Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

agriculture (suite)

Avec la révolution des transports, les cultures tendent à se répartir selon des principes différents. La distance diminue avec l’accélération des relations et la baisse du fret : son influence sur les localisations agricoles devient moins tyrannique. Elle n’implique de différenciation qu’à l’échelle des continents ou du globe (elle rend compte de l’opposition entre les productions intensives de l’hémisphère Nord et les spéculations extensives qui prévalent dans l’hémisphère Sud aux mêmes latitudes). Les facteurs qui expliquent désormais la géographie des cultures sont les aptitudes climatiques et physiques des terroirs. Ainsi s’est accentuée l’opposition des systèmes de culture des diverses régions du globe.

Mais, dans le détail, la répartition des cultures dépend de facteurs complexes qui ne sont pas uniquement physiques. Le milieu agricole constitue un monde social original, refermé sur lui-même, le monde paysan. Jusqu’à ces dernières décennies, on avait l’impression que l’opposition entre les cellules rurales et les villes était une donnée constante dans toutes les civilisations. On avait d’un côté une humanité fractionnée en petits groupes, comportant une majorité d’illettrés, de l’autre une structure complexe, déliée, ouverte aux informations et aux innovations. Les citadins vivaient au rythme des événements de l’histoire, les paysans à celui plus lent des cycles du climat et des saisons. La société urbaine avait de la peine à assurer son emprise sur le monde rural ; elle le contrôlait au plan politique, elle était parfois propriétaire des terres des communautés agricoles : cela n’effaçait pas le fossé qui séparait les deux mondes et le paysan résistait sourdement à ce qui lui paraissait étranger. À la fin de l’époque romaine, il avait été le « païen », hostile aux formes de la religion nouvelle. Des résistances analogues se sont manifestées des dizaines de fois, mais elles ne nous sont connues que lorsqu’elles ont pris la forme brutale de jacqueries ou de troubles armés.

Les sociétés paysannes sont en train de disparaître des pays industrialisés. Les agriculteurs ne constituent plus qu’une infime minorité de la population. Ils font des études semblables à celles des autres catégories sociales ; ils sont rapidement informés par la radio, par la télévision, par le journal ; ils se déplacent facilement, et se rendent fréquemment à la ville. Ils sont devenus des techniciens de la terre et ont perdu ces réflexes collectifs de défiance et de défense qui les isolaient du monde citadin.

Dans les sociétés sans paysannerie, les décisions de production sont prises en fonction de critères purement économiques. Là où se maintiennent les cellules traditionnelles, les motivations sont plus complexes. On essaie de protéger son indépendance en évitant de se livrer trop complètement au marché : la production vise d’abord à assurer un certain niveau d’autoconsommation. On refuse les spécialisations trop poussées. La géographie des productions reflète donc des oppositions qui sont de nature sociologique.

Le cadre général dans lequel sont prises les décisions influe également sur les choix effectués. Dans les pays où l’on se soumet aux règles du marché, les spécialisations se dessinent en fonction de débouchés souvent très lointains. Chaque région mesure ses avantages par rapport à ceux de toutes les autres portions de la planète qui s’intègrent au système général d’échange. Dans les nations socialistes, on met davantage l’accent sur l’acquisition d’une certaine autonomie nationale que sur la recherche de spéculations permettant de bénéficier au maximum de l’échange international.

Les décisions qui expliquent la physionomie des régions rurales sont prises au sein d’exploitations dont la dimension et l’organisation sont extrêmement variées. Cette diversité se reflète par les orientations différentes que l’on est conduit à choisir à l’intérieur d’un même milieu, selon la taille et la structure de la ferme.


Les exploitations agricoles

La multiplicité des formes de l’exploitation et de l’entreprise agricole tient à ce que les dimensions optimales y sont imposées de manière moins rigide que dans le domaine de la production industrielle : cela s’explique lorsqu’on se rappelle combien est faible, en matière agricole, le jeu des économies et des « déséconomies » d’échelle.

Quels sont les facteurs qui déterminent la taille la plus favorable des exploitations ? Exploitation et entreprise coïncident-elles toujours ? Ce sont des éléments techniques qui influent directement sur l’équilibre de l’exploitation, les conditions du marché sur celui de l’entreprise.

Lorsqu’on n’utilise pas la force animale, la productivité est pratiquement indépendante de la dimension des parcelles et de celle de l’ensemble de la ferme : on pelleverse aussi bien un lopin d’un are qu’une pièce de grande taille. Chaque travailleur est capable de s’occuper en moyenne d’un hectare : au-delà de cette dimension, il n’est plus d’économies d’échelle.

Lorsqu’on laboure et récolte avec des animaux, il faut que les parcelles soient assez longues pour qu’on ne perde pas trop de temps et de terre en retournant attelages et instruments au bout du sillon. L’exploitation elle-même ne devient rentable que si elle offre une superficie suffisante pour que l’emploi de l’attelage soit justifié : elle doit compter quelques hectares, cinq ou six sous nos climats. Jusqu’à quinze ou vingt hectares, le même train suffit à assurer toutes les tâches, si bien que les frais moyens diminuent. Au-delà, il faut acheter d’autres bêtes, embaucher quelqu’un pour les mener : on a dépassé la zone des coûts décroissants.

Avec la mécanisation, la situation est toute différente : il faut plusieurs centaines d’hectares pour amortir certains des matériels d’usage courant. Dans le domaine de l’élevage, on voit se dessiner depuis peu une évolution analogue. La grande exploitation bénéficie d’avantages techniques dont elle n’avait jamais joui dans le passé.