Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Crète (suite)

Les Mycéniens n’utilisèrent pas que des tombes à inhumation : ils ensevelissaient aussi leurs rois dans des sépultures d’un autre type, les grandes tombes à coupoles en encorbellement (tombes à tholos), précédées d’une allée d’accès et parfois munies d’entrées monumentales (tombeau dit « trésor d’Atrée » à Mycènes). C’est de l’une de ces tombes à tholos, située à Vafió (Vaphio), près de Sparte, que proviennent deux célèbres gobelets d’or, hauts d’une dizaine de centimètres. L’un d’eux porte une chasse au taureau sauvage ; le second présente une scène champêtre, le labour. Autant l’artiste a imprimé de mouvement à la première de ces coupes, autant se dégage de la seconde une douceur paisible, poétique. L’inspiration, la technique, l’esthétique évoquent l’art minoen. Nul doute que nous ne soyons là en présence de chefs-d’œuvre de l’orfèvrerie crétoise.

La même animation se retrouve dans le décor de plusieurs lames de bronze incrustées d’or et de nielle. L’une met en scène des guerriers aux prises avec des lions ; une autre montre l’affrontement de fauves et d’oiseaux dans un décor aquatique, peut-être les marais du Nil.


L’émancipation du monde mycénien

Les dernières décennies du xve s. av. J.-C. marquent la fin de l’influence minoenne sur le continent grec. Il semble que, vers 1400, les Mycéniens détruisirent les palais crétois, puis s’installèrent dans les ruines de Knossós ; dès lors, leur exceptionnel dynamisme les conduira à se répandre dans toute la Méditerranée orientale. Puissants sur les plans économique et militaire, ils s’émancipèrent aussi dans le domaine artistique. Durant deux siècles et demi, période dont la tradition grecque a gardé le souvenir, la Grèce vécut donc sous l’emprise mycénienne.

Les vestiges les plus impressionnants de cette époque sont les citadelles fortifiées de Mycènes elle-même et de Tirynthe. Protégés par des murs aux blocs énormes, « cyclopéens », se dressaient les palais royaux, dont subsistent les ruines. Leur pièce principale (le mégaron), de plan rectangulaire, précédée d’un ou deux vestibules, constitue un ensemble rigide, bien éloigné de la fantaisie crétoise. Ce sera l’ancêtre direct du temple grec. Seule réminiscence crétoise, des fresques en orneront les parois. La fameuse « porte des lions », qui est surmontée d’un médaillon monumental portant deux fauves affrontés de part et d’autre d’une colonne, barrait l’accès à la ville de Mycènes.

Mais l’expansion mycénienne ne s’arrêta pas aux limites de l’Argolide. À Pylos, sur la côte occidentale du Péloponnèse, une mission américaine a dégagé un palais analogue à ceux de Tirynthe et de Mycènes, et à Gla, au nord de la Béotie. On peut visiter encore une enceinte longue de plusieurs kilomètres protégeant un autre palais. La Béotie, avec Thèbes et Orchomène, l’Attique et Athènes, les Cyclades, la Crète, l’Asie Mineure, les côtes orientales de la Méditerranée sont autant de régions devenues domaine mycénien ou, du moins, qui furent touchées par l’influence mycénienne.

En 1953, on est parvenu à déchiffrer les tablettes inscrites qu’on avait mises au jour à Knossós, à Pylos, à Mycènes et à Thèbes. De longs documents administratifs, primitivement destinés à être détruits, nous informent sur de nombreux aspects de la vie économique, militaire ou sociale des Mycéniens.


L’art : adaptation et création

D’imitateurs, les Mycéniens sont devenus créateurs. Dans la céramique, ils commencèrent par s’inspirer des décors chers aux Minoens (nautiles, poissons, poulpes, végétaux) pour réduire peu à peu ces motifs à des thèmes linéaires ou, au contraire, se tourner vers le monde humain et animal : chars, chevaux, cerfs, guerriers font leur apparition sur des vases. Ils innovèrent en renonçant au vernis étendu sur de larges surfaces. Ainsi, le trait, délié et vivant, appliqué à la peinture rouge-brun, se dégage admirablement sur le fond clair de l’argile. Hommes et animaux, objets et plantes sont représentés selon une stylisation en vérité débordante de vie.

Les formes se multiplient : vases, coupes, mais aussi grands sarcophages en baignoire, dont les flancs servent de support aux thèmes les plus divers. La frise apparaît, importée peut-être d’Orient, notamment sur un vase figurant une colonne de guerriers en marche, saisie sur le vif, qui allie le naturalisme à des traits presque caricaturaux (musée archéologique d’Athènes).

Le talent créateur des Mycéniens franchit rapidement les limites de l’Égée. À Chypre, puis en Orient (Syrie, Phénicie, Égypte) apparaissent les produits d’un art « composite », dérivé des traditions locales et enrichi de l’apport original et vigoureux du nouveau venu. Sans doute amorcée par des exportations multiples, l’influence mycénienne se traduit par des transformations parfois très nettes dans les arts décoratifs. Ainsi, les ivoires syro-phéniciens portent la marque de l’esthétique égéenne, non sans que, réciproquement, l’iconographie mycénienne ait subi une sorte de choc en retour : sphinx et griffons, divinités nues sont quelques-uns des thèmes propres à l’Orient, qui apparaîtront en Occident. Dans cet amalgame, il est difficile, sinon impossible de faire la part du mycénien dans l’oriental, ou de l’orientalisant en Grèce.

À la fin du xiiie s. av. J.-C., une crise secoue le monde mycénien et la Méditerranée jusqu’à l’Égypte. Venus sans doute du nord, les Doriens bousculent les Achéens et les poussent à prendre la mer. Ces Doriens ne sont pas exactement des étrangers ; ils parlent un dialecte grec. Mais leur niveau de civilisation est inférieur à celui des Mycéniens et ils ne semblent pas avoir apporté un style caractéristique. Les palais sont détruits, l’art et l’écriture disparaissent. Seule la céramique subsiste, en une phase submycénienne dont la dégénérescence s’accentue. Trois siècles « sombres » succèdent aux périodes brillantes de l’époque créto-mycénienne. Puis soudain, dans certaines régions non touchées par les envahisseurs, comme l’Attique, naît une civilisation nouvelle, la civilisation géométrique. Son art sera la première manifestation d’un esprit nouveau, hellénique et non plus préhellénique.

P. B. D.

➙ Achéens / Bronze (âge du) / Grèce / Mycènes.