Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

constituante (Assemblée nationale) (suite)

La France « régénérée »


Du 4 mai au 9 juillet

La France « régénérée », c’est le terme qui revient le plus souvent sous la plume des « patriotes », bourgeois du tiers état et nobles libéraux, mais aussi des aristocrates. Les uns et les autres sont d’accord sur un point : loyalisme monarchique, mais nécessaire réforme. Les droits du roi et ceux de la nation doivent être définis. L’aspiration nouvelle aux libertés individuelles, le désir retrouvé des libertés collectives des provinces et la volonté d’avoir part à l’exercice du pouvoir doivent être traduits dans les textes. Un roi certes, mais avec des libertés. Des aristocrates traduisent « privilèges ».

C’est cette vue ancienne des choses que les « patriotes » contestent au nom des droits « naturels ». Elle marque encore, le 4 mai 1789, le déroulement de la procession qui ouvre, à Versailles, les États généraux. Loin derrière les ecclésiastiques aux habits somptueux et les nobles empanachés viennent, en habits noirs, les députés du tiers état. Le lendemain, ils seront à la première séance des États, comme relégués « au bas d’une salle, majestueuse mais mal disposée pour que les députés s’y expliquent et s’y entendent » (le député Gaultier de Biauzat). Or, ces quelque 600 députés sont, face à près de 280 nobles et de 300 membres du clergé, les représentants d’une énorme majorité de Français. Comme l’écrit l’abbé Sieyès : « Qu’est-ce que le tiers état ? Tout. Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien. Que demande-t-il ? À y devenir quelque chose. »

Après un discours du roi qui dure quatre minutes, « M. le garde des Sceaux a lu pendant près de vingt-trois minutes un discours qui n’a été entendu que par ceux qui étaient à son voisinage [...]. M. Necker a ensuite prouvé par la longueur de son discours (3 heures) qu’il avait eu besoin de se rendre invisible pendant les derniers temps » (Gaultier de Biauzat).

On attendait un programme politique, une allusion à la réforme sociale. Rien. Des chiffres et de l’argent que l’État demande aux représentants du peuple sont, en résumé, la teneur du discours. Plus d’un est déçu. Mais la réforme anime très tôt les débats de l’Assemblée. Pour que l’égalité soit reconnue, il faut vérifier ensemble les pouvoirs des députés et adopter, à ce sujet, le vote par tête et non par ordre. L’invitation en est faite, le 10 juin, par le tiers état. Tergiversation, refus..., le tiers se proclame Assemblée nationale. Le 17 juin, il adopte en effet cette motion : « Cette dénomination est la seule qui convienne dans l’état actuel des choses, soit parce que les membres qui la composent sont les seuls représentants légitimement et publiquement connus et vérifiés, soit parce qu’ils sont envoyés directement par la presque totalité de la nation, soit enfin parce que la représentation étant une et indivisible aucun des députés, dans quelque ordre ou classe qu’il soit choisi, n’a le droit d’exercer ses fonctions séparément de la présente assemblée. »

Immédiatement, l’Assemblée pose le problème du consentement de l’impôt. Par là elle peut paralyser l’État ; elle cherche aussi à se garantir d’un éventuel coup de force.

« Considérant que les contributions, telles qu’elles se perçoivent actuellement dans le royaume n’ayant pas été consenties par la nation, sont toutes illégales [...] l’Assemblée déclare, à l’unanimité des suffrages, consentir provisoirement pour la nation que les impôts et contributions, quoique illégalement établis et perçus, continuent d’être levés de la même manière qu’ils l’ont été précédemment, et ce jusqu’au jour seulement de la première séparation de cette Assemblée, de quelque cause qu’elle puisse provenir [...]. »

Second acte révolutionnaire : leur salle de réunion étant fermée, les députés du tiers, auxquels se sont joints quelques membres du clergé (19 juin), prêtent serment dans la salle du Jeu de paume (20 juin).

« L’Assemblée nationale, considérant qu’appelée à fixer la Constitution du royaume, opérer la régénération de l’ordre public et maintenir les vrais principes de la monarchie, rien ne peut empêcher qu’elle ne continue ses délibérations, dans quelque lieu qu’elle soit forcée de s’établir, et qu’enfin partout où ses membres sont réunis, là est l’Assemblée nationale. Arrête que tous les membres de cette Assemblée prêteront, à l’instant, serment solennel de ne jamais se séparer et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront jusqu’à ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides. »

Le 23 juin, c’est la réplique royale. En séance solennelle, le roi « casse et annule » les décisions de l’Assemblée. Mais il donne enfin le programme politique de son gouvernement : « Aucun impôt ne sera établi, aucun autre prorogé [...] sans le consentement des représentants de la nation » ; il promet la publication annuelle du budget, l’abolition de la corvée et de la taille, la réforme de la gabelle ; il invite enfin les États « à chercher avec lui les moyens les plus convenables de concilier l’abolition [...] des lettres de cachet avec le maintien de la sûreté publique [...], la liberté de la presse avec le respect dû à la religion, aux mœurs et à l’honneur des citoyens » ; il promet enfin l’établissement d’états provinciaux.

Le discours servira la propagande contre-révolutionnaire, qui, inlassablement, répétera dans ses journaux que la réforme attendue des Français est donnée par le roi. En fait, les Français veulent plus, et leurs députés ne retiennent que le ton général du discours. Il rappelle celui d’un monarque absolu quand il menace « ceux qui, par des prétentions exagérées ou par des difficultés hors propos, retarderaient encore l’effet de mes intentions paternelles [...] ».

Mais « la nation assemblée ne peut recevoir d’ordres » (Bailly). « Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes. » Même si Mirabeau n’a pas prononcé la phrase qu’on lui prête, elle rend bien compte de l’état d’esprit des députés du tiers et de l’atmosphère générale dans laquelle s’achève cette période de « révolution pacifique ».