Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Albanie (suite)

Devant les difficultés rencontrées pour réduire la mobilité des colons qui menacent le pouvoir central (Bulgares, Petchenègues, Serbes), devant les invasions des Normands et la convoitise de Venise, les empereurs byzantins utilisent ces montagnards non intégrés comme soldats, en les installant à l’intérieur des Balkans et en leur cédant des terres appelées stratiotopia (emplacements militaires), situées en des points stratégiques, dans les défilés, autour des villes fortifiées. Mais le pouvoir central ayant été gravement atteint par les incursions des croisés, les chefs de clans illyriens rassemblent des terres pour leur propre compte. Ainsi verront le jour le despotat d’Épire et la principauté de Kruja dans la région montagneuse, au nord de Tirana (région appelée Albanum par les Romains et Arben par les indigènes).

En 1271, le roi de Sicile et de Naples, Charles Ier d’Anjou, occupe Durazzo (l’actuel Durrësi) et toutes les plaines au sud jusqu’à Berati ; il se concilie les chefs des tribus d’Albanum converties au catholicisme et se fait couronner « rex Albaniae » en étendant le terme d’Albanum à toutes ses possessions illyriennes.

Ainsi, le terme d’Albanie entre en usage en Occident et en Orient ; ce fait devait être décisif dans la délimitation de l’Albanie actuelle, encore que ce terme ne recouvrît alors qu’une petite partie des Illyriens. Les Illyriens du nord d’Albanum seront slavisés et ne garderont qu’un faible lien de parenté avec les tribus d’Albanie ; les Illyriens du sud, ceux qui ne partiront pas lors de l’évacuation du Péloponnèse par les Vénitiens, conserveront leur langue jusqu’à nos jours, même en habitant aux portes de la capitale grecque.

Entre-temps, les principautés d’Albanum se trouvèrent exposées à l’expansion ottomane. Certains clans se rallièrent, d’autres résistèrent jusqu’au moment où le fils d’un prince rallié, élevé à la cour du Sultan, Georges Castriota, appelé par les Ottomans Skanderbeg (seigneur Alexandre) [1443-1468], put liguer la plupart des chefs de clans albanais et résister victorieusement aux Ottomans pendant vingt-cinq ans, sans pour autant se mettre au service des Occidentaux.

Au lendemain de la mort de Skanderbeg, les Albanais traitèrent avec les Ottomans, et la majorité d’entre eux se convertirent à l’islām. Les Turcs se servirent alors des montagnards albanais chrétiens et musulmans comme gendarmes de leur empire. Beaucoup parmi eux servirent dans le corps d’élite des janissaires, et la secte religieuse des « bektaşî », qui se développa au sein de ce corps, choisit pour centre européen la ville de Kruja, citadelle préférée de Skanderbeg. Par la même voie, les Albanais accédèrent aux grades élevés de l’administration ottomane et donnèrent même à l’Empire des lignées de « grands vizirs » (les Köprülü, par exemple).


Vers l’autonomie

Lorsque, à partir du xviiie s., des tendances centrifuges se développèrent au sein de l’Empire ottoman, deux mouvements autonomistes, celui des pachas de Scutari (auj. Shkodra), du clan albanais des Bouchatli (1757-1831), et celui d’‘Alī pacha de Ioannina, connu en France par la littérature romantique du xixe s., tentèrent de soustraire l’Albanie au pouvoir du Sultan. Mais ce dernier réussit à briser l’alliance entre les Albanais musulmans et les Albanais chrétiens, que ‘Alī pacha avait forgée, et utilisa les premiers contre la révolution grecque de 1821, parmi les défenseurs de laquelle se distinguèrent les Albanais chrétiens orthodoxes.

Devant la désagrégation de l’Empire ottoman, les hauts fonctionnaires albanais, après avoir soutenu le mouvement des « Jeunes-Turcs », se rallièrent aux courants patriotiques qui réclamaient une Albanie indépendante. Ainsi, en 1912, l’Empire ottoman, qui n’était plus que la « Turquie », reconnut l’autonomie, puis l’indépendance de l’Albanie, cependant que le peuple devait se battre contre les Serbes monténégrins et grecs pour les obliger à évacuer les territoires qu’ils lui contestaient.


L’Albanie indépendante

Au cours de la Première Guerre mondiale, l’Albanie du Nord fut occupée par les armées de l’Entente et l’Albanie du Sud par les Italiens. Le prince allemand Guillaume de Wied, qui, en 1914, avait été désigné comme souverain du plus jeune État européen par la conférence de Londres, ne put y régner que quelques mois. Au lendemain de la guerre, une démocratie albanaise fut instaurée sur l’initiative et sous la présidence d’un évêque orthodoxe et poète, Fan Noli, qui essaya de résoudre les problèmes d’un pays encore plongé dans la féodalité. Mais un gros propriétaire terrien, fils d’un pacha du pays, Ahmed Zog, soutenu par les Serbes, s’empara du pouvoir. Président de la jeune république en 1925, Ahmed Zog se proclama roi sous le nom de Zog Ier le 1er septembre 1928. Pour consolider un pouvoir aléatoire, contesté par les montagnards et les démocrates, Zog Ier fut amené à faire des concessions à l’Italie et à assujettir l’économie du pays à celle de cette puissance. Ainsi, le débarquement des troupes italiennes en Albanie, en avril 1939, n’étonna-t-il personne ; le roi gagna l’Angleterre avant de finir ses jours à Suresnes en 1961.

L’Albanie servit de tremplin, en octobre 1940, à l’agression italienne contre la Grèce, mais l’armée italienne fut rapidement refoulée. L’armée grecque occupa l’Albanie du Sud, tant revendiquée par les Grecs comme « Épire du Nord », jusqu’à l’invasion allemande. À ce moment, une poignée de communistes put canaliser le mécontentement populaire contre les ingérences étrangères et organiser un mouvement de résistance très important (80 000 résistants enrôlés dans l’armée de libération, sur une population de 1 700 000 habitants).


L’Albanie république populaire

L’Albanie se libéra par ses propres forces et choisit le camp socialiste. En décembre 1945, elle se proclama république populaire. Le parti communiste albanais, sous la direction d’Enver Hoxha, ancien élève et professeur du lycée français de la ville de Korça, et de Mehmet Shehu, ancien des brigades internationales d’Espagne, distribua d’abord des terres aux paysans (1945-1946), puis lança une collectivisation qui n’aboutit complètement qu’en 1967.