Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

chouans (les) (suite)

La deuxième chouannerie

Réconciliation fragile et éphémère. La lutte reprend bientôt. Le 16 juin 1795, les chefs chouans du Morbihan. Lantivy et Lessègues, à la tête de 600 hommes, pénètrent dans le Finistère et parviennent à la poudrerie de Pont-de-Buis, près de Châteaulin, où ils s’emparent d’une importante quantité de munitions. Sur ces entrefaites, l’Angleterre, convaincue par Puisaye, décide d’appuyer les insurgés. Elle met sur pied une armée de 12 000 hommes, composée d’émigrés auxquels on a incorporé 1 500 volontaires recrutés parmi les prisonniers républicains. Le comte de Puisaye doit commander en chef, mais le cabinet anglais confère des pouvoirs étendus au comte Louis Charles d’Hervilly (1756-1795), créant ainsi une situation ambiguë par le partage de l’autorité, ce qui engendre la zizanie et provoquera un désastre sanglant.


Quiberon et la seconde pacification

Le 27 juin 1795, dans la presqu’île de Quiberon, l’armée débarque, accueillie par les chouans venus de partout et massés sur la plage de Carnac. La dualité de commandement paralyse les combattants, dont l’inaction laisse à Hoche (déjà averti par des dépêches interceptées) le temps de se ressaisir et de recevoir des renforts envoyés par Brest, Rennes, etc. Refoulés dans la presqu’île comme dans une nasse, les émigrés se battent avec courage. Quelques-uns réussissent à gagner les vaisseaux anglais ; les survivants doivent se rendre. Une commission militaire prononce 748 condamnations à mort, dont celle de Mgr de Hercé, dernier évêque de Dol, aumônier général de l’expédition. Nobles et clercs paient un lourd tribut à la Contre-Révolution.

Pour autant, la chouannerie n’est pas morte ; elle se survit dans le Morbihan, de même que la persécution contre les prêtres continue. Hoche a le mérite de comprendre que la pacification restera impossible sans le respect de la liberté religieuse ; il multiplie donc les pressions sur le gouvernement en vue de l’amener à prendre des mesures appropriées : amnistie aux réfractaires, liberté du culte à tous les prêtres n’ayant pas quitté le territoire de la République. Le Directoire se rend à ses raisons ; au mois de juin 1796, les chouans se dispersent.


Fructidor

Le coup d’État du 18 fructidor an V (4 sept. 1797) ravive les tisons mal éteints. La persécution religieuse reprend de plus belle. Partout se reforment des bandes de chouans, dont la République ne peut venir à bout. Des bandes isolées d’aventuriers, les « chauffeurs », se livrent à de nombreux attentats.

L’entrée de la Russie dans la coalition contre la France, en août 1799, incite le comte d’Artois à profiter de cette occasion, qui lui paraît favorable, pour préparer une nouvelle campagne.

C’est alors qu’il nomme Georges Cadoudal généralissime dans les Côtes-du-Nord, le Finistère et le Morbihan ; en Îlle-et-Vilaine, il nomme le chevalier de La Prévalaye ; entre Loire et Vilaine, le comte de Châtillon.


La troisième chouannerie

Le 15 septembre, les officiers royalistes du Maine, de l’Anjou, de la Bretagne et de la Normandie, réunis au château de la Jonchère, près de Pouancé, décident de reprendre les armes en octobre. Les chouans de Châtillon se glissent dans Nantes à la faveur de la nuit, le 19, et délivrent les prisonniers détenus à Bouffay. Le 27, toujours dans la nuit, d’autres chouans parcourent les rues de Saint-Brieuc et y tuent le commissaire du Directoire exécutif.

Avec le Consulat, la chouannerie s’éteint : ses chefs déposent les armes tour à tour et signent la paix au château de Beauregard (Saint-Avé), près de Vannes, le 25 pluviôse an VIII (14 févr. 1800). Cadoudal, lui, continuera la lutte contre Bonaparte (conspiration de la « machine infernale », 24 déc. 1800) et sera exécuté en 1804.

M. M.

 J. Crétineau-Joly, Histoire de la Vendée militaire (Hivert, 1841 ; 5e éd., Plon, 1865, 4 vol.). / A. Cochin, les Sociétés de pensée et la révolution en Bretagne (Plon, 1928 ; 2 vol.). / E. Le Garrec, les Deux Capitulations de Quiberon (Galles, Vannes, 1938). / H. Lachouque, Cadoudal et les chouans (Amiot-Dumont, 1951). / G. Lenôtre, le Premier Chouan : le marquis de La Rouërie (A. Fayard, 1955). / M. Faucheux, l’Insurrection vendéenne de 1793. Aspects économiques et sociaux (Bibl. nationale, 1965). /Erlannig, Un chef de la chouannerie bretonne, le général Louis de Sol de Grisolles, 1761-1836 (les Presses bretonnes, Saint-Brieux, 1967). / C. Tilly, la Vendée, révolution et contre-révolution (Fayard, 1970). / C. L. Chassin, Études documentaires sur la Révolution française. Les guerres de Vendée et la chouannerie (Bellanger, Nantes, 1973 ; 11 vol.).

Chrétien de Troyes

Poète champenois (v. 1135 - v. 1185).


Au début de son Cligès (v. 1175), Chrétien de Troyes énumère ses œuvres de jeunesse : un Art d’aimer, inspiré d’Ovide ; un Mors de l’Espaule (Pelops ?) ; un Philoména (histoire des amours tragiques de Térée, époux de Procné, et de Philomèle, sœur de celle-ci, d’après les Métamorphoses d’Ovide) ; un Livre du roi Marc et d’Yseut la blonde ; Erec et Enide. Ce roman a été conservé, de même que le Philoména, connu par une transcription tardive ; les autres œuvres sont perdues. Il faut ajouter à cette liste des chansons d’amour : deux nous sont parvenues, qui datent de 1165 environ. Après le Cligès, Chrétien écrivit, sans doute en même temps, le Chevalier au lion et, pour Marie de Champagne, le Chevalier à la charrette. Après 1180, il entreprend pour Philippe d’Alsace, comte de Flandre, un Conte du Graal qu’il laisse inachevé. Un Chrétien est l’auteur du roman pieux de Guillaume d’Angleterre : est-ce le même ? On y sent moins la main d’un maître, et l’ouvrage verse dans le romanesque facile et la dévotion un peu mièvre : le héros subit toutes sortes d’épreuves incroyables sans se départir de sa soumission à la volonté divine. Mais des études précises de style tendent à corroborer l’attribution du Guillaume au grand romancier troyen.

Toute l’œuvre de Chrétien de Troyes va contre une conception fataliste de l’amour, si l’on excepte les œuvres antiquisantes du début, qui tiennent sans doute de l’exercice d’école. Les chansons proclament que la fine amors exige une volonté libre et ne saurait s’épanouir après l’absorption du philtre qui enchanta Tristan. Erec et Enide est le roman de l’amour conjugal : Enide, qui a eu le tort de ne pas révéler à temps à son mari qu’on lui reprochait de négliger les tournois, tant il était absorbé par les délices d’une lune de miel prolongée, reconquiert son estime en dominant sa timidité initiale (elle enfreint l’ordre qu’elle a reçu de rester silencieuse ; or, Erec la fait chevaucher devant lui, et elle aperçoit avant lui les périls qui les guettent) ; elle s’élève à la hauteur d’Erec en prenant des initiatives heureuses lors de graves dangers ; elle sera couronnée reine à ses côtés, après qu’Erec aura triomphé de la plus redoutable aventure : le combat contre Mabonagrain, qui s’est enfermé avec son amie dans un verger merveilleux. L’amour généreux est vainqueur de l’amour égoïste, et la fuite des amants loin des hommes dessert la passion au lieu de l’exalter. Tel est aussi le message de Cligès.