Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

courtoise (littérature) (suite)

La tendance à l’allégorie se manifeste dès 1230 dans la littérature courtoise avec le Roman des ailes de Raoul de Houdenc (Largesse et Courtoisie sont les deux ailes de Prouesse) et surtout dans le Roman de la Rose, où l’on voit l’Amant assister dans le verger merveilleux aux évolutions de gracieuses figures : tel est le sujet de la première partie, achevée vers 1235 par Guillaume de Lorris (v. 1200-1210 - apr. 1240). Jean de Meung (v. 1240 - v. 1305) donne vers 1280 un tout autre sens à la seconde partie, où il oublie le prétexte courtois pour prôner un naturalisme en partie hérité du grand penseur Alain de Lille († 1203), qui vécut à la fin du xiie s.

La courtoisie survit pourtant dans toute une littérature romanesque qui procède de Chrétien de Troyes, de Marie de France et des Tristans. Elle se manifeste dans ce que l’on a désormais tendance à appeler l’amour arthurien, qui est la forme prise par l’amour chevaleresque dans le roman breton. Une même « érotique » se retrouve dans des romans non arthuriens, comme le Partonopeus, anonyme (v. 1180), et le Florimont d’Aymon de Varennes : dans Partonopeus, le héros aime une fée qui perd ses pouvoirs magiques dès qu’il a pu voir son visage ; dans Florimont, le héros doit se désenchanter de l’amour qu’il a éprouvé pour une autre fée avant de connaître le bonheur avec une mortelle. La fine amors est ramenée dans le monde des hommes et implique la conquête héroïque de la fiancée. Celle-ci apporte souvent la fortune et la puissance au héros : dénouement qui satisfait un public de bachelers, ou jeunes chevaliers sans fiefs, à l’affût du mariage qui leur conférerait un domaine. Ce sont d’ailleurs ces mêmes bachelers qui courtisent la dame de leur seigneur et qui se complaisent donc aux mythes courtois traditionnels.

Mythes que l’on voit se perpétuer dans certaines œuvres romanesques du xiiie s. : le Lai de l’ombre de Jean Renart (v. 1221), la Châtelaine de Vergi (v. 1250), le Roman du châtelain de Coucy un peu plus tard. Le Lai de l’ombre est un marivaudage au sens propre : une dame s’y défend contre un séducteur pris au jeu et finit par lui céder. La Châtelaine de Vergi développe avec grâce un certain nombre de poncifs, comme celui du secret amoureux et celui de la mort par amour : la châtelaine meurt d’avoir appris l’indiscrétion de son amant, qui se tue sur le corps de son amie. Le Roman du châtelain de Coucy est une version de la légende du cœur mangé. Il est beaucoup d’autres œuvres authentiquement courtoises au xiiie s. La courtoisie n’est pas morte, mais change seulement de nature : elle se nuance d’implications psychologiques subtiles ou se laisse contaminer par une esthétique de la cruauté qui envahit la littérature dès 1220-1230 (âge d’or du roman arthurien en prose) et surtout après 1250 (triomphe du roman dit « réaliste » avec les œuvres de Philippe de Beaumanoir).

La littérature courtoise est une réalité spécifiquement médiévale. Elle n’a rien de commun avec une littérature de la galanterie comme il en existera une aux xvie et xviie s. Elle prend en effet l’amour au sérieux, comme une réalité essentielle. Elle y voit la source de toute valeur, traduisant par cette foi son platonisme profond. Les auteurs et les publics du Moyen Âge ont plus ou moins confusément senti combien un tel idéal est contraire à l’idéologie dominante qui cultivait le renoncement monastique et le mépris du monde. La courtoisie n’est tolérée par l’Église que dans la mesure où elle est liée à la jovenz, c’est-à-dire au second âge de l’homme, celui des passions ardentes et de la générosité exubérante. Le troubadour vieilli se faisait moine. L’amor de lonh peut apparaître comme le constat d’une contradiction insurmontable : la fine amors n’est pas compatible avec la société féodale de l’Occident chrétien ; il faut la chercher dans un ailleurs et dans un futur qui exigent une quête passablement désabusée ; Jaufré Rudel sait très bien que toute retrouvance est suivie d’un exil. Son pessimisme est comparable à celui de Béroul. Inversement, beaucoup d’autres poètes, apparemment nostalgiques, comme Marcabru, espèrent encore marier la proeza courtoise et la caritaz chrétienne : une même espérance anime toute l’œuvre de Chrétien.

Aucun auteur médiéval français n’eut l’audace des minnesänger germaniques. Ceux-ci firent de la Minne, équivalent allemand de la fine amor, un absolu comparable à celui des mystères religieux. Tel est le sens du Tristan de Gottfried. Troubadours, trouvères et romanciers d’oc et d’oïl ont préféré les demi-teintes et les ambiguïtés d’une « érotique » dont les énigmes mêmes sont chargées de poésie.

J.-C. P.

➙ Adam de la Halle / Chevalerie / Chrétien de Troyes / Dante / Graal / Guillaume de Machaut / Pétrarque / Préciosité / Tristan et Iseut / Troubadours et trouvères.

 P. Bec, Petite Anthologie de la lyrique occitane du Moyen Âge (Aubanel, Avignon, 1955). / H. Davenson, les Troubadours (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1961). / R. Dragonetti, la Technique poétique des trouvères (De Tempel, Bruges, 1961). / F. Schlösser, Andreas Capellanus (Bonn, 1962). / R. Nelli, l’Érotique des troubadours (Privat, Toulouse, 1963) ; Un art d’aimer occitanien, le roman de Flamenca (Privat, Toulouse, 1964). / M. Lazar, Amour courtois et « Fin ’Amors » dans la littérature du xiie siècle (Klincksieck, 1964). / D. Poirion, le Poète et le prince. L’évolution du lyrisme courtois de Guillaume de Machaut à Charles d’Orléans (P. U. F., 1965). / C. Camproux, le Joy d’amor des troubadours (Causse et Castelnau, Montpellier, 1966). / J. Maillard, Anthologie de chants de troubadours (Delrieu, Nice, 1967). / A. Mary, Anthologie poétique française. Moyen Âge (Garnier-Flammarion, 1967 ; 2 vol.). / M. Huby, l’Adaptation des romans courtois en Allemagne au xiie et au xiiie s. (Klincksieck, 1968). / P. Ménard, le Rire et le sourire dans le roman courtois en France au Moyen Âge, 1150-1250 (Droz, Genève, 1969). / J. Frappier, Amour courtois et Table ronde (Droz, Genève, 1974).