Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Constantine (suite)

Dans l’Est algérien, Constantine bénéficie d’une remarquable situation de contact à la limite du Tell (région de montagne humide, peuplée par des céréaliculteurs et des arboriculteurs), au nord, et des Hautes Plaines constantinoises (plus sèches, où l’élevage des moutons joue un rôle important à côté de l’agriculture), au sud. Les relations nord-sud sont relativement aisées, à travers le Tell, vers Skikda par le col des Oliviers et la vallée du Safsaf, et, dans les Hautes Plaines, vers le Sahara et la région de Biskra. Constantine se trouve ainsi au terme d’une des grandes voies traditionnelles de passage des nomades en direction du nord. D’ouest en est, la ville est aussi une étape ancienne sur la route intérieure, immédiatement au sud des montagnes du Tell, qui relie l’Algérois à la vallée de la Medjerda et au golfe de Tunis. Il s’agit donc bien d’une véritable plaque tournante régionale où se rencontrent depuis des siècles pasteurs et agriculteurs, militaires et commerçants, nomades et sédentaires.

Un site exceptionnel renforce encore les avantages de cette position. Le « Rocher », bloc de calcaire turonien mis en valeur par des failles, est bordé sur presque toutes ses faces par les parois verticales des gorges du Rummel, dont l’encaissement peut atteindre 200 m. Ainsi se trouve circonscrite une véritable forteresse naturelle, qui est devenue le point d’appui, dans cette région, des Romains et, beaucoup plus tard, des Turcs et des Français. L’étoile des routes, le croisement des chemins de fer concrétisent le rôle de Constantine dans l’organisation régionale des transports. La présence de nombreuses casernes et des souvenirs historiques les plus divers attestent la pérennité de sa fonction militaire.


Les fonctions de capitale régionale

Aux transports et aux garnisons s’ajoutent l’administration et le commerce. Ces fonctions placent Constantine au rang de capitale régionale, une des rares dignes de ce nom à l’intérieur du Maghreb, la seule en Algérie, toutes les autres se trouvant sur le littoral.

Capitale politique, Constantine tient ce rôle depuis les premiers siècles, rarement à la tête d’un État indépendant — car il y a difficilement place pour une telle entité entre la Tunisie et l’Algérois —, mais plutôt comme le relais, disposant souvent d’une large autonomie, des influences de Tunis, puis d’Alger. Ainsi, les Turcs en ont fait la capitale du « beylik » oriental, et les Français le chef-lieu d’un vaste département qui devait être subdivisé en quatre à la fin de la période coloniale.

Capitale commerciale, Constantine, avec son satellite El-Khroub, rassemble la plus grande partie des produits agricoles commercialisés des régions voisines (céréales et bétail). Elle reçoit par Skikda des produits manufacturés en provenance d’Europe. C’est un vaste marché de collecte, d’échanges et de redistribution dont l’importance se manifeste aussi bien par le nombre des grossistes et des négociants que par la prolifération du commerce de détail.


Une ville de refuge

Toutes ces fonctions ont contribué à attirer dans la ville des masses de paysans déracinés par la crise des campagnes et par la guerre d’indépendance. Cet afflux s’explique ici d’autant plus aisément que les mutations sociales ont été particulièrement rapides et profondes dans certaines régions du Constantinois (sédentarisation dans les Hautes Plaines des semi-nomades) et que les montagnes toutes proches de Petite Kabylie et de l’Aurès comme les secteurs voisins de la frontière tunisienne ont particulièrement souffert de la guerre. Dans une Algérie troublée, Constantine se trouvait au centre d’une région particulièrement agitée. Plus qu’aucune autre, elle fait maintenant figure de ville de refuge. La population, qui dépassait à peine 100 000 habitants après la Seconde Guerre mondiale, est maintenant de plus de 250 000 habitants.

La création d’emplois et la construction de logements n’ont pas pu suivre cet afflux de population. L’industrialisation, souhaitée par les autorités françaises à l’époque du « plan de Constantine », reste limitée à des fabrications légères (alimentation, équipement, mécanique). Parmi les réalisations récentes figurent cependant une importante fabrique textile et une usine métallurgique d’outillages et produits d’équipement. Le développement récent des établissements scolaires et universitaires ne peut compenser ces carences. Le chômage sévit toujours très gravement.


Trois visages urbains

La vieille médina, au sud-est du « Rocher », a conservé toute sa vitalité en dépit de l’extraordinaire entassement de la population qui la caractérise (1 500 hab. par ha). Les commerces y restent très actifs. Les Israélites, qui représentaient environ un quart de la population des quartiers du « Rocher » avant l’indépendance, ont maintenant quitté la ville et l’Algérie.

Les quartiers de style européen occupent une place mineure dans l’urbanisme de Constantine : les quartiers modernes du « Rocher » (administration, commerce), le centre administratif du Koudiat, quelques ensembles résidentiels à la périphérie. À la différence des villes littorales comme Alger ou Oran, Constantine n’a jamais abrité une importante colonie européenne (moins de 50 000 personnes à la veille de l’indépendance). Ville de l’intérieur, elle n’a participé que secondairement au développement commercial de la période française. ‘Annaba, sur la côte, a même pu s’ériger en concurrente à l’intérieur du Constantinois.

Les quartiers de résidence précaire qui entourent Constantine sont apparus à la fin de la période coloniale et ont proliféré tout particulièrement pendant la guerre d’indépendance. Les abords des ravins autour du « Rocher », les nouveaux quartiers de Sidi-M’Cid, du Bardo et de Sidi-Mabrouk juxtaposent à quelques grands ensembles et à des cités de recasement de véritables « bidonvilles », à l’image d’une ville dont la population a comme submergé les fonctions.

A. F.