Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

agriculture (suite)

La mécanisation est venue tard en agriculture : elle n’a réellement commencé à transformer l’équilibre des campagnes qu’après la Première Guerre mondiale en Amérique du Nord, qu’après la Seconde en Europe. Elle rend caduques les petites exploitations, compromet l’équilibre des fermes familiales dynamiques. Avec des machines, il devient possible de mener une ferme sous nos climats comme on le fait depuis cinquante ans dans certaines plantations tropicales, c’est-à-dire comme on mène une usine ou un négoce.

La socialisation de l’agriculture peut se comprendre de bien des manières. Jusqu’à il y a une vingtaine d’années, elle ne permettait guère d’améliorer les rendements. Les réformes agraires aboutissant à la division des terres entre de petits exploitants étaient souvent plus efficaces, surtout là où cette division laissait subsister ou créait des entreprises englobantes utiles à l’encadrement des nouveaux chefs d’exploitation. Les formules coopératives ont montré de ce point de vue leur efficacité et on a su les adapter à des milieux très divers.

Avec les progrès de la mécanisation, la constitution de grandes entreprises socialistes peut amorcer des progrès rapides de la production et résoudre les problèmes agricoles, qui restent sans solution dans ces pays depuis plus d’une génération.


L’équilibre de la production et les marchés

L’autoconsommation diminue constamment depuis un siècle. Elle est devenue négligeable dans la plupart des pays tempérés. Elle reste plus élevée dans beaucoup de terres sous-développées du monde tropical. Mais il est des campagnes, naguère fermées à tous les échanges lointains, qui se sont trouvées en quelques décennies brusquement métamorphosées par des spéculations destinées aux marchés les plus éloignés. On s’est mis ici au coton, là au café, au cacao ou au thé, au sisal ou au palmier à huile, à la vigne, à la banane ou à l’oranger. On a presque totalement renoncé à produire pour l’alimentation domestique. La transformation a été précipitée par l’endettement qui naît de la traite : le cultivateur est obligé, pour se dégager de ses obligations, de commercialiser le plus possible et il renonce aux cultures destinées à sa famille. On dénonce volontiers les évolutions de ce genre. On montre qu’elles ont souvent conduit à une régression du niveau de consommation des agriculteurs : il arrive que le nombre absolu de calories mis à la disposition des gens ait diminué ; il est plus fréquent encore que les carences se soient accusées. Condamner l’ouverture générale des économies agricoles en évoquant ces évolutions malheureuses est cependant injuste, car c’est oublier ce que la spécialisation apporte généralement à ceux qui la pratiquent. Ce qui est en cause, c’est bien plutôt le fonctionnement des marchés que la spécialisation.

Les produits agricoles sont difficiles à commercialiser. Leur demande est généralement très rigide, car il s’agit d’articles dont la consommation ne peut être comprimée au-dessous d’un certain niveau. Leur offre est irrégulière par suite des caprices du climat et des erreurs de calcul des hommes. Les prix fluctuent brutalement, et c’est là un premier élément de faiblesse. Masqués par les oscillations de courte durée existent aussi des mouvements de longue durée. Dans bien des cas, les prix agricoles diminuent par rapport à ceux des articles industriels et des services. Cela traduit l’augmentation de la productivité dans le domaine agricole (dans le domaine industriel, la diminution des prix liée aux progrès de la productivité est compensée par le renouvellement de la demande qui se tourne vers des articles plus élaborés).

Tous les producteurs agricoles ne participent pas au même degré aux gains d’efficacité que procurent la mécanisation, l’utilisation de variétés mieux sélectionnées, l’organisation scientifique du travail. Certains se trouvent lésés par l’évolution générale ; ce sont souvent ceux des pays sous-développés. On peut se demander si la perte de pouvoir d’achat ne traduit pas, au-delà de la baisse normale liée aux gains de productivité, un effet de domination, dont serait victime l’ensemble des secteurs agricoles du monde. À remarquer comment tous les grands pays industriels essaient de protéger leur marché intérieur pour y maintenir des cours très supérieurs à ceux qui règnent à l’extérieur, on peut penser que c’est là l’origine d’une partie des difficultés actuelles.

Les marchés agricoles traditionnels étaient organisés, au plan international, autour de quelques grandes places, où se définissait la valeur des produits, où s’effectuaient les opérations au comptant et à terme, où se fixaient les prix. Beaucoup s’étaient établis dans les grandes zones importatrices des nations industrialisées : à Londres et à Anvers pour le blé, à Liverpool et au Havre pour le coton, à Londres encore pour la laine, le thé, le caoutchouc, les épices, les bois. Mais de plus en plus, au cours du siècle passé, on a vu les places se rapprocher des zones de production : Sydney est devenu le grand centre des transactions sur la laine, comme Winnipeg et Chicago l’étaient pour le blé.

De nos jours, les marchés se « délocalisent ». Dans les pays producteurs, les achats sont souvent effectués par des offices publics ou semi-publics. Les transactions internationales sont le fruit de négociations officielles. Les courants de relations sont plus complexes que par le passé. Les pays sous-développés ne sont pas uniquement fournisseurs. Ils ont le monopole de la vente de certains produits de pays chauds, mais, dans beaucoup de cas, ils se heurtent à la concurrence de pays industrialisés, comme les États-Unis en ce qui concerne le coton. Dans d’autres domaines, ils sont devenus importateurs nets, par suite de la croissance de leur population : ainsi en va-t-il pour les céréales, le blé en particulier. Pour l’ensemble de la Terre, depuis une génération, la production agricole augmente, mais à un rythme qui correspond à peine à celui de la poussée démographique : les pays développés voient leurs excédents s’accroître, cependant que le déficit des pays sous-développés en denrées alimentaires de base ne fait que s’accentuer. Et les carences sont encore plus répandues que les déficits totaux bruts.

Les agricultures socialistes n’ont pas obtenu de résultats plus satisfaisants que celles des pays capitalistes (c’est sans doute le domaine où les réalisations des pays socialistes sont le moins spectaculaires).