Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

christianisme (suite)

Ce qui semble essentiel en ces premiers temps, ce sont les préoccupations eschatologiques. Les promesses du Christ de revenir bientôt dans la gloire juger les vivants et les morts dominent toute la vie religieuse des chrétiens, qui croient, et croiront assez longtemps, que le retour du Fils de Dieu est proche. Espérance donc d’une parousie imminente, qui explique aussi les vertus de ces premiers fidèles qui comptaient pour prochain le retour de leur Maître. Lumière aussi projetée sur la prédominance dans la foi de la croyance en un Dieu juge sévère et exigeant plus qu’en un Dieu de bonté et de miséricorde.

L’Évangile était apparu au ier s. dans la partie grecque de l’Empire romain ; c’est pourquoi il restera profondément marqué par les courants intellectuels qui dominaient alors ce monde, auxquels il empruntera en outre son vocabulaire. Saint Jean, particulièrement, en faisant du Christ la Parole de Dieu, le Logos, allait permettre au christianisme de se rapprocher de la philosophie grecque.

S’il n’y a pas encore de synthèse entre celle-ci et la croyance chrétienne, des ponts, des correspondances s’établissent grâce aux apologistes du iie s. (saint Justin), qui s’efforcent de prouver que, loin de renier la culture helléniste, le christianisme en transcende les richesses. Ces apologistes se plaisent aussi à voir dans les plus grands philosophes, un Socrate par exemple, des chrétiens avant la lettre.

Mais ils affirment aussi devant ces doctrines l’originalité du christianisme. Ainsi, pour saint Justin, seuls les chrétiens ont une connaissance parfaite de la vérité. Les stoïciens et encore moins les autres païens n’ont pu parvenir à la croyance au vrai Dieu. Tout comme les Pères apostoliques, les apologistes insistent beaucoup, eux aussi, sur les fins dernières et veulent voir dans les persécutions des empereurs de Rome la lutte entre Dieu et le mal, qui va susciter le retour du Juge suprême pour la confusion des méchants et le triomphe des justes. Un écrit d’un auteur anonyme, l’Épître à Diognète, illustre bien cette tendance. Il explique que, si les chrétiens forment un monde à part à l’intérieur du paganisme, c’est qu’ils vivent dans l’attente du nouveau royaume promis par Dieu.

Un danger très grand guettait la nouvelle croyance : le mouvement gnostique. En effet, au iie s., la philosophie antique ne paraissait plus capable, au milieu des querelles d’écoles, de répondre aux questions que les hommes se posaient au sujet de leur destin. Les esprits, lassés de quêtes infructueuses, s’abandonnaient au besoin de croire. Puisque la raison était incapable de fournir une réponse, la foi seule, disait-on, pouvait la donner. Le courant fut si puissant qu’il emporta la philosophie et faillit submerger le christianisme lui-même.

C’est le temps où les religions à mystères venues d’Orient supplantent les vieilles croyances des Romains. En même temps, on assiste à la naissance d’un syncrétisme religieux qui se traduit par une foule de symboles, de mythes, de systèmes théologiques complexes et qui prétend fondre en un tout harmonieux les différentes religions d’alors, y compris la chrétienne.

En fait, sous ces constructions métaphysiques diverses, où celle de Valentin († 161) tient la première place, ce qui est en cause, c’est la conciliation de l’existence du mal avec la toute-puissance de Dieu et aussi le problème de l’origine du mal : comment peut-il être l’œuvre d’un Dieu souverainement bon ?

C’est devant les gnostiques syriens ou alexandrins que l’Église chrétienne, dès le iie s., par le truchement d’un saint Irénée* (v. 130 - v. 208) à Lyon, d’un Clément* (v. 150 - † entre 211 et 216) à Alexandrie et d’un Tertullien* (v. 155 - v. 220) à Carthage, va être amenée à préciser plus soigneusement sa croyance en un Dieu en trois personnes, à la réalité d’un Christ rédempteur, comme son adhésion à la résurrection de la chair.

Dans son Traité contre les hérésies, saint Irénée établit contre Valentin que les deux bases de la vérité sont l’autorité des écrits apostoliques et la tradition des Églises, Ubi Ecclesia, ibi Spiritus. Pour lui, le Christ, chef d’une humanité nouvelle et nouvel Adam, « récapitule » en lui-même tout le dessein primitif du Créateur et le restitue aux hommes. C’est cette synthèse qui sera à l’origine de toute la réflexion théologique à venir.

Le péril en ce iie s. se trouve aussi à l’intérieur du christianisme lui-même, la gnose lui restant en général extérieure. Il s’agit toujours de la vieille attente eschatologique issue du judaïsme ; tout un mouvement millénariste s’appuyant sur une interprétation étroite de l’Apocalypse fixait à mille ans la seconde venue du Christ. On peut mesurer l’influence de ce mouvement en voyant un saint Irénée lui-même parmi ses adeptes ; ses formes les plus virulentes furent le montanisme et le marcionisme.

Hanté jusqu’à l’angoisse par l’imminence du jugement dernier, Montan prêcha un ascétisme et un rigorisme moral outrés qui reçurent l’appui de Tertullien, et il opposa prophétisme et hiérarchie. À ce mouvement individualiste et inorganisé, Marcion (v. 85 - v. 160) voulut donner une solide armature ecclésiale, et, aux iie et iiie s., le marcionisme exista partout comme une Église particulière bien encadrée. Celle-ci subsista jusqu’au ive s. en Orient.

Le iiie s. chrétien est cependant dominé par la grande figure d’Origène* (v. 185 - v. 252-254), chrétien d’Alexandrie qui eut le mérite de mener à bien l’œuvre entreprise par les apologistes du siècle précédent, c’est-à-dire la synthèse de la pensée grecque et du christianisme, très influencée par les écrits de Platon* et par la doctrine de Plotin* (v. 205 - v. 270), qui voyait dans le monde sensible où vivent les âmes celui des apparences et prônait un ascétisme qui libérerait peu à peu l’âme de la matière pour aboutir, dans l’extase et après la mort, à la contemplation d’un Dieu, principe suprême de toute création. Origène accomplit également un grand travail d’exégèse, mais il eut exagérément recours à l’explication allégorique, ce qui amènera plus tard l’Église à condamner cette méthode sous le nom d’origénisme.