Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chopin (Frédéric) (suite)

À la simplicité de cette structure s’oppose la forme plus complexe de la Polonaise-Fantaisie (1846). La construction en est très libre : récitatifs, divertissements épisodiques se groupent autour de deux thèmes fondamentaux, l’un de caractère lyrique, l’autre de style choral. Chopin a écrit 16 polonaises, dont la grandeur tient à l’envolée des thèmes et à la puissance rythmique.

Le charme de ses 58 mazurkas réside dans la finesse et la souplesse du rythme, la couleur modale, la diversité de la mélodie. Dans les 17 valses qu’il a laissées, Chopin cherche surtout l’élégance pianistique.

Parmi les formes classiques qu’il a traitées, les variations, les rondeaux, les deux concertos, la première sonate sont des œuvres de jeunesse. Chopin, cependant, revient à la sonate à l’époque de sa maturité, en 1839 (op. 35), en 1844 (op. 58), en 1847 (op. 65, avec violoncelle). La sonate op. 35 déconcerte les contemporains. Schumann y voit un « caprice » qui assemble quatre des « plus extravagants enfants » de Chopin. La réexposition du premier mouvement, qui utilise seulement le deuxième thème mélodique, est critiquée par les théoriciens soucieux de respecter les règles du genre. Le dernier mouvement, un presto très court, d’écriture monodique, soulève la réprobation de Mendelssohn. En réalité, le déroulement de la pensée obéit à une logique interne : les quatre mouvements sont étroitement reliés entre eux par le contenu expressif de l’œuvre. L’atmosphère du dernier mouvement se situe dans le prolongement de la marche funèbre ; l’angoisse naît de la brièveté même de ce final, de son écriture tourmentée, chargée de broderies, de retards, de chromatisme.

Chopin aborde dans ses études les principales difficultés pianistiques : tierces, sixtes, octaves, mobilité du pouce, rebondissement du poignet, etc. Les études op. 10 no 1 et op. 25 no 2 prennent pour base la propriété naturelle de la main, qui peut aussi bien s’ouvrir largement que se ramasser sur elle-même. L’envergure des arpèges qui en résulte est incontestablement un apport de Chopin à la technique pianistique. L’étude op. 10 no 2 exige le chevauchement du cinquième doigt par le troisième. Le recueil op. 10 est publié en juin 1833 : l’op. 25 paraît en octobre 1837. Trois nouvelles études sont écrites pour la Méthode des méthodes de Moscheles et Fétis en 1840.

Les 24 préludes op. 28 ont été édités en 1839. Chacun d’eux résout avec maîtrise un problème technique particulier : égalité digitale, legato, extension, jeu polyphonique, rigueur rythmique, sonorité. La construction formelle est variée et va de la simple exposition de phrase (nos 4, 5, 9) à une structure plus travaillée, en forme de lied (no 15) ou de rondeau (no 17). En quelques mesures, Chopin parvient à créer des climats tous différents les uns des autres.

Parmi ses diverses compositions, citons encore la Fantaisie, la Berceuse, la Barcarolle, qui se détachent comme des chefs-d’œuvre. La musique de chambre se réduit à des pièces pour piano et violoncelle (polonaise, duo concertant, sonate) et à un trio pour piano, violon et violoncelle. Chopin a également composé 17 lieder, dont aucun n’a été publié de son vivant.

« La musique de Chopin est une des plus belles que l’on ait jamais écrites », note Debussy. Ses études dédiées à la mémoire de Chopin rendent hommage au compositeur, qui s’est montré, dira-t-il, « un admirable devineur ».


La souplesse de la mélodie

La musique populaire polonaise féconde la mélodie des mazurkas de Chopin : altération de certains degrés, emploi d’intervalles mélodiques tels que la seconde augmentée (op. 41 no 1) et surtout la quarte augmentée, dite « lydienne » (op. 56 no 2, op. 68 no 3).

Un autre facteur important intervient dans la constitution de la mélodie de Chopin : l’influence du bel canto italien. Cette influence s’exerce sur Chopin aussi bien à Varsovie qu’à Paris. La situation géographique de Varsovie favorise la vie artistique : c’est une étape où s’arrêtent grands chanteurs et virtuoses instrumentistes, avant qu’ils ne rejoignent Saint-Pétersbourg. Paris, d’autre part, est le lieu de rendez-vous des artistes les plus célèbres, et Chopin devient rapidement un habitué du Théâtre-Italien.

La caractéristique principale du bel canto est, selon Sandelewski (congrès de Varsovie, 1960), « la graduelle émancipation de la mélodie à l’égard de la déclamation, et la tendance à agir sur l’auditeur par le son et par le charme de la mélodie même ». De l’art du bel canto, Chopin retient principalement la souplesse des vocalises, qu’il transpose sur le plan instrumental en modelant avec finesse l’ornementation de ses phrases mélodiques. Cette ornementation ne sacrifie pas à la virtuosité, mais garde toujours un caractère expressif. La courbe mélodique est flexible, sinueuse. Sa forme temporelle se libère, avec l’utilisation du rubato, de toute rigidité métrique. Le rubato est un élément de l’art du chant italien, mais il joue également un grand rôle dans la musique populaire polonaise. Il imprime à la musique de Chopin une pulsation qui est la vie même de cette musique, « temps intérieur » dont les esthéticiens ont, de nos jours, souligné l’importance.

La polymélodie est un procédé d’écriture souvent utilisé par Chopin. La superposition des lignes mélodiques est généralement conçue comme un dialogue entre les deux voix supérieures (nocturnes op. 27 no 1, op. 55 no 2 ; trio du quatrième scherzo) ou bien entre la basse et le soprano (étude op. 25 en ut dièse mineur). L’écriture contrapuntique en imitations se rencontre surtout dans les dernières œuvres (mazurkas op. 50 no 3, op. 59 no 3, op. 63 no 3 ; sonates en si mineur op. 58, avec violoncelle op. 65 ; quatrième ballade ; fugue en la mineur, publiée à Varsovie en 1949, au tome XVIII des Œuvres complètes). Par le jeu de la polymélodie et de la polyrythmie, Chopin établit, comme le remarque Marcel Beaufils, « différents étages de son, différentes mélodies résultantes, différents plans de rythme. Chacun possède sa valeur indépendante et efficace dans le tout et c’est de l’équilibre entre ces mille « reflets » que procède — Chopin l’a appris de Delacroix — l’équilibre sonore et lumineux de l’ensemble ».