Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

classicisme (suite)

L’archéologie

Ce qui distingue ce second retour à l’antique du précédent, c’est une connaissance plus complète et plus précise de l’Antiquité, dévoilée aux archéologues du xviiie s. sous des formes inconnues à ceux de la Renaissance. Ces derniers ne connaissaient l’art grec qu’à travers sa métamorphose romaine, elle-même insuffisamment étudiée. À Rome, on n’inventoria le Palatin qu’en 1720. Les richesses du Forum restèrent à demi enfouies jusqu’au milieu du siècle : les graveurs du xviiie s. n’en intitulaient-ils pas les vues Campo Vaccino (Champ-aux-Vaches) ? Ce furent Giovanni Paolo Pannini (v. 1691-1765) et son élève Piranèse* qui donnèrent les premiers dessins notoires des fouilles du Forum, le second joignant dans ses eaux-fortes (Antiquités de Rome, 1756) la robustesse du tempérament à l’exactitude scientifique.

Tivoli et la villa Hadriana (dont certaines statues mirent à la mode le style « égyptien ») furent découverts à cette époque, et les grandes collections d’antiques suscitèrent la création de musées : la villa Albani, le musée du Vatican, une partie des trouvailles faites sur le sol romain revenant de droit au pape ; lord Hamilton fournit le British Muséum. Herculanum fut fouillé surtout à partir de 1738, et Pompéi après 1748. Une série de publications répandirent l’image de ces fouilles ; citons en français les Lettres sur les peintures d’Herculanum de Charles Nicolas Cochin le Fils (1751) et le Recueil d’antiquités du comte de Caylus.

Mais la source d’un vrai renouvellement du vocabulaire classique fut la découverte de l’art grec. Paestum et les temples siciliens révélèrent le vrai dorique, aux colonnes sans bases (on nomma romain et toscan le dorique connu depuis la Renaissance). La Grèce elle-même fut étudiée enfin : les Ruines des plus beaux monuments de la Grèce de Julien David Leroy parurent en 1758 ; les Antiquités d’Athènes de Stuart et Revett commencèrent à paraître en 1762, subventionnées par un groupe d’amateurs londoniens, le Club des dilettantes. Avec l’Histoire de l’art antique de Johann Joachim Winckelmann (1764) était tentée pour la première fois une description comparée de l’évolution de l’art antique et de l’art moderne, entreprise d’importance malgré certaines bases erronées.


Le nouveau style architectural en Grande-Bretagne

C’est en Grande-Bretagne que l’admiration passionnée pour l’Antiquité ressurgie marqua le plus tôt l’architecture et la décoration. Le « palladianisme » mis à la mode par Inigo Jones avait abouti au classicisme d’un Christopher Wren*. La voie palladienne fut suivie par lord Burlington (1694-1753), construisant à partir de 1730 le bâtiment de l’Assemblée à York, réalisation d’un dessin de Palladio lui-même repris de Vitruve. Mais, vers le milieu du siècle, apparaissent les signes d’une transformation du goût dont Robert Adam* fut le principal responsable. La grande galerie et le portique d’entrée de Syon house, commencés en 1761, sont remarquables par une légèreté et une élégance fantaisistes ainsi que par le charme très pompéien de la décoration intérieure. Archéologue, Adam est connu pour sa publication des ruines du palais de Dioclétien à Spalato (auj. Split).

Sir John Soane* fit le voyage de Rome, connut peut-être Piranèse et visita Paestum ; sa manière est marquée par l’usage du dorique et de pilastres d’une telle simplicité qu’on surnomma « ordre béotien » ceux de la Dulwich College Art Gallery, près de Londres (1811-1814). Sans doute fut-il influencé par des théories en honneur à son époque, selon lesquelles l’architecture antique tenait sa noblesse de ses origines naturelles (les ordres n’étant que des versions plus élaborées de la cabane primitive). Ainsi, l’Essai sur l’architecture de l’abbé Marc Antoine Laugier (1753) voulait rendre aux ordres un rôle purement fonctionnel — état d’esprit dont Palladio, nous l’avons vu, était bien éloigné. Ce souci de revenir à la nature originelle et, contradictoirement, la complication des rapports spatiaux dans son œuvre font de Soane un romantique avant la lettre. John Nash*, auteur de la partie la plus ancienne de Regent street, à Londres, et de nombreux hôtels de Regent’s park, se situe dans une tradition plus classique ; mais il construisit aussi en style gothique, dont la mode battait déjà son plein au début du xixe s. en Angleterre.


La France

En France, vers 1760, une génération d’architectes remit en honneur la tradition classique. Parmi eux, Soufflot* connaissait les chantiers archéologiques d’Italie. Chargé, en 1755, des plans de l’église Sainte-Geneviève à Paris (le Panthéon), il la couronna d’une coupole où le souvenir de celle de Saint Paul de Londres est évident. L’idée de redonner aux ordres une valeur fonctionnelle a certainement présidé au projet : la coupole devait reposer sur des colonnes — qu’on dut remplacer par des piles pour des raisons de solidité. Les formes cubiques sans toit visible, les portiques dominés par des entablements droits — et non plus des frontons —, les façades peu mouvementées, aux avant-corps peu marqués, se retrouvent dans les œuvres de Jacques Ange Gabriel* (au château de Compiègne, au Petit Trianon), à l’hôtel des Monnaies à Paris, de Jacques Denis Antoine (1733-1801), au théâtre de l’Odéon de Joseph Peyre (1730-1785) et Charles de Wailly (1729-1798).

Cette exigence de simplicité et de logique s’accompagne d’une tendance à la mégalomanie, très sensible au niveau des projets (sur lesquels les visions architecturales de Piranèse eurent une forte influence), mais aussi à celui des réalisations, surtout vers 1780. Les proportions monumentales sont accentuées par les effets de perspective, les gradins, les colonnades — ainsi au théâtre de Bordeaux de Victor Louis (1731? - v. 1811), premier théâtre construit en France comme un bâtiment indépendant (1780). Claude Nicolas Ledoux (v. visionnaire [architecture]) est par excellence le représentant de cette tendance au grandiose : les Salines d’Arc-et-Senans sont une ville industrielle idéale, comprenant tous les bâtiments nécessaires à l’habitation, à l’éducation, au travail, aux loisirs. Ce qui en a été réalisé (1775-1779) impressionne par la monumentalité, la solidité rustique de l’appareil, qui fait une large place aux contrastes d’ombres et de lumières. Un autre visionnaire, Étienne Louis Boullée (1728-1799), que la Révolution empêcha de construire, a poussé encore plus loin l’utopie architecturale. Sous Napoléon, Percier et Fontaine*, comparés à leurs prédécesseurs, font figure d’honnêtes exécutants d’un répertoire déjà bien connu.