Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

criminologie (suite)

Ainsi conçue, la criminologie se distingue du droit pénal, qui définit les infractions et en tire les conséquences juridiques. Toutefois, les deux disciplines sont en interdépendance nécessaire. La criminologie puise en effet dans le droit pénal la définition de l’infraction et les sujets d’observation. Quant au droit pénal, il ne peut ignorer les recherches relatives au traitement des délinquants et à l’individualisation des sanctions. Aussi, pénalistes et criminologues peuvent se rencontrer lorsqu’il s’agit de politique criminelle dont l’objet est de permettre la meilleure formulation des règles positives à la lumière des données de la science criminologique.


Histoire de la criminologie

De tout temps, les philosophes se sont préoccupés du problème de la délinquance et de sa prévention (Sophocle, Platon, Montesquieu). Mais les études scientifiques de la délinquance ne se sont développées qu’avec l’école positiviste italienne. La première étude scientifique du criminel peut être attribuée à Giambattista Della Porta (1535-1615) qui développe les rapports existant entre les diverses parties de la face et les différents caractères individuels dans son traité De humana physiognomonia, libri IV (1601). Ultérieurement, Johann Caspar Lavater (1741-1801) montrera les ressemblances des têtes d’individus aux têtes de divers animaux et se consacrera à l’étude du crâne, ou phrénologie. Les maîtres de cette discipline sont incontestablement le médecin viennois Franz Josef Gall (1758-1828) et le médecin et anthropologue français Paul Broca (1824-1880), qui fonde en 1859 la Société d’anthropologie.

Dans le même temps, Philippe Pinel (1745-1826), Georges Cabanis (1757-1818) et Jean Étienne Dominique Esquirol (1772-1840) envisagent les rapports de la maladie mentale et du crime : le criminel doit être considéré comme un malade, ce qui implique la possibilité d’un traitement. Une approche biologique est même tentée par Prosper Lucas (1805-1885), qui met l’accent sur l’importance de l’hérédité et de l’atavisme.

D’autres criminologues envisagent le phénomène criminel dans son ensemble. Le Belge Adolphe Quételet (1796-1874) souligne la constance du crime et formule la loi thermique de la criminalité, également posée par le Français André Michel Guerry (1802-1866). À la même époque, des études recherchent l’incidence de la misère et des conditions économiques sur la criminalité (Édouard Ducpétiaux [1804-1868], en Belgique, Dupuy et Legayt en France, Berg en Allemagne).

Cesare Lombroso* (1835-1909), qui professe la médecine légale à l’université de Turin, consigne ses observations dans son Homme criminel (1876). Bien qu’il soit un anthropologue dans la lignée de Gall et de Broca, il souligne les rapports de l’épilepsie et de la délinquance, et il s’intéresse aux aspects sociologiques du phénomène criminel. L’école positiviste italienne conservera l’essentiel de l’enseignement de Lombroso. Raffaele Garofalo (1851-1934) crée le terme de criminologie. Quant à Enrico Ferri, on l’a dit, il systématise la classification des délinquants, conduit des recherches notamment sur l’évolution générale de la criminalité (lois de saturation et de sursaturation criminelles) et l’influence de la civilisation sur la criminalité. Pour lui, le combat contre la criminalité doit être avant tout préventif.

É. Durkheim, Alexandre Lacassagne (1843-1924) et Léonce Manouvrier (1850-1927) mettent au premier plan l’importance du milieu social. Gabriel de Tarde (1843-1904) recherche les causes de l’action du milieu social de l’individu, et Nicolas Joly (1812-1885) dresse un tableau de la France criminelle et de l’enfance coupable.

Le mouvement de sociologie criminelle garde toute sa vitalité et se caractérise même par une évolution vers la criminologie sociologique. La sociologie criminelle, influencée par la psychologie sociale, est particulièrement florissante en Amérique du Nord. Aux États-Unis, Sutherland et Thorsten Sellin se sont livrés à des études sur le rôle des conflits de culture. Au Canada, D. Szabo s’est attaché à l’étude des phénomènes d’inadaptation économique et culturelle. L’étude de la sociologie criminelle est fondamentale en criminologie.

Des recherches d’ordre biologique ont été également entreprises. Après la critique adressée à Lombroso par l’école psychiatrique française (Valentin Magnan [1835-1916], Laurent et Legrain), Ernest Dupré (1862-1921) devait développer une théorie de la perversité constitutionnelle en insistant sur le caractère criminogène des perversions sexuelles, de l’alcoolisme et des toxicomanies. Cette tendance de la criminologie a été illustrée par les travaux de L. Vervaeck en Belgique, de Nicola Pende (né en 1880) et de Benigno Di Tullio en Italie.

Les recherches effectuées ont conduit à l’avènement du concept de personnalité psychopathique sous l’influence de la criminologie psychanalytique. Sans nier l’existence de caractères biologiques ou psychiatriques héréditaires, qui conservent pour certains criminologues (Olof Kinberg [1874-1960] en Suède, Ernest Albert Hooton [1887-1954] aux États-Unis) une importance essentielle, la criminologie moderne se préoccupe du développement de la mentalité criminelle ou de la personnalité criminelle, c’est-à-dire du processus qui conduit un individu dans la voie de la délinquance.

Tel est le sens des études entreprises aux États-Unis par l’école américaine de psychosociologie (Sutherland, Sellin). Mais on ne saurait négliger l’apport de la psychanalyse, et notamment des études de Freud*, d’Adler*, de Friedlander et de Daniel Lagache. Ces dernières ont conduit de nombreux criminologues à étudier le développement psychique propre de l’individu et à rechercher comment peut se former une mentalité délinquante (Agostino Gemelli [1878-1959] en Italie, Étienne De Greeff [1898-1961] en Belgique, Mailloux au Canada et les docteurs Georges Heuyer, Louis Marie Hesnard et Roger Mucchielli en France).