Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chomsky (Avram Noam) (suite)

Ce sont les réflexions d’ordre épistémologique et philosophique sur les rapports entre langage et pensée qui deviennent dominantes dans les recherches les plus récentes de N. Chomsky. Dans Current Issues in Linguistic Theory (1964), il présente une analyse détaillée des fondements logiques et historiques des théories linguistiques, rattachant ses propres conceptions à la tradition de la grammaire générale et raisonnée de Port-Royal. Ces relations entre la théorie de la grammaire générative et les travaux réalisés par les grammairiens philosophes du xviie s. sont largement développées dans Cartesian Linguistics (1966), qui oppose les deux grands courants philosophiques sous-jacents aux recherches scientifiques de la pensée occidentale : le rationalisme et l’empirisme. La publication de Language and Mind (1968), qui reprend trois conférences faites à Berkeley en 1967, confirme la perspective profondément rationaliste qui caractérise la philosophie du langage soutenue par N. Chomsky contre le béhaviorisme « mécaniste » en psychologie et le positivisme logique de la philosophie contemporaine. Dans cette perspective, les recherches formelles poursuivies en linguistique sur la structure profonde des langues naturelles doivent permettre l’élaboration d’une « grammaire universelle » qui représenterait le premier pas vers les « contributions de la linguistique à l’étude de la pensée ».

Professeur depuis 1955 à l’institut de technologie du Massachusetts, où il occupe la chaire des langues modernes et de linguistique, N. Chomsky a acquis une réputation mondiale. Développée par de nombreux disciples, tant aux États-Unis qu’en Europe, la linguistique générative marque incontestablement un tournant théorique décisif dans l’histoire de la linguistique, que l’on a pu comparer à la révolution qui, cinquante années auparavant, s’annonçait avec F. de Saussure. Dans le monde scientifique, N. Chomsky est connu essentiellement pour le débat qu’il a ouvert largement aux mathématiciens, aux biologistes, aux psychologues et aux philosophes, en posant, par et au-delà de la question du langage, le problème de l’homme et de sa spécificité comme « être pensant ». Mais il est plus connu encore aux États-Unis pour ses convictions politiques de « gauche », en accord avec les conceptions philosophiques qui le rattachent à la tradition humaniste. Elles l’ont amené à dénoncer fortement l’aspect technologique et faussement scientifique que se donne le gouvernement américain lorsqu’il fait appel aux « experts », ainsi qu’à s’opposer à la politique poursuivie au Viêt-nam. Ses articles politiques ont été réunis et publiés sous le titre de American Power and the New Mandarins (1969), livre qui est dédié « aux vaillants jeunes gens qui refusent de servir dans une guerre criminelle ».

G. P.-C.

➙ Générative (grammaire).

 N. Ruwet, Introduction à la Grammaire générative (Plon, 1967). / J. Lyons, Chomsky (Londres, 1970 ; trad. fr., Seghers, 1971).

Chopin (Frédéric)

Compositeur polonais (Żelazowa Wola 1810 - Paris 1849).



Une personnalité complexe

La maladie, les amours, le nationalisme de Chopin, autant de thèmes qui sollicitent l’imagination de maints commentateurs et se figent en une série d’images d’Épinal. Ces images du poitrinaire, du séducteur, du chantre d’une patrie souffrante ne peuvent, en fait, traduire à elles seules la personnalité complexe de Chopin.

C’est une nature secrète, fiévreuse sans être morbide, parfois violente, parfois mélancolique, sachant aussi être gaie, mordante, ironique. D’une élégance raffinée dans sa tenue vestimentaire, Chopin n’hésite pas à utiliser dans sa correspondance un langage émaillé de crudités. C’est un idéaliste qui sait fort bien se montrer réaliste en affaires. Il est séduisant, mais n’a pas un tempérament de séducteur et se montre timide avec les femmes. Il aime profondément sa patrie, et l’invasion de la Pologne, agissant comme un ferment sur sa sensibilité, mûrit son inspiration. Il demeure cependant à l’écart de la vie politique et de ses proclamations. Il donne peu de concerts publics et préfère se faire entendre dans l’intimité d’un salon. Sa renommée franchit toutefois les limites de ces réunions mondaines. Les virtuoses de l’époque et une presse élogieuse contribuent à faire connaître ses œuvres. Le raffinement de la langue musicale, la beauté de l’esthétique instrumentale, un romantisme sans emphase, la richesse interne de l’inspiration, l’équilibre des formes assurent à sa musique un rayonnement qui dépasse les bornes des frontières et les fluctuations de la mode.


Des formes traditionnelles fécondées par la richesse de l’inspiration

Chopin n’apporte pas de grandes innovations dans le domaine des formes. On lui doit cependant la création de la ballade comme genre purement instrumental. Il publie entre 1836 et 1842 quatre ballades, dont la structure s’apparente au rondeau, emprunte des éléments à l’allégro de sonate, s’enrichit de variations ornementales.

L’époque romantique détache le scherzo de la sonate et le traite en genre indépendant. Chopin en développe considérablement la structure ; le trio, plus ou moins complexe, conserve sa place ; la coda concentre en un point culminant tout le dynamisme de l’œuvre. Les trois premiers scherzos de Chopin (1835-1838) ont un style dramatique ; le quatrième (1843) recherche plutôt l’élément ludique attaché à l’étymologie du terme italien.

La division tripartite de l’aria da capo se retrouve dans diverses œuvres. Les 21 nocturnes de Chopin, qui s’échelonnent entre 1827 et 1847, affectent généralement la forme du lied : la partie centrale, d’allure mouvementée, contraste avec l’atmosphère calme des volets extrêmes de l’œuvre. Les premiers nocturnes s’apparentent à ceux de John Field. À partir de 1833, les acquisitions harmoniques de Chopin, la richesse de son inspiration élèvent le nocturne vers une méditation plus intérieure. Les 4 impromptus (1834-1842), délicatement ciselés, adoptent également une forme tripartite, avec des volets extrêmes animés, tandis que la partie centrale est traitée d’une façon plus lyrique.