Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

commedia dell’arte

L’expression désigne d’abord un théâtre d’acteurs professionnels. On l’appelle aussi commedia all’improvviso ou a soggetto (théâtre où le texte est improvisé d’après un sujet, c’est-à-dire un scénario ou « canevas »).



Généralités

À l’étranger, en France en particulier, ce théâtre porte le nom de comédie italienne à partir du xviie s. Commedia dell’arte désigne donc à la fois une certaine structure professionnelle du théâtre italien et, par extension, un type de spectacle dont le répertoire (couvrant non seulement la comédie improvisée, mais la comédie écrite, la pastorale, la tragi-comédie, la tragédie) repose avant tout sur un grand nombre de canevas et sur une série de personnages fixes portant pour la plupart des masques, et cela pendant une période allant de 1550 environ jusqu’à la fin du xviiie s.

On ne trouve pas en Italie de compagnie d’acteurs professionnels avant 1545 (Padoue : la Fraternal Compagnia de Maphius de Re, avec statuts déposés par-devant notaire) ; jusque-là, le théâtre relève de l’initiative privée (aux xve et xvie s. à Venise, par exemple, des clubs de jeunes patriciens [Compagnie della Calza] prennent en charge l’organisation des fêtes et spectacles), et les acteurs sont des amateurs qui jouent lors de représentations occasionnelles. La première de ces compagnies itinérantes de professionnels est celle des Gelosi (les Jaloux) [1568-1604], qui jouent devant la cour de France à Lyon en 1575, à Paris en 1577 et en 1603, et où s’illustrent les Andreini. Bien d’autres suivront, comme les Desiosi (les Désireux), les Confidenti (les Confidents), les Uniti (les Unis), etc. Citons en France : la Comédie-Italienne installée à Paris de 1653 à 1697 (date de son expulsion sur ordre de Louis XIV), et dont le nom recouvre plusieurs troupes qui jouent au Palais-Royal en alternance avec la compagnie de Molière ; au xviiie s., la prestigieuse compagnie de Luigi Riccoboni (dit Lelio), venue de Venise en 1716 et qui, installée à l’Hôtel de Bourgogne, fusionnera en 1762 avec la compagnie de l’Opéra-Comique, ce qui entraînera en 1779 le licenciement des acteurs spécialisés dans le répertoire italien traditionnel (à l’exception d’un seul : Carlo Bertinazzi, dit Carlin). On peut situer à cette date la mort définitive de la commedia dell’arte. Ces compagnies, bien qu’itinérantes, dépendent le plus souvent d’une cour italienne ou étrangère. La présence d’actrices est attestée dès 1568.


Le matériel théâtral

Pour le répertoire, nous nous en tiendrons à ce qui constitue l’originalité de la commedia dell’arte, à savoir la comédie « improvisée ». Le canevas (canovaccio), ou scénario, indique le schéma de l’action, les personnages, les situations, les entrées et sorties des acteurs, et la place des répliques, des tirades ou des numéros qui leur reviennent. Le schéma de l’action est emprunté à une ou à plusieurs comédies écrites. Sa structure est celle d’une comédie d’intrigue et repose sur des motifs traditionnels empruntés à la comédie latine, à des traditions régionales, à des nouvelles (celles de Boccace en particulier), motifs déjà réélaborés par les auteurs de comédies humanistes du xve s. comme par les inventeurs de la comédie savante (l’Arioste, Machiavel, l’Arétin, Ruzzante) : amours contrariées, jumeaux, quiproquos, reconnaissances. Les protagonistes sont des personnages issus de ce même répertoire classique et de la tradition des bouffons de cour qui s’illustrent à la même époque (Zuan Polo, Cimador) et qui sont fortement stylisés : le Capitaine (issu du Miles gloriosus de Plaute), le Vieillard amoureux, le Docteur ignorant, le Pédant, les amoureux, le serviteur rusé. Ce théâtre fonctionne sur l’alternance de scènes comiques et pathétiques et sur l’utilisation d’un certain nombre de moyens techniques dûment répertoriés (tirades, concetti — figures de rhétorique —, morceaux de bravoure, ou bravure, réservés généralement au Capitaine, lazzi, c’est-à-dire mimiques, « gags »), où la pantomime et l’acrobatie tiennent une grande place. Le lieu théâtral est neutre, et toute recherche d’adéquation réaliste du décor au sujet est exclue : une place, deux ou plusieurs maisons en constituent l’élément essentiel.

Ce qui prévaut n’est donc pas l’intrigue, fondée sur des motifs reconnaissables et où l’ingéniosité consiste à combiner le déjà-vu, mais le comédien. En témoigne la monotonie des scénarios, dont plus d’un millier nous sont parvenus depuis le premier recueil de cinquante scénarios publié en 1611 par Flaminio Scala, dit Flavio, dans son Teatro delle favole rappresentative jusqu’au choix de scénarios édités et traduits en 1965 par S. Thérault. L’évolution historique de ces scénarios montre d’ailleurs la part de plus en plus grande faite aux répliques et aux trouvailles comiques au détriment de l’intrigue et des situations. Parmi les principaux auteurs de scénarios, outre F. Scala, on distingue Giovan Battista Andreini (1579?-1654), Domenico Locatelli (1613-1671), Tristano Martinelli (v. 1556-1630), Domenico Biancolelli, dit Dominique (1636-1688), Evaristo Gherardi (1663-1700), Carlo Bertinazzi (1710-1783), tous acteurs de la commedia dell’arte.

Outre les recueils de scénarios, nous disposons de « génériques » (manuels rassemblant toutes les répliques se rapportant à un emploi), de centons (recueils de morceaux de bravoure et de tirades empruntés aux grands auteurs ou écrits tout exprès pour les compagnies : Goldoni y collaborera) et d’un traité d’Andrea Perucci, Dell’arte rappresentativa, premeditata e all’improvviso (Du théâtre écrit et improvisé, 1699).

L’art du comédien se réalise dans l’emploi fixe qui est celui d’un « masque » donné (l’usage du masque rappelle la tradition du carnaval). Les personnages, et par conséquent les acteurs, sont le plus souvent au nombre de dix, à savoir deux valets, deux femmes (Prime Donne), deux amoureux, une soubrette (la Fantesca), le Capitaine, le Vieillard, le Docteur. Les valets dérivent du type initial du zanni (Giovanni, Jean), à l’origine faquin (porteur), puis serviteur bergamasque, devenu très tôt un emploi de bouffon avant d’être un masque de la commedia dell’arte. Ce masque se dédouble : le valet astucieux, le valet niais et voleur ; le premier prend le nom et le costume à raies vertes sur fond blanc de Brighella, de Pedrolino (Pierrot), de Scapino ; le second devient Arlequin ; d’autres variantes pourront les remplacer, dont Pulcinella (Polichinelle), masque d’origine napolitaine et de tradition très ancienne, créé à la fin du xvie s. par Silvio Fiorillo et Coviello, originaires des Abruzzes. Par ailleurs, le masque d’Arlequin change de contenu au cours des siècles : il peut devenir par exemple le type du séducteur.