Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Coran (suite)

Deuxième période mekkoise

Versets plus longs, rimes moins riches, ton moins lyrique et plus narratif. La rupture est faite avec les incrédules. Adoption du nom al-Raḥmān (« le Compatissant »), emprunté à l’araméen et au sudarabique, pour désigner Allāh. Polémique plus précise, notamment sur la Résurrection. Rappel fréquent de l’histoire des Prophètes anciens (juifs, arabes, etc.), qui, comme Muḥammad, ont en vain averti leurs peuples ; description éloquente du châtiment qui frappa ceux-ci.


Troisième période mekkoise

La forme devient définitivement oratoire et prédicatrice. Continuation des thèmes de la période précédente avec quelques nuances. L’appel vise aussi d’autres que les Mekkois. Le rôle de Muḥammad dans la série des Prophètes est mieux fixé, et la rupture avec les Mekkois incrédules est très nette. Allusion à des rites encore définis sans rigidité.


Période médinoise (622-632)

Muḥammad est devenu chef politique et militaire en même temps que guide idéologique incontesté. Le style du Coran devient souvent prosaïque avec de longs versets. Appels à l’obéissance à Allāh et à son prophète se mêlent à des dispositions législatives, à des allusions aux événements, batailles, péripéties politiques, et même à la vie privée de Muḥammad. Polémique de plus en plus acerbe contre les juifs, puis contre les chrétiens après une rupture plus tardive. Appels au ralliement des polythéistes, orientation nettement arabe du culte. Appels à la constance, à la fidélité, à l’espérance en la victoire finale malgré les déboires passagers. Développement des prescriptions cultuelles et autres.


La fixation du texte

Il semble bien que les révélations aient été d’abord notées par des auditeurs de Muḥammad (plus tard par un secrétaire) sous des fragments courts. Le texte est destiné à être récité au cours d’exercices pieux. Du vivant de Muḥammad même, sous sa surveillance et sans doute avec sa participation, on groupe beaucoup de ces morceaux en sourates (sūra, peut-être d’un terme syriaque signifiant « écriture »), unités souvent assez longues. Ce faisant, on procède à des adaptations (des rimes notamment), on ajoute des réserves et des explications. Le travail ne se fait pas sans quelques erreurs, inconséquences et maladresses.

À la mort de Muḥammad (632), on dispose de plusieurs recueils constitués par divers disciples. Des divergences existent naturellement entre eux. Ces divergences étant utilisées dans les âpres luttes de tendances qui marquent l’époque, le calife ‘Uthmān (644-656) confie à une commission la tâche de fixer un texte définitif et ordonne de détruire aussi bien les matériaux de base que les recueils déjà constitués. Certains échappent pourtant, pendant un certain temps, à la destruction.

Des divergences subsistent néanmoins par suite des insuffisances de l’écriture arabe de l’époque. Vers 700, on généralise des signes supplémentaires, distinguant les lettres différentes de même forme, marquant les voyelles, le redoublement des consonnes, etc. Cela limite les variantes, mais force aussi à des choix, incorporant parfois dans le texte des interprétations.

Même après cette fixation, on peut lire le texte de diverses façons, en prononçant différemment certains phonèmes, notamment les voyelles, en coupant différemment les phrases, etc. Ces variantes ont d’autant plus d’importance que la récitation publique du Coran par des spécialistes a toujours eu plus d’importance que la référence à l’écrit. Parmi les nombreuses écoles et sous-écoles de « lecture » coranique, un choix sera fait peu à peu. Au ixe s., on fixe à sept le nombre des « lectures » canoniques, quoique sept autres arrivent à se laisser tolérer.

L’édition et la lecture canoniques divisent le Coran en 114 sourates. Celles-ci sont mécaniquement rangées (en principe) par ordre de longueur décroissante, sauf la première (Fātiḥa, « la Liminaire »). Elles sont subdivisées en plus de 6 200 versets (‘āyāt, à l’origine « signe, signe de Dieu, miracle »). Une autre division du Coran y distingue 30 ou 60 (ou encore 4) portions plus ou moins égales pour la récitation publique. Chaque sourate porte un titre.


La fonction et le rôle du Coran dans la communauté musulmane

Le Coran est l’acte de fondation de l’islām*, qui est censé authentifier l’origine divine des idées, des règles et de la foi de la communauté. Quoique certains docteurs musulmans lui aient préféré comme source l’ensemble des traditions jugées authentiques sur les actes et les gestes du Prophète, sa supériorité est de contenir dans un texte ne varietur la parole même d’Allāh « descendue » du ciel. Certains dissidents estiment le texte mutilé et même altéré, mais aucun n’en propose une meilleure recension. Pour les musulmans, le Coran est la grande théophanie, la manifestation essentielle de Dieu à l’humanité, un peu comme l’incarnation du Fils de Dieu pour les chrétiens.

Très tôt, il s’est donc formé une théorie du Coran, développant la « coranologie » implicite du Coran lui-même. C’est Allāh qui y parle à la première personne, apostrophant souvent le Prophète, son porte-parole, auquel aucune initiative n’est laissée dans la transmission. Son original (omm al-kitāb, « la mère du Livre ») est gardé au ciel. Le texte arabe, écrit ou récité, y est identique dans les moindres détails (toute traduction est donc sacrilège). L’orthodoxie le considère comme « attribut » de Dieu, incréé, existant de toute éternité. Les dissidents qui ont soutenu sa création au ixe s. ont été persécutés et éliminés. L’origine divine implique la perfection. Il est admis, réciproquement, que cette perfection peut se constater, que l’inimitabilité (i‘djāz) du style prouve cette provenance surnaturelle.

Source première du dogme et de la loi, le texte coranique doit faire l’objet d’une exégèse pour expliciter un contenu souvent peu clair, résoudre les contradictions, etc. Des sciences exégétiques se sont donc constituées, déterminant le sens exact et les limitations précises des idées et des préceptes que convoie le texte. On a dû admettre que certains versets en abrogeaient d’autres révélés antérieurement (science de l’abrogeant et de l’abrogé). Il a fallu fixer aussi des relations et des hiérarchies de valeur entre le Coran, la Tradition (Sunna) du Prophète, les déductions analogiques et autres, le consensus des savants de la communauté, etc., pour fixer idées et pratiques.