Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Corse (suite)

L’histoire

Proche de la péninsule italienne et des côtes françaises de la Méditerranée, située sur le passage de voies de navigation qui, pendant longtemps, ne se sont pas écartées des côtes, la Corse n’a jamais été une île isolée de l’ensemble du monde méditerranéen. Mais les insulaires ont souvent cherché à s’isoler d’eux-mêmes, soit pour assurer leur sécurité, soit pour faire face aux menaces venues de la mer. Des montagnes où l’eau ne manque pas leur offraient de larges possibilités de repli.

Les contacts hostiles entre population insulaire et peuples de la mer apparaissent dès la protohistoire : la civilisation mégalithique avait été accueillie depuis le début du IIIe millénaire par les descendants des premiers occupants, vraisemblablement ibères et ligures ; les habitants de l’île élevaient le petit bétail, inhumaient leurs morts et sculptaient des statues-menhirs. Cette population, anciennement installée dans l’île, fut attaquée et refoulée entre le xive s. et le xiie s. av. J.-C. par des envahisseurs débarqués sur les côtes corses aux environs de Porto-Vecchio et de Bonifacio ; les nouveaux venus, éleveurs de bovins, incinéraient les défunts et construisaient pour eux des chambres funéraires à coupoles ; ces étrangers, qui se protégeaient par des forteresses, appelées tours (torre) par les Corses, ont reçu le nom de Torréens.

À partir du vie s. av. J.-C., l’île est sur le passage des émigrants et des commerçants issus de la Méditerranée orientale, Phéniciens et Grecs. Les Phocéens, installés à Marseille vers 598 av. J.-C., fondent le port et le comptoir d’Alalia vers 565 av. J.-C., sur la côte orientale, à proximité immédiate de l’actuelle Aléria. Cette forme d’occupation marginale ne semble pas avoir suscité de réactions de la part des insulaires, qui fournissaient aux Grecs du bois pour leur flotte et des produits de cueillette.

Au contraire, les Romains, qui interviennent en Corse à la suite d’une tentative d’implantation carthaginoise, au milieu du iiie s., éprouvent de réelles difficultés à vaincre la résistance déterminée des Corses (238-162 av. J.-C.) : ils ne se contentent pas d’établissements côtiers, mais, de plus, ils cherchent à contrôler l’ensemble de l’île. La réussite romaine s’exprime par la croissance d’Aléria, par la fondation d’une autre ville par Marius, Mariana, en 94 av. J.-C., et par l’édification d’une voie desservant la plaine orientale.

La ruine de l’Empire romain et les invasions barbares marquent, pour la Corse, le retour à l’isolement, et l’expansion musulmane la réapparition de l’insécurité entretenue par les maîtres de la mer. L’intérêt porté à la Corse par Pépin le Bref et par Charlemagne ne suffit pas à assurer sa défense, si bien que l’île est confiée au Saint-Siège par les Carolingiens. Mais la protection pontificale est longtemps illusoire : du ixe au xie s., la menace de l’esclavage en Afrique et les destructions réitérées écartent la population des rivages. La montagne, comme dans de nombreuses régions périméditerranéennes, devient alors un refuge. Les terrasses de culture sont édifiées sur les versants qui ne retiennent pas la terre arable ; la châtaigneraie s’étend. L’insécurité favorise le morcellement de l’autorité publique, qui est accaparée par les dynasties seigneuriales. Le renouveau s’amorce au xie s., lorsque le Saint-Siège confie l’administration de l’île à l’archevêque de Pise (1077-1123). Les Pisans ouvrent des routes, édifient des ponts, construisent des églises.

Mais l’activité pisane en Corse suscite l’intérêt de Gênes, qui occupe les ports de Bonifacio (1195) et de Calvi (1268), les peuple de Génois et les fortifie. La défaite navale des Pisans à la Meloria (1284) renforce l’influence génoise, qui n’est guère menacée par l’intervention du roi d’Aragon, auquel Boniface VIII et Clément V avaient délégué leurs pouvoirs. La domination génoise, fondée sur la suprématie maritime, n’est pas acceptée aisément par la population de l’île. La lutte entreprise contre Gênes à la fin du xiiie s. par Sinucello della Rocca, plus connu sous le nom de Giudice de Cinarca, n’aurait pas duré plusieurs décennies si elle avait été seulement une révolte seigneuriale. Mais les ressources modestes de la Corse n’assurent pas les moyens indispensables à une longue résistance lorsque Gênes mobilise toutes ses forces pour soumettre l’île comme en 1347.

Dès la seconde moitié du xive s., d’ailleurs, la division des Corses favorise la politique génoise : pour ruiner définitivement la puissance seigneuriale dans le centre de la Corse et assurer le succès du mouvement communautaire déclenché par Sambucuccio d’Alando, les représentants de la population révoltée en 1358 doivent s’assurer la neutralité de Gênes : la Terra di comune accepte l’autorité politique et l’administration génoises, sous réserve de consultation d’un conseil de six Corses ; le cap Corse et le sud de l’île, dit Au-delà des monts, restent à l’écart de ce statut.

Dès lors, de la fin du xive s. au xviiie s., le sort de la Corse est lié à celui de la république de Gênes : les périodes de stabilité politique et de restauration économique alternent avec les révoltes armées, les destructions et les interventions de tierces puissances à l’appel de Gênes ou de seigneurs et d’hommes de guerre corses, tel Vincentello d’Istria (1380-1434) au début du xve s. Dans ces conditions, les tentatives génoises de colonisation, marquées par la concession de vastes domaines à de grandes familles ligures, la gestion de la Maona, qui détient le monopole du commerce avec la Corse à la fin du xive s., ou de la Banque de Saint-Georges (1453-1463 ; 1485-1563), sont des échecs ou se heurtent à de graves difficultés, accrues par les incursions barbaresques. Les Statuti civili e criminali, qui codifient les rapports entre Gênes et la Corse, en même temps qu’ils formulent les règles susceptibles d’ordonner une vie quotidienne troublée, restent souvent sans effet sur une société qui admet la justice personnelle, pratique la lutte de clans et se rebelle contre une autorité considérée comme étrangère.