Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

coloniales (troupes) (suite)

Pays-Bas, Espagne, Portugal

En dehors de la France et de l’Angleterre, plusieurs autres puissances ont été conduites, au cours de leur histoire, à mettre sur pied des forces pour la sécurité de leurs empires.

Les plus importantes furent celles de l’ancien Empire néerlandais, qui, après avoir relevé de la Compagnie des Indes orientales jusqu’au début du xixe s., furent rattachées au ministère de la Guerre néerlandais. En 1830 était créée, en dehors des forces métropolitaines, une armée coloniale qui compta de 20 000 à 40 000 hommes, aux trois quarts autochtones, souvent renforcée par les barisans, sorte de troupe supplétive levée dans les sultanats d’Insulinde. Cette armée disparut avec l’indépendance de l’Indonésie en 1949.

Dans leur immense empire d’Amérique, où servaient 60 000 hommes au xviiie s., les Espagnols n’utilisèrent le recrutement local que pour former des bataillons de milice créole. Après la perte de leurs derniers territoires américains (1898), c’est au Maroc que les Espagnols retrouvèrent leur tradition coloniale, marquée notamment en 1920 par la création d’une remarquable légion étrangère : le Tercio.

Héritier lui aussi d’un illustre empire, le Portugal disposait d’une armée coloniale autonome comprenant en Afrique un régiment d’outremer, l’Ultramar, et de bataillons de chasseurs coloniaux à recrutement autochtone. De 1961 à 1974, la rébellion de ses possessions africaines a obligé le Portugal à envoyer au Mozambique, en Angola et en Guinée, près des deux tiers de ses forces terrestres (142 000 hommes en 1972).

On mentionnera enfin l’existence de troupes coloniales allemandes, belges et italiennes, dont le rôle fut toutefois sensiblement moins important.

H. de N.

colonialisme

Doctrine qui tend à légitimer par des raisons politiques ou morales l’occupation et l’administration d’un territoire, voire d’une nation, par le gouvernement d’un État étranger.


L’histoire du colonialisme remonte fort loin ; l’Antiquité nous offre ainsi de nombreux exemples d’exploitation et de domination d’une société par une autre. C’est cependant l’expansion européenne du xixe s. qui donna au phénomène une ampleur et une aire d’extension jamais connues jusqu’alors. Une démarche sociologique renvoie la notion de colonialisme à trois phénomènes distincts et successifs : la situation coloniale, la décolonisation et la situation néo-coloniale.


La situation coloniale

Le fait colonial correspond à une étape en grande partie dépassée maintenant à la suite du processus de décolonisation et de la dénonciation des formes de colonialisme qui en résulta. Cependant, l’utilisation polémique du terme ne doit pas cacher une réalité actuelle qui englobe de nouvelles formes de domination dans la situation néo-coloniale.

Trois forces conjuguées concoururent à l’établissement de la domination coloniale : les actions militaires et administratives, les entreprises économiques et les visées missionnaires.

Une des principales causes de transformation fut d’abord l’ordre et l’unité que faisaient régner sur les territoires conquis les forces militaires étrangères, ainsi que l’ouverture de pistes et l’implantation d’une structure administrative. Cela permit le développement des entreprises privées, celui des compagnies commerciales et l’implantation des colons isolés. Au niveau des populations autochtones, les prélèvements d’impôts obligèrent les paysans à rechercher des liquidités et les incitèrent à pratiquer de nouvelles cultures destinées à l’exportation. L’administration se révéla ainsi l’instrument de domination de la société étrangère. L’implantation militaire et administrative prépara et accompagna d’autres types d’action plus directement économiques.

La politique d’expansion coloniale répondait aussi à des motifs d’ordre économique. La mise en valeur du pays colonisé explique les exactions qui sont alors pratiquées, de l’expropriation des terres au travail forcé. Les recrutements coercitifs de main-d’œuvre jalonnent l’histoire coloniale ; si l’on prend l’exemple de la colonisation française, ils sont pratiqués en Afrique équatoriale pour la construction du Congo-Océan, au Mali (alors Soudan français) par l’Office du Niger, et en Côte-d’Ivoire par l’administration au profit de particuliers, afin de favoriser le développement de l’économie de plantation. Les formes prises par le commerce d’import-export dans les villes côtières, l’exploitation à grande échelle des territoires à partir d’un médiocre équipement industriel, la pauvreté des masses autochtones caractérisent la situation économique et sociale de cette époque.

L’action missionnaire, si elle diffère dans ses buts explicites des deux autres, est néanmoins structurellement liée à celles-ci. Elle est perçue par les populations dominées comme un prolongement (ou une annonce) de l’action coloniale. Elle participe directement par les valeurs qu’elle véhicule à la destruction de la société traditionnelle et précipite ainsi la crise de la société colonisée dans son ensemble.

Le peu de souci pour les cultures autochtones et au contraire les préoccupations nées des nécessités qu’affrontent les pays européens à la conquête de nouveaux territoires aboutissent à un découpage artificiel des sociétés sous administration coloniale. Le phénomène est particulièrement net en Afrique occidentale, où d’une part des peuples qui étaient séparés par l’histoire précoloniale ont été amenés à coexister (en Côte-d’Ivoire par exemple, où l’on retrouve des représentants des groupes krous à l’ouest, akans à l’est, mandingues au nord), et où d’autre part des ethnies ont été divisées par les frontières de la colonisation (situation des Ewés, partagés entre le Togo et le Ghāna).

La situation coloniale est fondée sur un système de rapports complexes entre la société colonisée et la société colonisante qui concourent à la domination de celle-là par celle-ci à tous les niveaux. À l’époque classique du colonialisme, les territoires occupés forment des sociétés composites et hiérarchisées. Un cadre politique unique est imposé à des populations d’origines culturelles souvent fort différentes. Au sommet de cette hiérarchie, on trouve une minorité dominante, étrangère à la société dominée et originaire du pays colonisateur. Elle assoit sa domination sur sa supériorité matérielle, sur l’exercice du pouvoir, sur la détention de la force et sur la reconnaissance internationale. Cette minorité, issue de milieux sociaux divers (la colonie est souvent un microcosme appauvri de la société d’origine), se constitue en caste sûre de ses droits et de sa supériorité. Elle pratique une politique de ségrégation raciale qui vise à réduire au minimum le contact avec la masse des colonisés. La ségrégation, maintenue par la force, se concrétise dans l’espace par la séparation de la ville blanche des quartiers populaires indigènes. Le plan des anciennes villes coloniales d’Afrique en témoigne directement avec leur ceinture de casernes à la périphérie de la ville coloniale. En même temps qu’elle applique d’une façon très stricte cette ségrégation, la puissance coloniale propose, comme seul modèle culturel acceptable, le sien propre, et, comme seule perspective d’évolution (avec des modalités certes différentes suivant que le colonisateur est anglais, français ou portugais), l’assimilation.