Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Albert Ier

(Bruxelles 1875 - Marche-les-Dames 1934), roi des Belges (1909-1934).


Le prince Albert, âgé de seize ans, était élève à l’École militaire lorsqu’il devint prince héritier. Il paracheva sa formation militaire au régiment des grenadiers, où il parcourut tous les grades de la hiérarchie militaire avant d’être nommé lieutenant général du royaume en 1907. Dès cette époque, il effectua de nombreux voyages d’études tant en Belgique qu’à l’étranger.


Le roi Albert et la Grande Guerre

Le début du règne fut marqué par d’incessants efforts en vue de renforcer la défense nationale. La loi du service militaire généralisé, votée en 1913, en fut l’aboutissement tardif. Les puissances européennes se préoccupèrent médiocrement de la Belgique dans leurs préparatifs de guerre. On s’accordait à estimer médiocre la valeur de l’armée belge, et l’on tenait pour douteuse la volonté du gouvernement de défendre effectivement la neutralité. Aussi, l’attitude ferme du roi, décrétant la mobilisation dès le 31 juillet 1914, rejetant sans hésitation l’ultimatum allemand du 2 août, assumant lui-même le commandement en chef de l’armée et organisant la défense effective du pays, eut-elle un immense retentissement à l’étranger. D’avoir préféré la guerre au déshonneur valut à la Belgique d’être considérée comme martyre et à son roi la réputation d’être un héros.

Les puissances de l’Entente, appelées au secours de la Belgique, contribuèrent beaucoup à répandre à travers le monde l’image stéréotypée du « roi-chevalier », mais la propagande de guerre alliée affectait d’ignorer les raisons particulières qui avaient entraîné la Belgique dans le conflit et qui découlaient de la violation de sa neutralité. Le roi Albert devint, bien malgré lui, le porte-drapeau des principes dont se réclamaient les Alliés. On fit de lui le symbole de la résistance à l’impérialisme germanique, l’incarnation du droit s’opposant à la force, le défenseur de la civilisation contre la barbarie, de la démocratie contre la servitude. Le roi Albert entrait vivant dans la légende.

À aucun moment, le roi ne considéra la Grande Guerre comme une lutte à mort entre deux conceptions politiques incompatibles. Selon lui, il s’agissait essentiellement d’un conflit entre deux grandes puissances, l’une insulaire, l’autre continentale, avec l’hégémonie mondiale pour véritable enjeu. En raison de sa position stratégique, la Belgique avait été entraînée malgré elle dans un conflit qui ne la concernait pas.

Ces considérations commandèrent tout au long des hostilités l’attitude du roi, déterminée par deux principes fondamentaux : l’indépendance et la neutralité de la Belgique. Il est indubitable que son action fut constamment inspirée par la préoccupation majeure de rétablir l’indépendance belge, de restaurer l’intégrité du territoire national et de réduire, dans toute la mesure du possible, les souffrances résultant de la guerre et de l’occupation.

Le roi Albert tenait la guerre en aversion. Il fut l’un des rares chefs d’État à garder sans cesse la maîtrise des événements, donnant en toutes circonstances la priorité à la diplomatie sur l’effort militaire, guettant chaque occasion favorable à l’ouverture de négociations de paix. L’horreur que lui inspirait la guerre ne provenait pas seulement d’un sentiment humanitaire : il estimait que la politique de guerre à outrance à laquelle s’abandonnaient les Alliés compromettait gravement le futur équilibre des forces en Europe. Par ailleurs, à mesure que la guerre se prolongeait, le souverain s’inquiétait d’un renforcement des mouvements révolutionnaires.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les rapports entre la Belgique et les Alliés aient été émaillés de divergences de vues et de malentendus. Le point de discorde le plus important fut sans doute le statut de l’armée belge, reflet fidèle des modalités de coopération entre la Belgique et les Alliés. À de multiples reprises, le roi eut à s’opposer aux insistances du commandement français, visant à subordonner l’armée belge à un commandement allié unique. En veillant à ce que l’armée reste en totalité et exclusivement sous son autorité, il entendait affirmer la neutralité belge sur le plan militaire : l’armée n’était au service d’aucune cause autre que celle de l’autonomie de son pays.

La collaboration de l’armée belge aux offensives alliées fut souvent difficile à obtenir et toujours strictement mesurée. Le roi jugeait que l’équilibre des forces en présence vouait à l’échec l’offensive à tout prix, chère aux Alliés. Au surplus, avec un potentiel démographique limité et des réserves inexistantes, l’armée belge n’aurait pu résister aux hécatombes de la stratégie offensive. Aussi, le roi s’en tint résolument à la défensive, évitant de ce fait le risque d’être enfoncé par une contre-offensive allemande.

Adossée à la mer, l’armée belge tenait l’extrême gauche du front occidental ; son secteur, le réduit de l’Yser, s’étendait sur une longueur de 38 km. À diverses reprises, le roi dut insister auprès des Alliés afin que l’inviolabilité de ce qui restait de territoire à la Belgique soit un principe irrévocablement admis. Il fallut également de fréquentes interventions royales pour que les Alliés renoncent à leurs projets offensifs à travers la Belgique, qui menaçaient l’intégrité du pays. À ces projets, le roi opposait un plan d’attaque allant de Verdun, par la rive droite de la Meuse, en direction de Montmédy, Virton et Bastogne, et qui, en cas de réussite, aurait contraint l’Allemagne à évacuer non seulement la Belgique, mais encore toute la partie envahie de la France.

Il est à peine exagéré de dire que le roi Albert mena, durant la Première Guerre mondiale, trois guerres : contre l’Allemagne, contre les Alliés, contre ses ministres, réfugiés au Havre et trop souvent enclins à se laisser séduire par d’illusoires promesses d’annexions territoriales.