Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Crète (suite)

Au xviiie s. av. J.-C., de grandes catastrophes détruisent tout ce qui a été construit. Mais les Crétois bâtissent de nouveaux palais, plus lumineux et plus confortables (des circuits d’eaux de pluie desservent les salles de bains ainsi que les cabinets). Tout à fait spectaculaire est — à Knossós surtout — le développement de l’art de la fresque ou du léger relief peint. L’intérêt de ces œuvres n’est pas d’ailleurs purement artistique. Elles nous instruisent sur certains traits originaux de la civilisation minoenne : la femme, par exemple, si souvent représentée (la « Parisienne »), y tenait une place tout à fait particulière ; on voit des dames aux seins nus qui assistent, au milieu des hommes, à quelque cérémonie ; on assiste à l’épiphanie de la « Grande Déesse », aux jeux sacrés, où les lutteurs et les acrobates affrontaient les taureaux.

L’ère minoenne est une période de bonheur parfait, semble-t-il. La grande île, étendant son pouvoir, a fait naître en Égée la civilisation ; dans le Péloponnèse, les Achéens, peuple neuf et entreprenant, sont installés depuis peu ; bientôt ils supplanteront leurs maîtres crétois et leur disputeront les marchés de l’Égée, avant de s’installer dans l’île elle-même au xve s.

Un esprit nouveau souffle désormais. Le cheval et le char de guerre sont introduits ; les armes de parade cèdent le pas à des équipements plus efficaces. Les Achéens, nombreux dans la région de Knossós, organisent un empire autour du palais, que des routes relient au reste du pays ; le terroir tout entier est organisé pour servir ce palais. Les archives témoignent de cet essor depuis que l’on sait les déchiffrer (si l’écriture du type « minoen linéaire B » est syllabique et originale, la langue qu’elle transcrit n’est autre que le grec).

Cependant, vers 1375 av. J.-C., une nouvelle série de catastrophes (tremblements de terre et incendies) fait à nouveau s’écrouler le palais ; l’île n’est plus, dès lors, qu’une médiocre province du monde mycénien, que, vers la fin du IIe millénaire, viennent coloniser les Doriens.


La Crète aux époques archaïque et classique (viie-ive s.)

Durant toute cette période, la Crète reste isolée du monde grec, dont elle n’est plus qu’une lointaine province ; on connaît donc bien mal son histoire. Une foule de cités se sont partagé le territoire de l’île, ce qui est l’occasion de conflits incessants, chacune jouissant d’un régime politique équilibré qui lui garantit ce bien précieux de l’immobilisme qui fit l’admiration de Platon et d’Aristote.


Organisation des cités

La vie communautaire, qui forge les États forts, est privilégiée (comme à Sparte) par rapport à la vie familiale : tous les citoyens de statut plein (les gens indignes en sont écartés) sont groupés en hétairies, prennent leur repas en commun à la maison des hommes (l’andreion) : dans ces syssitia se créent des liens qui uniront à jamais les hétaires. Comme la phratrie athénienne, l’hétairie est garante de l’état civil : c’est à ses compagnons que l’on présente le fils à sa naissance ; on les fait témoins d’une adoption. Les hétaires, fiers d’être les descendants des conquérants doriens, perpétuent les rites de leur société guerrière : ils ne s’occupent que de maniement d’armes, d’entraînement sportif au stade (le dromos). Aussi, l’État les nourrit-il ; une taxe est levée à leur profit sur le reste de la population ; le revenu de terres concédées par la cité est en partie affecté à leur entretien. Minoritaires parmi les habitants de la cité, les hétaires sont pourtant les seuls à avoir les droits politiques : ils se réunissent à l’agora pour former l’assemblée qui vote les lois sur proposition des cosmes (du gr. kosmos, magistrat suprême issu des plus grandes familles) et du conseil formé d’anciens cosmes.

À côté des hétaires, on trouve les apetairoi (« gens qui ne font pas partie des hétairies »), d’un statut inférieur. Parmi eux on compte des étrangers, domiciliés dans une cité ou, parfois, cantonnés dans tel ou tel quartier (à Gortyne, celui du temple de Lêtô [Latone]). Cette catégorie comprend également des affranchis, d’anciens serfs, les enfants mâles issus de l’union d’un citoyen et d’une esclave, les anciens hétaires frappés d’indignité. Sans aucun droit politique, tous ces gens sont libres dans les cités, mais sans en faire partie ; ils sont souvent mal défendus par les lois et méprisés.

Esclaves sont les serfs, descendants sans doute des vieux Crétois paysans de l’époque minoenne ; ils habitent comme leurs ancêtres les campagnes et cultivent pour l’aristocratie dorienne la terre que leurs ancêtres cultivaient pour les rois. Les Doriens s’étant, à leur arrivée, partagé le sol, le serf reste attaché au klaros (forme dorienne pour klêros), dont il est le tenancier. Son statut n’est pas trop pesant, semble-t-il : s’il doit vivre sous un régime de tutelle juridique, payer des redevances à son maître, qui vit à la ville, il peut conserver une certaine fortune, avoir en propre des moutons ou du gros bétail. Aussi, les serfs restent-ils fidèles à leurs maîtres, à la différence des hilotes de Sparte. Parfois même, ils acquièrent une liberté complète si la famille de leur maître s’éteint entièrement et s’il n’y a personne pour revendiquer le klaros qu’ils cultivent.

Inférieurs aux serfs sont les « esclaves que l’on achète », prisonniers de guerre pour la plupart ou victimes des pirates. Contrairement à celui du serf, leur mariage n’est pas reconnu par la loi ; alors que le serf reste sur la terre de ses ancêtres, l’esclave peut être vendu, séparé des siens au moment d’un partage entre héritiers... Pourtant, la législation ne lui fait pas un sort trop effroyable : il possède un pécule qui lui sert à payer les amendes qu’on lui inflige et qui se gonfle éventuellement de celles qu’un adversaire peut lui devoir ; en outre, il lui est reconnu le droit de prêter serment en justice (en Crète, le serment peut avoir valeur de preuve). L’affranchissement n’est pas rare.