Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Courbet (Gustave) (suite)

Le peintre s’affirme au Salon de 1849. Parmi les sept toiles qu’il envoie, si l’Homme à la ceinture de cuir (Louvre), « étude des Vénitiens » comme il est précisé, reste dans la lignée des autoportraits précédents, l’Après-Dîner à Ornans (Lille) apporte quelque chose de nouveau. Cette réunion d’amis surprend par son format ; Courbet ose traiter en grand la scène de genre. Aussi bien, l’influence d’un voyage fait en Hollande en 1848 a-t-elle été décisive : « Rembrandt charme les intelligences et il étourdit les imbéciles [...], Van Ostade, Van Craesbeeck me séduisent. » Le romancier et critique Champfleury ne s’y trompe pas et égale l’œuvre « aux grandes assemblées de bourgmestres de Van der Helst ». Le rapprochement est à moitié juste (Courbet était plus proche des peintres monochromes que du brillant de Van der Helst), et le tableau trop sombre a mal vieilli, mais il sacrait un peintre original, depuis toujours étranger à l’idéalisme ingresque, désormais libéré du romantisme.

Avec l’Enterrement à Ornans (Salon de 1850-51, Louvre), objet de scandale et succès à la fois, la légende de Courbet est formée. Rassemblement de portraits (les habitants d’Ornans, du maire au fossoyeur, ont posé), l’Enterrement sidère par sa vérité autant que par son format. Un épisode banal est traité avec le même soin et la même attention psychologique que le Sacre de Napoléon par David. Les réactions sont violentes : « Est-il possible de peindre des gens si affreux », demandent des bourgeois dans un dessin de Daumier. « Accès farouche de misanthropie », « ignobles caricatures inspirant du dégoût et provoquant le rire », telles sont les appréciations de la critique.
Faire vrai ce n’est rien pour être réaliste,
C’est faire laid qu’il faut,
rime Théodore de Banville. Le contresens que l’œuvre de Courbet n’allait cesser de susciter est là. En fait, l’Enterrement est une page d’humanité où Courbet, avec une attention scrupuleuse et la sympathie d’un « pays », montre comment un village réagit devant la mort. « Est-ce la faute du peintre, dit Champfleury, si les intérêts matériels, les égoïsmes sordides, la mesquinerie de province [...] clouent leurs griffes sur la figure, éteignent ces yeux, plissent les fronts ? » Mais Courbet n’a oublié ni l’émotion ni l’affliction vraie, et sa comédie humaine est aussi complexe que celle de Balzac. La leçon satirique, le jugement moral sont seconds ; le réel, en fait, est magnifié, devient vérité générale grâce à la largeur du traitement, à la science du groupement désordonné des assistants, au lyrisme de la couleur : Vélasquez et Hais peuvent être évoqués.

Désormais, Courbet est sacré par la critique comme le chef des réalistes aux côtés de Champfleury. Les provocations du personnage, les propos tenus à la brasserie Andler, lieu de réunion du cénacle, expliquent la célébrité tapageuse qui va être celle de l’école. Mais il faut n’accepter qu’avec prudence les appellations. Lorsque Courbet, à l’Exposition internationale de 1855, décidera hardiment d’organiser une présentation séparée de ses œuvres, il s’expliquera dans la préface de son catalogue : « Le titre de réaliste m’a été imposé comme on a imposé aux hommes de 1830 le titre de romantiques. [...] Être à même de traduire les mœurs, les idées, l’aspect de mon époque, selon mon appréciation, [...] en un mot faire de l’art vivant, tel est mon but. » Aussi bien Courbet voit-il avant de penser. Les Casseurs de pierres (Salon de 1850-51, détruit à Dresde durant la dernière guerre), peinture socialiste selon Proudhon, sont nés d’abord d’une rencontre, d’une vision de misère sur une route : « C’est sans le vouloir, simplement en peignant ce que j’ai vu, que j’ai soulevé ce qu’ils appellent la question sociale. »

Un « œil », avait dit Ingres de Courbet, et il semble bien que le goût de peindre soit premier. Les Demoiselles de village (Salon de 1852, New York, Metropolitan Museum) sont bien un sujet social, l’aumône des sœurs du peintre à une gardeuse de vaches, mais l’essentiel pour l’artiste était un problème pictural, celui d’intégrer des personnages dans un site. De même, le tableau des Baigneuses (Montpellier), cravaché dit-on par Napoléon III au Salon de 1853, est-il presque détaché du sujet. Quoi de plus académique qu’un nu dans un paysage ? « La vulgarité des formes ne serait rien, c’est la vulgarité et l’inutilité de la pensée qui sont abominables », note Delacroix dans son Journal, rejoignant Ingres et annonçant Baudelaire* dans une paradoxale mais compréhensible alliance contre une peinture aussi désintéressée et « antisurnaturaliste ». Les Baigneuses furent achetées par Alfred Bruyas, collectionneur sensible et distingué, que tout aurait dû séparer de Courbet, si ce n’est l’amour de la peinture ; la Rencontre (Montpellier), admirable tableau de plein air, moqué pour le narcissisme du sujet, est un hommage mérité à un véritable amateur.

En même temps, sous l’influence de Proudhon, comme poussé par sa propre réputation, Courbet se convainc qu’il est un peintre socialiste et participe à la rédaction du Principe de l’art et de sa destination sociale (1865), qui propose une nouvelle lecture de son œuvre : ainsi la nudité déformée des Baigneuses devient un avertissement des dangers de la vie paresseuse et débilitante de la bourgeoisie ; les Demoiselles des bords de la Seine (Salon de 1857, Petit Palais) sont une image de l’univers triste du luxe.

L’Atelier du peintre, « allégorie réelle, intérieur de mon atelier, déterminant sept années de ma vie artistique » (Exposition de 1855, Louvre), est une ambitieuse synthèse de l’idéologie de Courbet. L’échec relatif vient de ce que la transcription symbolique reste confuse et que l’on est surtout sensible à des « morceaux », comme celui de la femme nue qui regarde Courbet peindre. Le Retour de la conférence (Salon de 1863, détruit), lourde sotie qui montre des curés en goguette après un bon dîner, est trop picaresque pour être réaliste : la volonté de satire empêche ici la réussite franche.