Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

couche limite (suite)

L’exploration systématique du champ des vitesses u normalement à la paroi met en évidence l’existence d’une mince couche de fluide, appelée couche limite, à travers laquelle la vitesse varie considérablement. L’adhérence du fluide à la paroi (u = 0) entraîne un glissement important des couches fluides les unes sur les autres avec formation éventuelle de tourbillons, et cela sur une épaisseur δ très faible (fig. 1). Ce glissement met en jeu la viscosité du fluide, qui peut être alors prépondérante à l’intérieur de la couche limite. Par contre, à l’extérieur de cette couche où la vitesse du fluide varie peu, l’effet de la viscosité est faible, et le fluide peut être considéré comme parfait.

L’étude de la couche limite, dont la première théorie fut élaborée par L. Prandtl dès 1904, fait l’objet de nombreux travaux, et son développement permet l’essor actuel de l’aéronautique et de l’aérospatiale. Tout le domaine de la physique s’intéressant à l’écoulement des fluides est d’ailleurs concerné, et ce domaine englobe aussi bien l’hydraulique que la météorologie. Pourtant, la complexité du problème est telle que souvent les théories mathématiques doivent s’aider de l’expérience.


Transition et décollement

Observons l’écoulement d’un fluide réel, c’est-à-dire visqueux, le long d’une paroi que nous supposons plane (fig. 2a). Le fluide, à l’amont de la plaque, a une vitesse uniforme U. Au contact de la plaque, le fluide est brusquement freiné, du fait de l’adhérence à la paroi et de la viscosité du fluide. La couche limite, qui se développe à partir du bord d’attaque, est d’abord laminaire : le fluide s’écoule en couches parallèles. Puis, après une « zone de transition », elle devient turbulente : des tourbillons se forment, entraînant un brassage désordonné de l’écoulement et une certaine uniformisation des vitesses. À l’intérieur de la couche limite turbulente et contre la paroi, il subsiste pourtant une mince couche de fluide où les tourbillons disparaissent et où les phénomènes de viscosité sont prépondérants : le film laminaire.

Deux caractéristiques sont fondamentales dans l’étude de l’action d’un fluide sur un corps en déplacement relatif par rapport au fluide : la pression et la contrainte tangentielle de frottement en un point de la paroi. On montre que la pression garde la même valeur à la traversée de la couche limite Quant à la valeur de la contrainte τp à la paroi, elle a même expression, que la couche limite soit laminaire ou turbulente :

(où μ est le coefficient de viscosité dynamique). Ainsi, la différence d’inclinaison du profil des vitesses à la paroi (fig. 2b) permet d’expliquer la brusque augmentation du frottement lorsque l’on passe de la couche limite laminaire à la couche limite turbulente (fig. 2c).

La forme de l’obstacle joue un rôle important dans le développement de la couche limite. Dans le cas d’une aile d’avion à forte incidence, par exemple, l’écoulement sur l’extrados est ralenti ; la couche limite peut décoller de la paroi et entraîner la formation d’un sillage. Ce décollement, responsable de la diminution brutale de la sustentation de l’aile (phénomène de décrochage), mérite une explication : sur la figure 3, le ralentissement de l’écoulement (U2 < U1) entraîne une augmentation de la pression (p2 > p1). Ainsi, les particules fluides intérieures à la couche limite sont ralenties à la fois par le frottement et par les forces de pression. Il existe une section (2) où la tangente au profil des vitesses à la paroi est normale à cette paroi. À partir de cette « ligne de décollement », la vitesse du fluide contre la paroi s’inverse, entraînant la formation d’une zone de fluide « mort » fortement perturbée et instationnaire, appelée sillage.


Écoulements externes

L’écoulement d’un fluide autour d’un obstacle peut être partagé en trois domaines (fig. 4). l’interaction entre ces domaines étant liée à la forme de l’obstacle et à sa position par rapport à la direction générale de l’écoulement :
— le domaine (I), loin de la paroi de l’obstacle, où le fluide « libre » peut être considéré comme parfait, l’influence des forces de viscosité étant négligeable ;
— le domaine (II), constitué par la couche limite, zone d’épaisseur très faible entourant l’obstacle, où la viscosité et la turbulence de l’écoulement ont une importance variable suivant la nature de la couche limite et la distance à la paroi ;
— le domaine (III), ou sillage, dont l’apparition est liée au décollement de la couche limite.

L’écoulement étant défini, nous pouvons aborder le problème de l’action du fluide sur l’obstacle, lié au problème beaucoup plus général du déplacement et de la sustentation des véhicules terrestres, marins et aériens. La vitesse relative U du fluide par rapport au corps étant supposée uniforme loin à l’amont, considérons la résultante R des efforts exercés par le fluide sur le corps.

Cette résultante R admet :
— une composante Fx suivant la direction de la vitesse U, la traînée ;
— une composante Fz, perpendiculaire à la précédente, la portance.

La traînée résulte d’une part de la présence de la couche limite responsable du frottement τp à la paroi (traînée de frottement), d’autre part de la répartition des pressions autour de l’obstacle, influencée par le décollement de la couche limite (traînée de pression).

La portance, liée elle aussi à la répartition des pressions et des contraintes de frottement sur la surface du corps, est due à la non-symétrie de l’écoulement par rapport à la direction de la vitesse U.

Des considérations de similitude nous permettent d’écrire :

(où ρ est la masse volumique du fluide et S une surface de référence du corps). Les deux coefficients Cx et Cz, de traînée et de portance, sont des grandeurs sans dimension dont l’importance est capitale en aérodynamique dans la conception des avions et des automobiles comme dans celle des bâtiments et ouvrages d’art. Si les coefficients Cx et Cz sont fonction de l’incidence i, d’une aile d’avion par exemple, ils sont plus généralement fonction d’un autre paramètre sans dimension caractéristique de l’écoulement, le nombre de Reynolds ℛ

(où L est une longueur de référence du corps).

La réalisation technique d’un avion, d’un hydroglisseur ou d’un aérotrain suppose une étude préliminaire approfondie de l’action du fluide (air ou eau) sur un prototype ou sa maquette. Comme il faut réduire au minimum la traînée en augmentant éventuellement la portance, le problème est de contrôler la couche limite.