Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

chrétiennes (littératures) (suite)

La première génération qui suit Origène est celle de ses disciples enthousiastes : Héraclas, Denys d’Alexandrie, Grégoire le Thaumaturge, Pamphile, Eusèbe de Césarée. Le grand évêque d’Alexandrie Athanase* est plus réticent ; pour le combat contre l’hérésie arienne, qui occupa l’essentiel de sa vie, la théologie d’Origène ne lui offrait pas d’armes suffisamment sûres. Se rattache également à l’école d’Alexandrie, tout en demeurant sur certains points fort indépendant à l’égard de l’héritage origénien, le très important groupe des Pères cappadociens : Basile* de Césarée, son frère Grégoire* de Nysse et leur commun ami Grégoire* de Nazianze. Si Grégoire de Nysse est grand admirateur d’Origène, dont il reprend la méthode exégétique et certaines thèses théologiques, ses deux compagnons se montrent beaucoup plus circonspects sur ces deux points. Mais la tradition origénienne reprend toute sa séduction, un peu plus tard (à la fin du ive s.), avec Didyme l’Aveugle et Evagre le Pontique.

De son côté, l’école d’Antioche est le milieu intellectuel où s’épanouit Jean* Chrysostome. Les deux principaux exégètes de cette tendance sont Diodore de Tarse, puis Théodore de Mopsueste ; l’un et l’autre devaient donner des gages à l’hérésie de Nestorius et furent condamnés à ce titre par l’empereur Justinien et le concile de Constantinople (553) ; c’est la raison pour laquelle la plupart de leurs travaux exégétiques et dogmatiques se sont, depuis lors, perdus.


Du ve au viie siècle

L’intense activité intellectuelle, spirituelle et apostolique qui caractérise le ive s. devait se relâcher dans la suite. Au ve s., l’antagonisme d’Alexandrie et d’Antioche se poursuit dans la personne de deux évêques qui ont passé leur vie à se quereller durement. Cyrille d’Alexandrie (v. 376/380-444) s’est fait le champion de l’orthodoxie christologique contre Nestorius ; très alexandrin par son goût de l’allégorie en exégèse biblique, il s’est également employé à lutter contre la renaissance du paganisme en composant une précieuse réfutation de l’empereur Julien l’Apostat. Son adversaire est Théodoret de Cyr, qui, en bon antiochien, applique les ressources de son esprit positif à l’histoire ecclésiastique, à l’hérésiologie, à la défense de la foi contre les « maladies helléniques » et surtout à l’exégèse scientifique.

À partir du milieu du ve s., l’originalité créatrice et la fécondité littéraire des théologiens grecs déclinent ; du dogme et de l’exégèse, l’intérêt se déplace vers la liturgie et l’ascèse ; pour l’interprétation de la Bible, on prélève dans l’œuvre des grands exégètes des siècles passés des extraits que l’on met bout à bout à propos de chaque verset scripturaire (les « chaînes ») ; on tire semblablement des grands traités théologiques des citations choisies que l’on assemble en « florilèges ». Sur ce fond de grisaille, quelques grands auteurs se détachent avec d’autant plus d’éclat. L’un d’eux est le mystérieux Pseudo-Denys l’Aréopagite, dont l’identification et la datation (probablement à la fin du ve s.) demeurent incertaines ; très influencé par la philosophie néoplatonicienne tardive, c’est un subtil analyste de la nature de Dieu et de la vie spirituelle, qui édifie une architecture de l’Église triomphante et militante en prenant pour base la notion de hiérarchie ; ses écrits devaient rencontrer un écho démesuré dans le Moyen Âge occidental. On doit en dire presque autant d’un théologien grec du viie s., Maxime le Confesseur ; influencé par Grégoire de Nazianze et par le Pseudo-Denys, dont il commenta les œuvres, il est regardé comme le principal fondateur de la théologie mystique byzantine.


Le domaine latin


Le iiie siècle

Les œuvres littéraires chrétiennes de langue latine apparaissent plus tard que celles de langue grecque, et les plus anciennes d’entre elles datent seulement des dernières années du iie s. Leur principal lieu d’origine est l’Afrique du Nord romanisée ; il y a certainement un lien entre cette circonstance et le fait que c’est également en Afrique, pense-t-on généralement, que fut exécutée la première traduction latine de la Bible (antérieure à la Vulgate de saint Jérôme). Du point de vue littéraire, la plus importante Église d’Occident est alors celle de Carthage ; c’est là qu’est né Tertullien*, créateur de la langue théologique latine ; c’est le siège épiscopal de Carthage qu’occupera Cyprien*, autre représentant important des lettres chrétiennes de l’époque. À Rome, comme on l’a vu pour Hippolyte, les chrétiens du début du iiie s. utilisent encore le grec, qui ne s’effacera que plus tard devant le latin ; c’est le prêtre schismatique Novatien qui sera le premier chrétien romain à employer la langue latine ; on notera que le latin chrétien comporte beaucoup de particularités linguistiques, qui éveillent aujourd’hui un vif intérêt.

Devenant chrétiens, les Occidentaux conservent les caractères propres du génie romain ; c’est ainsi que la tournure d’esprit juridique, éminemment romaine, définit la personnalité intellectuelle de Tertullien, qui mobilisera au service de la foi toutes les ressources du droit. Alors que le christianisme grec s’appliquait avec prédilection aux problèmes de théologie spéculative, les Latins se tournent plus volontiers vers les questions pratiques : les devoirs du chrétien, la discipline de l’Église, l’attitude à tenir envers les fidèles qui ont cédé aux menaces de persécution ; ces préoccupations avant tout pratiques se reflètent clairement dans l’œuvre d’un Cyprien.

Comme chez les Grecs, pourtant, la défense du christianisme reste le souci majeur des écrivains latins. La plus ancienne œuvre chrétienne de langue latine est une apologie, l’Octavius de Minucius Felix ; c’est au même genre littéraire que ressortissent la plupart des écrits de Tertullien, notamment l’Apologeticum et l’Ad nationes ; au début du ive s., les œuvres d’Arnobe et de Lactance procéderont d’un dessein identique. Dernière différence notable entre les auteurs chrétiens orientaux et leurs contemporains d’Occident : ceux-ci adoptent à l’endroit de la philosophie profane une attitude beaucoup moins tolérante ; les invectives souvent sommaires de Tertullien et d’Arnobe sont révélatrices de cet état d’esprit ; seul Lactance, le « Cicéron chrétien », fera preuve d’une plus grande objectivité, en même temps, d’ailleurs, que d’une excellente information. Quant à l’exégèse biblique, si florissante chez les Grecs, les Latins tardent à lui reconnaître l’intérêt qu’elle mérite ; le seul d’entre eux qui, au iiie s., l’ait pratiquée pour elle-même est Victorin de Pettau, dont l’œuvre, fortement influencée par Origène, est malheureusement perdue dans sa quasi-totalité.