Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

comportement (suite)

La notion de comportement s’est historiquement constituée par opposition à celle de conscience, ou, selon un terme plus moderne, de subjectivité ; encore actuellement, elle ne peut être correctement comprise que dans cette opposition. La vie psychologique quotidienne entraîne non à percevoir les comportements d’autrui dans leur nudité objective, mais bien plutôt à appréhender dans une même saisie les actes et les interprétations auxquelles ils peuvent donner lieu, les gestes ou les paroles et leurs significations ; ainsi on ne voit pas de façon naturelle l’extension d’un bras suivie d’une flexion des doigts en opposition avec le pouce, mais plus simplement — en fait de façon plus construite — un homme qui prend un objet. La prise en considération des seuls comportements implique donc une abstraction qui va à l’encontre des habitudes communes de perception et de connaissance des êtres vivants ; elle impose de ce fait un véritable ascétisme cognitif.

Il est intéressant de relever la part prise par la psychologie animale dans l’élaboration de la notion de comportement. C’est en effet à propos de l’animal que la contradiction s’est d’abord développée de la façon la plus visible entre une interprétation spontanée de ses activités en termes de psychologie anthropomorphique subjective et les données réellement observées. Les controverses qui se sont établies à la fin du xixe s. et au début du xxe entre les tenants d’une psychologie traditionnelle, prêtant aux animaux toute une gamme de sentiments, de connaissances, de volitions dérivés de l’introspection, et les novateurs, soucieux de ne fonder leurs conclusions que sur des observations objectives, ont largement contribué à ce que se dégagent de leur gangue subjectiviste les phénomènes de comportement. Encore aujourd’hui, l’exemple des animaux permet de comprendre plus aisément qu’on ne peut connaître l’individu qu’à partir de ce qu’il fait ou manifeste.


Comportement et béhaviorisme

La constitution de la notion de comportement s’est effectuée dans un contexte philosophique et idéologique qui en a largement marqué le destin ultérieur ; le principal trait en est sa confusion fréquente avec la conception béhavioriste de la psychologie.

En fait, on pourrait trouver les racines du concept de comportement, sous sa forme d’ailleurs la plus mécaniste, dans la conception cartésienne des animaux-machines et dans les idées qui en découlèrent chez les philosophes français matérialistes du xviiie s. Le développement de la physiologie scientifique au xixe s. et notamment l’importance accordée à la notion de réflexe préparèrent ensuite son avènement : on peut considérer que la première étude scientifique du comportement fut celle qui fut effectuée par I. P. Pavlov, dans le prolongement des conceptions de I. Setchenov, sur les réflexes conditionnels. Mais, dans ces travaux, le concept de comportement n’était pas explicitement utilisé ; il ne le fut que lorsque J. B. Watson reprit au compte de la psychologie béhavioriste tous les apports de l’étude du conditionnement.

De son côté, Piéron, dès 1908, faisait du comportement l’objet d’étude de la psychologie, qu’il considérait comme une science biologique, distincte de la physiologie, mais, à la limite, réductible à elle. En dépit de cette prise de position précoce et de l’activité scientifique importante de Piéron, c’est seulement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que l’étude du comportement a pris véritablement son essor en France. La raison de ce retard doit être cherchée principalement dans les résistances opposées à toute étude objective du psychisme humain par la tradition philosophique française dominante, essentiellement fondée sur le spiritualisme et le mentalisme.

C’est certes aux États-Unis que la notion de comportement a connu son succès le plus immédiat et le plus large. Il avait été préparé par les premières études de psychologie objective, notamment de psychologie animale, comme celles qui furent entreprises d’abord par E. L. Thorndike. C’est l’article de J. B. Watson, en 1913, Psychology as the Behaviorist Views It, qui marqua l’acte de naissance du béhaviorisme. Pour la première fois se trouvaient énoncés clairement et rigoureusement les principes d’une psychologie rejetant tout recours à l’introspection et ainsi entièrement fondée sur la mise en relation des réactions d’un organisme et des stimuli objectifs qui agissent sur lui.

Par rapport à cette conception, il est particulièrement important de bien délimiter la place que la négation de la conscience ou de la subjectivité est appelée à tenir dans une psychologie de comportement. Cette place peut être définie de trois manières bien distinctes.

La plus extrême consiste à dénier explicitement sinon toute réalité, du moins toute existence efficace à la conscience, conçue comme un « épiphénomène ». Cette façon de voir est en fait une curiosité philosophique ; on ne la rencontre jamais dans les écrits des chercheurs, et elle n’est guère prise en considération que par les philosophes spiritualistes, qui s’en servent comme d’un repoussoir.

Une seconde prise de position, que l’on peut qualifier de positivisme absolu, consiste à refuser le recours non seulement à la notion de conscience ou de subjectivité, mais encore à tout concept, fût-il hypothétique, renvoyant à une variable ou à une réalité interne. Pour les tenants de cette conception, dont le plus illustre est B. F. Skinner (né en 1904), il n’y a pas lieu, du moins à l’étape actuelle, d’élaborer de théorie tentant de décrire et d’expliquer ce qui se passe entre les stimuli et les réactions ; il suffit d’essayer de dégager les relations existant entre ces deux classes d’événements observables.

Enfin, une troisième orientation consiste à s’appuyer sur ces relations pour inférer soit des variables définies de façon mathématique, soit des entités — mécanismes ou processus, caractéristiques individuelles, etc. — auxquelles on prête une existence réelle et qui se situent entre les stimuli et les comportements, à l’intérieur de l’individu.