Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

consommation (suite)

Le terme de consommation recouvre de moins en moins la subsistance (ce qui fait vivre) et de plus en plus ce qui transforme les individus, les fait s’exprimer, communiquer entre eux. Cette mutation dans la consommation conduit à un déplacement d’accent dans les analyses, qui évoluent d’une répartition des ressources à une répartition du temps disponible : les activités, gratuites ou non, suscitées par l’implantation d’équipements collectifs et la création de services dans le domaine culturel deviennent directement concurrentes de la consommation des ménages. Cette évolution à long terme de la consommation se caractérise aussi par d’autres orientations. Tout d’abord, la hausse du revenu suscite chez le consommateur la recherche de la nouveauté dans la consommation : à tous les niveaux, une augmentation du revenu permet au consommateur d’accéder à la consommation d’objets nouveaux pour lui, répondant à des besoins qui s’éloignent des catégories classiques. Dès lors, la prévision en matière de consommation ne peut s’appuyer sur le prolongement d’évolutions passées ; seules les grandes fonctions, dont la définition a l’assentiment de tous les utilisateurs (alimentation, habillement, santé), ont une évolution apparemment stable. Leur importance dans la consommation et l’homogénéité relative de leur contenu leur confèrent une certaine inertie. Mais cette importance et cette homogénéité diminuent, si bien que la prévision devient très délicate en raison de la part croissante prise par les produits et services nouveaux. D’autre part, la consommation devient de plus en plus une manifestation de l’activité des individus ; en d’autres termes, c’est par cette activité que l’on connaît le mieux les individus, plus que par l’originalité dont ils témoignent dans les consommations de subsistance, qui n’impliquent pas les mêmes possibilités d’option.

Enfin, l’évolution de la consommation fait ressortir un dernier aspect, celui d’une substitution progressive du domaine durable au domaine fongible. Les services, eux aussi, sont dynamiques : certains sont liés à la possession de biens (entretien, réparation), d’autres à des activités, d’autres encore à l’évolution des relations sociales (assurances, dépenses d’ordre juridique ou frais légaux, services rendus par des institutions). Plus que la consommation, la possession est un moyen pour un individu de s’affirmer, de se situer par rapport aux autres. Les possibilités offertes sont de plus en plus larges, et la pression du milieu est certainement plus forte pour un bien qui se voit, qui dure, que pour un produit périssable. Il est naturel que l’intérêt des individus se porte sur la consommation qui leur laisse une certaine maîtrise, compte tenu de leur niveau de vie. C’est là qu’ils peuvent s’exprimer le plus librement. D’autre part, du point de vue économique, les dépenses en biens durables, toujours élevées, réclament une certaine planification des emplois et, quelquefois, des ressources du ménage. Elles bouleversent les perspectives économiques individuelles. On assiste à une transformation du cycle de vie économique : vulgarisation plus ou moins consciente du calcul économique ou du recours au crédit, ou des deux. L’épargne prend de plus en plus une forme contractuelle : remboursement de crédits pendant la période de la vie où le revenu croît. Ce mode de gestion implique un calcul à long terme s’il s’agit d’achat de logement ; il facilite le maintien de décisions qui seraient peut-être remises souvent en cause si ces contrats n’existaient pas, mais demande une certaine maîtrise, une certaine information, une certaine adaptation sociale.

Les tendances à long terme peuvent recouvrir des variations importantes de l’évolution à court terme sous l’action de deux grands facteurs : l’évolution des prix et celle du niveau de revenu des ménages. Un certain nombre de consommations restent relativement stables, quelle que soit l’augmentation ou la stagnation du revenu. Il s’agit essentiellement des dépenses alimentaires. Paraissent également inélastiques les postes du budget qui ont une origine contractuelle ou institutionnelle : loyer, frais d’assurances, achats de biens durables commandés longtemps à l’avance comme les voitures. Au contraire, d’autres consommations sont très sensibles aux fluctuations des revenus et des prix. C’est le cas de l’habillement : les ménages ont très nettement tendance à reporter les achats vestimentaires en période de baisse des revenus, et ces achats se gonflent brusquement dès que la conjoncture s’améliore. C’est aussi le cas de l’équipement du logement : les achats de réfrigérateurs, de meubles et d’articles de ménage suivent de près les fluctuations non des prix mais des revenus, à l’exception de la télévision, qui semble être un exemple de ces besoins psychologiques devenus prioritaires. Les biens de loisir, comme les appareils de photo, les articles de camping et de sport, rentrent aussi dans la catégorie des consommations élastiques : c’est le type même des biens que — le plus souvent — on achète seulement lorsqu’on a des disponibilités.


La consommation, acte social

Avec toutes les transformations observées dans le domaine de la consommation, on admet de plus en plus qu’il est indispensable de considérer la consommation comme un acte social : par exemple, il faut relier le comportement du consommateur à la structure sociale qui l’entoure. Un auteur américain, James Stembel, a ainsi le premier mis en évidence, à travers ce qu’il a appelé l’effet de démonstration, la très forte interdépendance des fonctions de consommation individuelles. Cette interdépendance naît du fait que, lorsqu’un groupe social entre en contact avec des modes d’existence et de consommation plus raffinés, il tend à éprouver de nouveaux désirs, et sa propension à consommer tend à augmenter. L’imagination est stimulée, et l’individu ressent une certaine insatisfaction. Des désirs plus forts et nouveaux s’éveillent. En d’autres termes, lorsqu’une classe sociale voit son revenu augmenter, elle se trouve entraînée à de nouvelles consommations, et cela au détriment de l’épargne, par le jeu de l’imitation de genres de vie différents du sien et observés autour d’elle. Ainsi, d’après Dorothy Brady et Rosé Friedman, le volume d’épargne d’un ménage ne dépend pas de son niveau absolu de revenu, mais de sa position dans l’échelle des revenus du groupe auquel il appartient. Si un employé, par exemple, ou un cadre se trouvent, par leur revenu, au-dessous de la moyenne de leur groupe, ils prétendent s’assurer un niveau de vie semblable à celui de ceux qu’ils fréquentent et, par suite, ont tendance à dépenser une large fraction de leur revenu et à épargner peu. S’ils sont au-dessus de la moyenne, ils atteignent saris peine le niveau de vie qu’ils considèrent comme normal, et par suite ne dépensent qu’une fraction modérée de leur revenu et épargnent abondamment.