Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

corsaire (suite)

Généralités

Les corsaires utilisaient des navires rapides et bien armés pour courir en temps de guerre sus aux bâtiments de commerce ennemis. Ils s’emparaient de ceux-ci à l’abordage pour les conduire dans leurs ports d’attache, où ils étaient déclarés de bonne prise après jugement par les tribunaux des prises. Sortes d’auxiliaires des marines régulières, habilités par leur gouvernement au moyen d’une « lettre de marque », ils ne pouvaient combattre que sous leur pavillon national. C’est ainsi qu’ils se distinguaient des flibustiers et des pirates, qui agissaient en dehors de toute règle.

La guerre de course ne fut évidemment pas organisée dès son origine. Les premiers corsaires apparurent au début du xve s. ; ils intensifièrent leur action contre les navires de la régence d’Alger, au xvie s., à l’époque où les Barbaresques attaquaient systématiquement le commerce européen. L’objet de la course étant la capture du commerce ennemi, son activité se trouve liée à l’existence d’un important trafic maritime. Après les grandes découvertes, les Portugais et les Espagnols s’étaient assuré le monopole des routes conduisant aux Indes occidentales ou orientales, sources, aux xve et xvie s., de richesses considérables. Français, Anglais et Hollandais tentèrent alors de se glisser, eux aussi, dans ces circuits hautement rémunérateurs, ce qu’ils ne pouvaient faire que les armes à la main. C’est l’époque de grands aventuriers de la mer, tel l’Anglais John Hawkins (1532-1595), qui fut l’un des promoteurs du commerce des esclaves noirs entre l’Afrique et les colonies espagnoles d’Amérique. Commerçant souvent à coups de canon pour enlever leur richesse aux colons, ils se situaient à la limite entre la piraterie et la course. Le corsaire anglais le plus célèbre, sir Francis Drake (v. 1540-1596), devait effectuer de 1577 à 1580 le tour du monde en combattant et en pillant sans interruption ; il rapporta un immense butin et fut anobli par la reine Élisabeth, qui lui accorda ainsi a posteriori l’équivalent de lettres de marque.


L’apogée de la course

Le xviie s. devait établir la suprématie navale anglaise aux dépens des Français et des Hollandais. Le commerce maritime, se partageant désormais entre ceux-ci et les Anglais, offrira à partir de 1680 de riches proies aux corsaires français. Après la défaite de la Hougue (1692), les escadres françaises se trouvèrent disponibles en raison de l’abandon de grandes opérations navales et de la détresse des finances. Le ministre de la Marine Louis Phélypeaux de Pontchartrain (1643-1727) eut alors l’idée de faire concourir les vaisseaux du roi à la guerre de course et mit à la disposition des armateurs non seulement des bâtiments de guerre, mais des officiers de la marine royale pour faire aux Anglo-Hollandais une guerre navale « industrielle ». Une part des prises lucratives faites par les armateurs, véritables entrepreneurs de la guerre de course, alimentait en outre le trésor royal. La plus célèbre des opérations de course fut menée en 1693 par Tourville*. À la tête de soixante et onze vaisseaux, ce dernier intercepta au large de Lagos (Portugal) le fameux convoi de Smyrne qui ramenait tous les ans en Angleterre les produits du Moyen-Orient. Ainsi furent pris ou détruits quatre-vingts à quatre-vingt-dix bâtiments de commerce, représentant 30 millions de livres, somme énorme pour l’époque, et ce malgré l’escorte de quinze vaisseaux de l’amiral George Rooke (1650-1709). L’opération se révélait plus rentable encore si on opérait avec des divisions moins nombreuses à base de frégates ou de petits vaisseaux rapides.

Nombre d’officiers reçurent alors des commandements en course, comme le lieutenant général Alain Emmanuel de Coëtlogon (1646-1730), les chefs d’escadre Jean Bernard Louis Desjean de Pointis (1645-1707) et Jean-Baptiste Ducasse (1646-1715). Avec des chefs habitués aux opérations de guerre, la course s’organisa militairement, ce qui devait lui donner une grande efficacité. En effet, les corsaires, coupeurs de routes, ne s’attaquaient qu’aux petits navires désarmés et n’insistaient pas devant les convois escortés. Au contraire, les bâtiments de Pontchartrain, aptes aux plus rudes combats, ne cherchèrent plus à éviter la bataille et commençaient par attaquer et détruire les escorteurs avant de saisir à l’abordage les bâtiments de commerce et de les ramener en France. L’opération de retour n’était pas la plus facile, les Anglais s’efforçant de bloquer les ports français pour essayer de récupérer les prises des corsaires. Parmi une pléiade de marins célèbres (Ducasse, Claude de Forbin [1656-1733], Jacques Cassard [1679-1740], etc.) où brillent Dunkerquois, Basques et Malouins, deux noms s’imposent : Jean Bart et Duguay-Trouin.

Le Dunkerquois Jean Bart (1650-1702) servit d’abord sous Michiel Adriaanszoon de Ruyter en Hollande, puis, après l’annexion de Dunkerque, commença à naviguer pour le compte de la France. Ses magnifiques exploits (à Texel, au Dogger Bank, etc.) lui firent donner des grades dans la marine royale, où il finit chef d’escadre (1697).

René Duguay-Trouin (1673-1736) fut plus audacieux encore. Après avoir couru les mers pour le compte de sa famille, il prit avec cinq vaisseaux, en 1711, la ville de Rio de Janeiro. Cette expédition rapporta 92 p. 100 à ses commanditaires.

Les résultats de la course furent désastreux pour le commerce anglo-hollandais, qui perdit plus de quatre mille bâtiments sur toutes les mers, représentant plus de 800 millions. Les assurances à Londres montèrent à 30 p. 100, et le commerce avec la Méditerranée fut presque interrompu. L’ampleur de ces pertes n’obligea pourtant pas l’Angleterre à traiter, et cette époque où la course fut reine en a montré la vanité par l’impuissance même où elle se trouva d’enlever la décision.


Le déclin

Au xviiie s., la course connut un déclin très net du fait que les opérations navales furent très limitées et que le gros effort militaire fut plus continental que maritime. Quand la marine française aura été rénovée par Choiseul, elle entreprendra, pendant la guerre d’Amérique, de grandes opérations aux dépens de la guerre de course, considérée désormais comme secondaire. Cette tendance s’accentua encore sous le premier Empire, où l’action des corsaires fut surtout préjudiciable à la marine de guerre en la privant d’équipages de qualité. Les marins de métier esquivaient en effet le service de la flotte pour embarquer sur les corsaires, qui ne faisaient jamais de longue carrière : leurs équipages ont peuplé les pontons anglais de sinistre mémoire, et à la fin de l’Empire, parmi les 80 000 marins prisonniers, on comptait une majorité de corsaires.