Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Corot (Camille) (suite)

Ce succès incite parfois Corot à répéter hâtivement « évocations » et « rêveries » pour pouvoir donner libre cours à sa générosité envers des confrères moins heureux. Mais cette négligence n’atteint ni ses études d’après nature ni l’aspect plus secret de son art : les figures. Celles-ci, révélées au public au début de notre siècle seulement, enthousiasmèrent les cubistes : études italiennes aux couleurs compactes, aux plans géométriques, portraits de famille tendrement iconographiques, jeunes femmes pensives des dernières années (la Dame en bleu, 1874, Louvre). La carrière de Corot s’achève sur ces figures psychologiques, dont l’émotion contenue évoque Vermeer.

S. M.

 A. Robaut et E. Moreau Nelaton, l’Œuvre de Corot. Catalogue raisonné et illustré (Floury, 1905 ; 5 vol.). / E. Moreau Nelaton, Corot raconté par lui-même (Laurens, 1924 ; 2 vol.). / G. Bazin, Corot (Tisné, 1951) ; Corot (Hachette, 1973). / J. Leymarie, Corot (Skira, Genève, 1966). / Y. Taillandier, Corot (Flammarion, 1967). / M.-P. Fouchet, Corot (Screpel, 1975).

corporation

Organisme social qui groupe tous les membres d’une même profession.


Ce nom, qui réveille d’ordinaire tout un long passé, est intimement associé à la langue, uni à l’esprit d’une France ancienne. En fait, le mot, venu d’Angleterre, s’est répandu au xviiie s. Il désignait des groupements de droit semi-public. Comme outre-Manche, son extension rétrospective en France peut comprendre des communautés économiques et des corps pourvus de la personnalité morale d’une diversité extrême.

En fait, depuis l’introduction du mot corporation en France, un usage maintenant deux fois séculaire l’a appliqué spécialement aux communautés d’artisans. On les appelait jadis métiers, corps ou communautés de métiers, fraternités, gildes, hanses, collèges, souvent au Moyen Âge confréries, dans la suite maîtrises ou jurandes.

Leur origine fut très diverse. Dans les pays fortement occupés par les Romains persistèrent des survivances des anciens collèges de métiers, sous des formes nécessairement modifiées, en Italie, en France (surtout, mais non exclusivement, dans le Midi). Des groupements de formation germanique donnèrent naissance à des corporations dans le nord de la France, comme dans les pays voisins ; des confréries, apparentées à des organisations du même genre, se transformèrent en cadres professionnels ; des obligations collectives d’artisans et des nécessités administratives provoquèrent des réglementations et la constitution de communautés. Il serait assez vain de vouloir assigner une date précise ou même une époque déterminée à la naissance d’un mouvement qui s’étendit à toute l’Europe de l’Ouest et qui, d’ailleurs, déborda non seulement la vie professionnelle, mais les limites mêmes de l’Occident, en particulier au Maghreb et au Proche-Orient. On discerne l’apparition de communautés de marchands à la fin du xe s. ; l’entrée en scène de groupes organisés d’artisans a lieu à la fin du xie s., surtout dans la France du Nord et aux Pays-Bas.

Les corporations, qui imposaient leur discipline aux gens de métier, puisaient leur propre droit dans l’appui des pouvoirs publics. Aussi est-il inexact de les représenter, comme on l’a fait trop souvent, comme de petites républiques indépendantes au milieu de la société de leur temps.

Elles se composaient normalement de trois catégories de membres : les maîtres, les apprentis, les valets.

Les maîtres y étaient les « citoyens actifs ». Un auteur a même appelé les corporations des syndicats de maîtres : il n’y a sans doute pas lieu d’insister sur la nuance critique de cette appellation, mais en gros elle est exacte. Les apprentis, normalement considérés comme de futurs maîtres, étaient entourés d’une attention particulière. Les valets, sauf des exceptions assez peu nombreuses, étaient cantonnés dans une situation subordonnée.

Les corporations n’ont pas toujours, comme on l’a trop répété, assuré la paix sociale : dans les métiers organisés, des conflits du travail opposèrent souvent maîtres et ouvriers depuis le Moyen Âge jusqu’à la Révolution.

Comme toutes les organisations collectives d’autrefois, les corporations étaient fondées sur la famille. De tout temps, les fils de maîtres jouirent de divers privilèges pour l’admission au métier, souvent à la condition qu’ils fussent nés quand leur père y était déjà entré lui-même.

Du point de vue économique aussi, le travail était organisé dans le cadre familial. La plupart des métiers étaient pratiqués dans des ateliers domestiques, où collaboraient les membres d’une même famille, où apprentis et valets participaient à la vie du foyer.

L’autonomie des entreprises était une règle normale des organisations corporatives. Les statuts exigeaient habituellement que l’artisan fût propriétaire de son outillage, qu’il « eût de quoi » — pour employer une expression du xiiie s. — et qu’il travaillât pour son propre compte : les membres des anciennes communautés étaient foncièrement hostiles aux accaparements, appelés monopoles, et ils entendaient, tout en limitant la liberté des artisans, maintenir la concurrence. C’est là aussi une des raisons qui expliquent la minutie des règlements concernant les techniques industrielles : fixer d’une façon précise la nature des produits « loyaux » (légaux) du travail industriel, c’était contenir l’initiative des travailleurs, mais maintenir leur concurrence dans des limites nettement déterminées.

S’ils s’opposaient ainsi aux efforts que nous appelons capitalistes, ils n’y parvenaient pas toujours. Il faut distinguer, en effet, même au Moyen Âge, deux types différents d’industries et de corporations : le premier, auquel souvent nous assimilons toutes les organisations corporatives, comprenait tous les métiers d’intérêt local, les boulangers, les bouchers, les serruriers, les tailleurs ; le second encadrait les métiers que nous appellerions de grande industrie, en particulier les métiers du textile. Les fabrications de ceux-ci n’étaient pas réservées à la consommation locale ; leurs productions de masse étaient expédiées au loin ; leur débit et tout le processus de la fabrication dépendaient de l’initiative de grands marchands, souvent étrangers aux cadres proprement dits du métier, et qui, du dehors, faisaient peser sur les producteurs les contraintes d’un authentique capitalisme.