Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

connaissance (sociologie de la)

Partie de la sociologie qui se propose d’étudier les corrélations qui, dans une société donnée, s’établissent entre les structures sociales et les structures intellectuelles, entre les pratiques et les formes de connaissance.


Elle postule qu’une société constitue une totalité et qu’ainsi les types de conscience sont nécessairement en rapport de cohérence avec les structures politiques ou économiques, mais elle recherche simultanément les écarts, les discordances qui peuvent surgir entre la pratique et la pensée ; elle analyse les fonctions spécifiques remplies par les croyances et les théories communes. Dans une société hautement différenciée, les recherches particulières mettent en évidence la signification des conflits intellectuels au sein des changements sociaux, elles s’efforcent de dégager les causalités sociales des consciences collectives et de découvrir de quel groupe social un langage est plus directement l’expression. On suppose, dans ces recherches, que les agents sociaux ne sont pas nécessairement conscients de la nature exacte des rapports qui unissent leur discours aux phénomènes collectifs ; le but de la recherche est précisément de découvrir la complexité de ces liens, qui sont parfois très éloignés des intentions conscientes.

L’histoire de ces travaux se confond très largement avec l’histoire des recherches sociales. Dès que fut constituée la problématique sociologique, et que les organisations sociales devinrent l’objet d’une réflexion scientifique, se trouva en effet posé le problème des relations entre la pratique d’une collectivité et ses formes de conscience. En affirmant l’existence d’une relation nécessaire entre le système féodal et la pensée théologique, entre le système industriel et la pensée positive, entre la classe des industriels et la théorie socialiste, Saint-Simon esquissait la problématique que devaient reprendre, selon des directions différentes, Marx, Comte et Durkheim. Le principe marxiste de la détermination des idéologies par les substructures économiques de même que les réserves de Marx sur l’application mécaniste de ce schéma proposent à la fois un modèle d’explication et la nécessité de poser les termes du problème. Les recherches de Max Weber sur le rôle historique de l’éthique protestante dans la formation de l’esprit capitaliste répondent à la question essentielle des fonctions remplies par une idéologie dans le changement des structures sociales. Avec les Cadres sociaux de la connaissance (1966), Georges Gurvitch a apporté une contribution importante à cette problématique en la définissant comme l’étude des rapports entre, d’une part, les divers cadres sociaux et, d’autre part, les genres de connaissance (technique, politique, philosophique, etc.) et les formes de connaissance (mystique ou rationnelle, positive ou spéculative, etc.). À ses yeux, la classe bourgeoise du xixe s. a privilégié la connaissance scientifique. Hors de France, les travaux de G. Lukács, K. Mannheim, Pareto posent des questions qui relèvent également de cette problématique.

Le champ actuel de la sociologie de la connaissance est cependant plus étendu que ne le pensaient ses fondateurs. Il ne saurait en effet être limité aux recherches traditionnelles sur les religions et les idéologies politiques. Dans ces limites, la sociologie de la connaissance n’aurait pour objet que l’explication des croyances collectives comme si la connaissance scientifique, la recherche de la vérité échappaient à son contrôle. Or, le postulat d’une sociologie du savoir est précisément que toute affirmation, et donc aussi la découverte de la vérité, est conditionnée par la création sociale et entretient des corrélations décelables avec l’existence collective. Ainsi la sociologie de la science constitue, dans la société actuelle, en raison du développement des connaissances scientifiques et de ses conséquences sur les changements sociaux, un domaine privilégié. Les travaux poursuivis dans ce domaine se proposent de décrire les conditions sociales des innovations intellectuelles, les systèmes institutionnels de recherche et de diffusion ainsi que l’effet de cette diffusion sur les structures sociales et économiques. Et, de même, la sociologie de la connaissance ne se limite pas nécessairement à l’étude des savoirs constitués et conscients : elle se propose aussi de mettre en évidence le caractère social de la perception individuelle, contrairement à l’illusion commune qui réduit la connaissance perceptive à ses seuls caractères physiologiques et psychologiques. Comme le montrait Durkheim, les structures mentales de la perception du temps et de l’espace ne manquent pas de varier selon les groupes sociaux et de se modifier selon les formes particulières de la pratique sociale.

Toute recherche de sociologie de la connaissance doit préciser avec quel secteur social le type de connaissance considéré entretient un rapport privilégié. Dans une société archaïque fortement intégrée, il est possible que le référent soit constitué par la culture dans sa totalité : l’analyse structurale y privilégie les structures sociales, tandis que l’analyse fonctionnelle rattache plus directement les croyances aux besoins de la collectivité. Mais bien souvent une analyse fine fait apparaître dans ces sociétés apparemment stables des divergences dans les rituels, des versions multiples qui invitent à pluraliser les imputations. Pour les sociétés complexes, où la diversité des systèmes intellectuels exprime la diversité des groupes sociaux, il importe de préciser en quelle structure et, par exemple, en quelle classe sociale se situe le centre de la création intellectuelle. Il apparaît en bien des recherches qu’il n’est pas toujours pertinent de rapporter un type de connaissance à un groupe limité, et que c’est beaucoup plus une institution, une armée ou une bureaucratie par exemple, qui tend à élaborer et à défendre une structure mentale conforme à son ordre.