu du traité de nolis signé en leur nom par Geoffroi de Villehardouin († 1229) et par ses compagnons en avril 1201, conduite par Thibaut de Champagne, puis, après sa mort en mai 1201, par Boniface de Montferrat († 1207), destinée primitivement à atteindre la puissance musulmane en Terre sainte en son cœur égyptien de Babylone (Le Caire), la quatrième croisade aboutit paradoxalement à la reprise de la ville de Zadar (en ital. Zara) aux dépens du roi de Hongrie et au bénéfice des Vénitiens en novembre 1202, ainsi qu’à la double conquête de Constantinople, la première au profit de l’empereur détrôné Isaac II Ange le 17 juillet 1203, la seconde au profit des croisés et des Vénitiens le 13 avril 1204. En compensation des 35 000 marcs non versés par leurs clients, les Vénitiens, pourtant déjà rétribués par Zadar, deviennent alors seigneurs du quart et demi de la Romanie, c’est-à-dire de l’Empire latin de Constantinople, fondé après la mise à sac de cette ville et dont l’empereur, aussitôt élu le 9 mai 1204, est le comte de Flandre Baudouin IX.