Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Churchill (sir Winston Leonard Spencer) (suite)

Mais en 1922, alors que se disloque la coalition des libéraux et des conservateurs, Churchill est battu aux élections : en suivant Lloyd George, il s’est aliéné des libéraux sans désarmer pour autant la hargne des conservateurs à son endroit. Paralysé en outre par une crise d’appendicite, il se trouve désavoué par les électeurs de Dundee, qui l’avaient soutenu fidèlement depuis 1908. Déprimé, mais ne perdant pas son sens de l’humour, il se retrouve, selon ses propres termes, « sans portefeuille, sans mandat, sans parti... et sans appendice ». Il se remet à écrire (un gros ouvrage sur la crise mondiale de 1911-1918), se lance dans la peinture, son passe-temps favori.

Aux élections de 1924, ralliant le parti conservateur, il réussit à conquérir un siège dans la banlieue londonienne cossue de l’Essex, et Baldwin lui offre le poste de chancelier de l’Echiquier. Bien que peu attiré par les finances, Churchill accepte. En rétablissant l’étalon-or, il déchaîne contre lui les critiques virulentes de Keynes (qui rédige un pamphlet intitulé les Conséquences économiques de M. Churchill, 1925).

Au cours de la grève générale, il fait face non seulement avec une détermination froide, mais avec une combativité agressive aux syndicats, qui l’exècrent. Obnubilé par la menace du communisme, il est passé du radicalisme militant au conservatisme le plus ferme, ce qui lui vaut une poussée de popularité chez les éléments les plus réactionnaires du parti. Sur le plan impérial, son opposition forcenée à toute libéralisation du régime de l’Inde démontre une irréductible fermeture à l’évolution des colonies vers l’autonomie. Une autre cause perdue d’avance à laquelle Churchill attache sa fortune : celle d’Edouard VIII, dont il se fait le champion contre le Premier ministre et l’archevêque de Canterbury, qui veulent contraindre le roi à l’abdication. L’autorité de Churchill est tombée au plus bas. Plus isolé que jamais, il ne se laisse point démonter pour autant et il continue de prêcher le réarmement.

Il est en effet un point sur lequel, sans parvenir à mieux convaincre l’opinion, Churchill se montre plus perspicace que quiconque : c’est sur le danger que fait courir à la Grande-Bretagne et à l’Europe la volonté de puissance de l’Allemagne hitlérienne. Il a beau mettre le doigt sur les menaces de la politique allemande, adjurer l’opinion anglaise de se réveiller, prôner une coopération politique et une alliance militaire étroites avec la France, on ne l’écoute guère. Le pays, hanté par la crainte de la guerre, préfère prêter l’oreille aux déclarations rassurantes de Baldwin, puis de Chamberlain, plutôt qu’aux avertissements sans complaisance de Churchill. Après l’Anschluss, Churchill met solennellement en garde : « L’Europe se trouve en face d’un plan d’agression soigneusement établi, strictement minuté, mis en exécution point par point » ; après Munich, son verdict constatant : « Nous avons subi une défaite totale et sans restriction » est accueilli par des huées. Mais, à partir de 1939, la situation se retourne. Les efforts de lucidité et de courage portent leurs fruits. La popularité de Churchill en 1940 va être à la mesure de son impopularité deux ans plus tôt.


Le chef de l’Angleterre en guerre : les années héroïques (1940-1945)

Après quelques mois de la « drôle de guerre », la confiance dans le cabinet Chamberlain s’est effritée. Dans l’opinion, on réclame la main ferme d’un chef qui mènerait la lutte avec résolution. Aussi, lorsque Chamberlain remet, le 10 mai 1940, sa démission au roi, celui-ci fait appel à Winston Churchill (qui avait été nommé Premier lord de l’Amirauté le 3 septembre 1939) pour former un gouvernement d’union nationale. Travaillistes et libéraux sont associés à la conduite des affaires. Le gouvernement peut ainsi compter sur l’adhésion unanime du pays. Il n’en faut pas moins, car après l’écrasement de la France, la Grande-Bretagne, sous la direction de Churchill Premier ministre, doit faire face à une situation dramatique. Du printemps à l’automne 1940, Churchill galvanise les énergies, définit les objectifs de la nation en termes magnifiques et intrépides, organise partout la résistance : en Grande-Bretagne, contre l’offensive aérienne de la Luftwaffe (la « bataille d’Angleterre ») et les menaces d’invasion ; en Afrique, contre les Italiens ; du côté de l’Amérique, en resserrant les liens économiques et diplomatiques avec Roosevelt (ce qui aboutit à la charte de l’Atlantique le 14 août 1941).

L’année 1941 voit l’Angleterre sortir de son isolement grâce à l’entrée en guerre de l’U. R. S. S. en juin et des États-Unis en décembre. Mais, en même temps, elle doit affronter un nouvel et redoutable adversaire, le Japon, qui commence par s’emparer de toutes les positions britanniques en Extrême-Orient. Immédiatement, Churchill apporte toute l’aide possible à l’Union soviétique et travaille à mettre sur pied une « Grande Alliance » entre les trois nations en guerre. C’est surtout avec Roosevelt qu’il instaure une étroite collaboration, politique et personnelle, qui devient la pierre angulaire de sa politique. Plutôt qu’un second front à l’ouest, Churchill préfère une stratégie méditerranéenne et balkanique : d’où le débarquement en Afrique du Nord en novembre 1942 ; puis la campagne de Sicile et d’Italie en 1943, ainsi que le soutien apporté à Tito.

Fort de son ascendant parlementaire et populaire (son autorité sur la Chambre des communes comme sur le pays est unique depuis l’ère de Pitt), Churchill mène de front la défense nationale et le gouvernement intérieur, la diplomatie et la stratégie. Il entreprend de nombreux voyages destinés à coordonner l’effort de guerre : à Washington (déc. 1941), à Moscou (août 1942), à Casablanca (janv. 1943) ; puis ce sont les marchandages des conférences des Trois Grands (Téhéran, nov. 1943). Le débarquement prévu depuis si longtemps à l’ouest a lieu le 6 juin 1944 sur les côtes de Normandie : les armées britanniques participent à la reconquête de la France, de la Belgique, de la Hollande. Le 11 novembre 1944, Churchill, aux côtés de Charles de Gaulle, est acclamé à Paris. La victoire est en vue. Au soir de la capitulation allemande, Churchill peut adresser à la nation en délire un message plein de sobriété et de dignité. Le « V » de la victoire, symbole de la silhouette churchillienne tout autant que l’éternel cigare, est devenu une réalité.