Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Churchill (sir Winston Leonard Spencer) (suite)

Pétulant et populaire, le jeune cadet rêve d’aventures. Aussitôt nommé sous-lieutenant au 4e hussards, il obtient de partir comme observateur auprès de l’armée espagnole chargée de réprimer la révolte de Cuba. Puis, envoyé en Inde, il participe à une campagne contre les tribus afghanes à la frontière nord-ouest, expédition d’où il tire son premier livre : Avec le corps expéditionnaire du Malakand (1898). Bientôt, d’autres aventures plus exaltantes encore l’attendent : une mission en tant qu’officier et correspondant de guerre du Morning Post au Soudan. Churchill charge à cheval les derviches à la bataille d’Omdurman. C’est le sujet d’un second reportage, également bien accueilli par le public : la Guerre le long du fleuve (1899). Tenté par la politique, Churchill démissionne de l’armée et se présente comme candidat à une élection partielle à Oldham. Il échoue, mais de nouvelles occasions s’offrent en Afrique du Sud à ce jeune homme impétueux qui rêve de se couvrir de gloire. La guerre du Transvaal vient d’éclater. Churchill se précipite à la bataille comme correspondant de guerre. Fait prisonnier dans Ladysmith par les Boers, il parvient à s’échapper ; sa tête est mise à prix, mais il peut câbler à son journal le récit de ses exploits. Toute l’Angleterre apprend d’un coup à connaître l’aventureux descendant du grand Marlborough.

Auréolé de sa réputation toute fraîche, il en profite pour se lancer dans la campagne électorale qui bat son plein (ce sont les élections « kaki » de 1900) et pour se faire élire député conservateur de Oldham. Sûr de lui, mêlant le charme et l’arrogance, Churchill ne reste pas longtemps conservateur : dès 1904, il se rapproche des libéraux, se lie d’amitié avec les représentants de l’aile radicale du parti, en particulier Lloyd George, et, en 1906, il est élu député libéral de Manchester. Sa récompense vient sous la forme d’un sous-secrétariat d’État dans le cabinet Campbell-Bannerman. Ainsi commence sa carrière ministérielle.

Ses dons et ses ambitions lui permettent d’escompter mieux : de fait, en 1908, Asquith, devenu Premier ministre, lui confie le portefeuille du Commerce et de l’Industrie. Churchill, qui a rallié le camp du radicalisme et de la démocratie sociale, s’emploie à limiter la journée de travail dans les mines, à lutter contre le sweating system et le chômage. Il soutient valeureusement, presque agressivement, Lloyd George dans son budget taxant les riches. Dans l’aristocratie, on s’indigne contre Churchill, traître à ses origines. Bientôt, le ministère de l’Intérieur, qui lui est affecté en 1910-11, lui donne d’autres occasions de se signaler à l’attention publique et de camper un personnage de protecteur intrépide de l’ordre public (il participe en personne à l’assaut donné par la police à un immeuble tenu par les anarchistes dans l’East End de Londres). Rêvant toujours de batailles, pressé de jouer un rôle héroïque, Churchill trouve un nouveau champ d’activité avec le ministère de la Marine, qui lui est ensuite confié. Devenu Premier lord de l’Amirauté, il fait appel à l’amiral Fisher, vieux loup de mer combatif et génial, pour l’assister (mais il se brouillera avec lui en 1915). Il pousse activement les armements navals, intervient avec fougue dans l’affaire irlandaise, qui bat de nouveau son plein, et au total se fait beaucoup plus d’ennemis que d’amis dans les cercles politiques. Pendant toute cette période, Churchill donne l’image d’une personnalité torrentielle, douée mais imprévisible, belliqueuse à plaisir, dominée par le besoin de jouer un rôle et de faire parler de soi.


Un politicien controversé (1914-1939)

Premier lord de l’Amirauté pendant la première année de la Première Guerre mondiale (1914-15), Churchill se retrouve chargé des mêmes fonctions au cours des premiers mois du second conflit mondial (1939-40). Dans l’intervalle, entre ces deux dates, son étoile a connu bien des éclipses. Si les feux de la rampe ne lui ont jamais manqué, les moments de gloire ont été moins fréquents que les heures sombres. Le panache indiscutable qui s’attache à sa vie publique n’arrive à le faire prendre pour un homme d’État responsable ni dans son propre parti ni dans l’opinion. Ses changements d’allégeance (il repasse en 1924 des libéraux aux conservateurs) ne contribuent guère à convaincre les classes moyennes, cependant que son opposition forcenée à la révolution russe, au socialisme travailliste et à la grève générale de 1926 lui aliène la classe ouvrière. Ses avertissements clairvoyants sur les dangers de l’Allemagne hitlérienne n’arrivent point à secouer l’apathie d’un pays bien décidé à maintenir la paix coûte que coûte.

La série de déceptions commence dès 1915, lorsque Churchill, convaincu de la supériorité de la stratégie périphérique sur la méthode de l’attaque frontale (il restera attaché toute sa vie à cette conviction), suggère une expédition franco-anglaise aux Dardanelles. Mal préparé, le débarquement à Gallipoli s’avère très coûteux en hommes. Loin de remplir les espoirs placés en lui, il donne lieu à de vives polémiques : le plus clair de ces controverses, c’est que Churchill est rendu responsable de l’échec. À la fin de 1915, il démissionne du gouvernement, demande un commandement en France et se bat comme lieutenant-colonel dans les tranchées des Flandres, à la tête de fantassins écossais. En 1917, Lloyd George, chef du gouvernement de coalition, l’appelle comme ministre des Munitions. Véhément dans la dénonciation de la révolution bolchevique, Churchill voudrait que les Alliés interviennent en Russie et soutiennent activement les armées blanches. La propagande nazie entre 1941 et 1945 ne manquera de rappeler à plaisir quelques-unes de ses déclarations incendiaires : « La bassesse et la sordidité des chefs bolcheviques ne sont même pas compensées par l’ampleur de leurs crimes [...]. Les générations futures n’auront que mépris pour leurs traits grossiers et leurs noms exotiques » ; ou encore : « Le bolchevisme n’est pas une doctrine politique, c’est une maladie. Ce n’est pas une création, c’est une infection. » En 1921, Churchill passe au ministère des Colonies. Il prend le colonel Lawrence comme conseiller pour les affaires arabes et intervient dans la crise irlandaise en faveur du traité accordant l’indépendance à l’Irlande.