Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

cinétique (art) (suite)

La « nouvelle tendance »

Le principe du déplacement du spectateur, lien entre le cinétisme à mouvement réel et le cinétisme optique, est largement utilisé comme « moteur » pour des reliefs, des structures en transparence, des volumes réfléchissants. Des éléments qui captent la lumière évoluent avec le déplacement de l’œil en modifiant continuellement l’espace de ces œuvres, réalisées dans les matériaux les plus divers. Les effets produits ménagent une gamme étonnante de sensations visuelles : des croissances presque organiques sur les reliefs en bois blanchi de Sergio de Camargo (né en 1930), des vibrations imprévisibles sur les surfaces réfléchissantes de Hugo Demarco (né en 1932) et de Julio Le Parc (né en 1928), des modifications dans des séries programmées de micro-éléments chez Enzo Mari (né en 1932), Yvaral (né en 1934), Ludwig Wilding (né en 1927), Günther Uecker (né en 1930), Toni Costa (né en 1935) ou encore des changements structuraux dans les volumes transparents de Francisco Sobrino (né en 1932) et des mutations chromatiques dans les Physichromies de Carlos Cruz-Diez (né en 1923).

D’une manière plus générale, l’étude et l’application des phénomènes psychophysiologiques du mouvement sont la préoccupation centrale des artistes de la « nouvelle tendance ». Ce nom, adopté pour une exposition internationale à Zagreb, en 1961, recouvre plus un certain nombre de concepts et de vœux communs qu’un programme précis ou qu’un mouvement artistique structuré. Il cristallise des idées ayant inspiré quelques années auparavant la constitution de groupes d’artistes — à Paris (Groupe* de recherche d’art visuel), Düsseldorf, Padoue, Milan — ainsi que des expositions importantes qui marquèrent le début d’une prise de conscience sur le phénomène de l’art cinétique — « Vision in Motion-Motion in Vision », Anvers, 1959 ; « Kinetische Kunst », Zurich, 1960 ; « Bewogen beweging », Amsterdam, 1961 ; « Directions in Kinetic Sculpture », Berkeley, 1961.

Fait inédit, l’apport considérable des Sud-Américains ajoute une caractéristique particulière à la « nouvelle tendance ». Les Vénézuéliens C. Cruz-Diez et Narciso Debourg (né en 1925), les Argentins J. Le Parc, H. Demarco, Luis Tomasello (né en 1915), Martha Boto (née en 1925), Horacio Garcia-Rossi (né en 1929), Antonio Asis (né en 1932) sont des créateurs de premier ordre dans le contexte parisien, et, à leur tour, ils exercent une influence — d’ailleurs discutable — sur les artistes demeurés en Amérique du Sud.

Si chaque groupe, voire chaque créateur procède avec des moyens particuliers, tous accordent une grande importance au principe de l’instabilité qui exprime un espace-temps modifiable. Le mouvement réel ou optique intervient comme expression de cette instabilité et conduit le spectateur à une perception phénoménologique des formes en évolution permanente. En dépit de la durée relativement courte — entre cinq et neuf ans — qui fut celle des différents groupes, les équipes d’artistes ont joué un rôle décisif dans la diffusion de l’art cinétique. Aujourd’hui, celui-ci continue à s’enrichir en fonction des différentes démarches individuelles. Gianni Colombo (né en 1937) et Toni Costa travaillent sur l’art « programmé », François Morellet (né en 1926) et F. Sobrino s’intéressent aux grilles, aux trames et aux structures en transparence, J. Le Parc emploie les suspensions réfléchissantes pour créer ses « ballets de lumière ».

L’expression cinétique peut être étroitement liée à la transformation de l’œuvre par manipulation directe du spectateur. La notion de « transformable » a guidé les recherches de quelques cinéticiens comme E. Mari, B. Munari, Yaacov Agam (né en 1928), Paul Talman (né en 1932). Le spectateur change la structure des œuvres en modifiant la position d’éléments articulés ou pivotants, réorganise des éléments mobiles sur une surface, secoue des boîtes transparentes à l’intérieur desquelles les formes s’organisent librement. Les Brésiliens Lygia Clark (née en 1920) et Helio Oiticica (né en 1937) offrent au spectateur une intégration totale à l’aide de propositions qui répondent aux énergies organiques profondes : les travaux en matériaux souples de L. Clark suivent le rythme de la main qui « communique » avec la proposition visuelle, tandis que les capes d’Oiticica, les Parangolés, enveloppent littéralement le porteur dans la couleur tactile. Avec les transformables et ce qu’ils offrent de possibilités imprévisibles, le cinétisme est proche des happenings* ; à la proposition visuelle s’ajoute par ailleurs un esprit ludique.


Œuvres en mouvement réel

Selon la source du mouvement réel dans l’œuvre cinétique, on peut distinguer trois types de propositions plastiques : les œuvres qui sont mues à l’aide d’un moteur (systèmes électriques, mécaniques ou électromécaniques), les œuvres lumino-cinétiques, et celles qui utilisent le potentiel cinétique d’éléments et de phénomènes naturels. Les mouvements produits, plus ou moins complexes, varient en vitesses, en rythmes, en directions et en intensités. Ils établissent un espace-temps particulier à chaque œuvre, peuvent être silencieux, musicaux ou bruyants et, très souvent, se trouvent en rapport direct avec les manifestations de la lumière.


Machines

Le Belge Pol Bury (né en 1922) a été l’un des premiers à utiliser les moteurs électriques dans ses recherches plastiques. Ses œuvres suivent un rythme imprévisible, dans un « temps dilaté » par des mouvements extrêmement lents, « anonymes, silencieux et surnaturels ». Ce sont des constructions en caoutchouc ou en Nylon, en lattes de bois, en tiges ou en boules de métal qui présentent au spectateur un arrangement plastique cachant la source électromécanique (ou électromagnétique) du mouvement. Leur contraste avec les machines du Suisse Jean Tinguely* est frappant ; sa recherche, développée avec ironie et puissance d’invention depuis 1945, met en évidence le pouvoir de fascination de la machine, en même temps que sa critique, dans des constructions relevant de l’absurde. Le son joue un rôle important dans les rapports entre les divers mouvements de chaque œuvre. Avec ses débris de machines et d’objets trouvés, Tinguely aboutit à des inventions de plus en plus volumineuses et surprenantes : le paradoxe culmine dans les machines autodestructives et les machines-happenings.