Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Cœur (Jacques) (suite)

S’étant associé à Pierre Godart et surtout à Ravant le Danois, fermier des Monnaies royales à Poitiers et à Orléans, Jacques Cœur obtient à son tour la ferme de la Monnaie de Bourges. À ce titre, il émet 300 marcs d’argent au-dessous du titre fixé, ce qui lui rapporte un bénéfice substantiel de 120 à 140 écus, mais ce qui lui vaut en 1429 une condamnation dont il n’est relevé que moyennant paiement d’une amende.

Après ce premier échec, qui ne l’empêche pas de s’enrichir en spéculant sur les métaux précieux, il investit ses bénéfices dans le commerce du Levant. Sa première opération, un voyage qui le conduit de Narbonne à Beyrouth et à Damas, se termine tragiquement par un naufrage sur les côtes de Corse (1432-33).

Jacques Cœur établit d’abord le centre de ses opérations méditerranéennes à Aigues-Mortes, mais ne peut empêcher l’ensablement de ce port malgré l’achèvement d’un canal de dérivation. Aussi transfère-t-il le siège de ses activités d’abord à Montpellier et dans son avant-port de Lattes, puis à Marseille. Admis comme citoyen de cette dernière ville en 1447, il y installe ses chantiers d’armement en 1448. Il y trouve des conditions favorables à ses activités marchandes, cette ville étant située hors du royaume et ses importations échappant par là même aux lourdes impositions françaises. Il arme dès 1445 de nombreuses galées pour l’Orient. S’assurant la neutralité bienveillante de l’Égypte en pratiquant à son profit une lucrative contrebande d’armes et de métaux ferreux, se faisant octroyer par le pape Nicolas V en 1448 le privilège très rentable du transport des pèlerins en Orient sur ses propres galées, il réussit en outre à intéresser le roi de France Charles VII à son négoce avec le Levant, où ses navires concurrencent les vaisseaux italiens.

Acheteur d’épices à Alexandrie, de tissus damassés en Syrie, de draps d’or et d’argent, de velours ras ou pelucheux, de taffetas de Florence et de Bologne en Italie, de sel dans le Languedoc, de blé dans le Toulousain et l’Italie du Sud, il redistribue ces produits jusqu’en Angleterre, en Flandre et en Allemagne, dont il réexporte les laines, les draps, les toiles et les métaux locaux ou les pelleteries des pays baltiques à destination de la France, de l’Italie et du Levant, les échanges étant assurés avec les pays britanniques et orientaux par l’intermédiaire des ports de Bruges, de Harfleur, de Saint-Malo et de La Rochelle à l’ouest, et, bien entendu, des places de Montpellier (par Aigues-Mortes ou Lattes) et de Marseille en Méditerranée. Ainsi s’esquissent peu à peu les contours de l’empire commercial de Jacques Cœur. L’entreprise du grand marchand est particulièrement bien implantée dans la vallée de la Loire, aux confins de la Saône et du Rhône ainsi que sur les bords de la Méditerranée ; elle étend ses ramifications jusque dans les plus importants centres d’affaires de l’Occident français (Bruges, Toulouse, Bordeaux) ou étranger (Londres, Genève, Barcelone, Marseille, Gênes, Florence et Naples). Jacques Cœur forme, à l’exemple des Italiens, des compagnies pour une affaire ou pour un temps limité ; il réalise des bénéfices considérables, qu’il augmente grâce à l’appui de la Cour et à la confiance intéressée que lui témoignent Charles VII et sans doute Agnès Sorel, dont il devient l’un des exécuteurs testamentaires en 1450.

Maître de la Monnaie de Bourges en 1435, commis au fait de l’Argenterie à Paris en 1436, argentier du roi en 1439 et commissaire du roi près les états du Languedoc en 1441, il est anobli la même année par le souverain ; il reçoit enfin en 1445 la charge de visiteur général des gabelles en Languedoc et Guyenne.

Il est le maître effectif des finances royales des depuis 1439 et, à ce titre, est chargé d’approvisionner l’hôtel du roi ; il fait construire dans cette intention des magasins à Tours. Surtout, il se fait octroyer par Charles VII le lucratif monopole des mines d’argent, de cuivre et de plomb du Beaujolais et du Lyonnais ; enfin, il en profite pour arracher aux commerçants de Montpellier de substantielles épices et même une pension annuelle de 250 écus en échange d’une réduction de la taille, de la taxe sur le sel et de l’appui qu’il leur assure au sein du Grand Conseil.

Pour accroître encore ses bénéfices, il entreprend de transformer lui-même en produits manufacturés les matières premières qu’il commercialise. Ainsi fonde-t-il une manufacture de soieries à Florence, une teinturerie à Montpellier en 1447, enfin une fabrique de papier à Rochetaillée, dans la région lyonnaise.

Le roi lui confie alors d’importantes missions. Négociateur du traité conclu en 1445 entre les chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem et le Soudan (sultan) d’Égypte à Rhodes, Jacques Cœur entretient des rapports constants, entre 1455 et 1456, avec le roi d’Aragon et de Naples, Alphonse V le Magnanime ; en même temps, il intervient à Gênes, en 1446, pour tenter d’y rétablir la domination française et à Rome, en 1448, où par son entrée fastueuse il cherche à impressionner Nicolas V afin d’obtenir de ce dernier une abdication honorable pour l’antipape Félix V selon le désir de Charles VII.

Sa fortune, évaluée à cinq cent ou à six cent mille écus en 1451, lui permet de consentir des prêts considérables non seulement au roi en 1450 et en 1451, afin de lui permettre d’achever la reconquête de la Normandie, mais aussi à sa favorite Agnès Sorel, au duc Charles d’Orléans, à Dunois, etc.

En outre, à l’image des autres membres de la haute bourgeoisie, il rachète à la noblesse, ruinée par la guerre de Cent Ans, de très nombreuses seigneuries et châtellenies dans le Berry, le Bourbonnais et la Puisaye ; il y ajoute la possession d’une maison, de trois immeubles et d’une loge à Montpellier, d’une maison à Marseille, de quatre maisons et de deux hôtels à Lyon, d’un magasin et d’une maison à Paris, et surtout d’un fastueux hôtel qu’il fait édifier à Bourges. Celui-ci doit servir de demeure à ce marchand, qui entend mener un train de vie aristocratique, auquel ses enfants participent soit par le mariage, soit par leur insertion dans le clergé.