Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

agriculture (suite)

L’origine géographique des plantes aujourd’hui cultivées est quelquefois difficile à préciser. Il semble bien cependant que la plupart des espèces proviennent d’un petit nombre d’aires. Le Moyen-Orient a fourni les plantes les plus utiles : les céréales essentielles des pays tempérés ou secs (l’orge, l’avoine, certaines variétés de blé, le seigle) et aussi bon nombre de légumes et d’arbres fruitiers. En dehors de ce foyer, les espèces proviennent dans l’Ancien Monde de la région éthiopienne, d’une aire qui correspond en gros à la dorsale guinéenne en Afrique occidentale, et de foyers orientaux, Bengale, Chine et peut-être Nouvelle-Guinée. Le continent américain a permis de diversifier l’éventail des grandes espèces utilisées, mais on ne sait pas toujours de manière certaine la part à lui attribuer.

Les grandes civilisations sont presque toujours construites sur l’exploitation d’une ou de quelques céréales. L’orge, l’avoine, le seigle ont joué un rôle fondamental dans les pays tempérés ou méditerranéens, mais le blé y est aujourd’hui prépondérant : il constitue de plus en plus la seule céréale de consommation humaine de tous ces pays. Les régions de climat tropical à saison sèche utilisent des graminacées plus frustes, le sorgho là où les pluies sont assez abondantes et les diverses variétés de millet plus près des marges arides. Grâce à ses rendements élevés, le riz joue dans l’alimentation de l’humanité un rôle au moins aussi grand que le blé, mais les zones où il est la base essentielle du régime alimentaire sont moins étendues.

Le maïs est sans doute la plus remarquable des céréales en ce qui concerne les rendements : c’est pour elle que le rapport entre la quantité récoltée et la quantité semée est le plus élevé (ce qui est très important dans des civilisations dont les moyens techniques sont sévèrement limités, comme c’était par exemple le cas en Europe jusqu’au xviiie s.) ; c’est pour elle également que la productivité du travail est la plus grande, ce qui a permis aux civilisations précolombiennes, malgré l’absence d’animaux de trait, de disposer des excédents qui ont autorisé une floraison urbaine. De nos jours, la place du maïs dans l’alimentation humaine directe diminue : mais les avantages économiques de la plante sont tels qu’elle joue, surtout depuis la création des hybrides à gros rendements, un rôle croissant dans toutes les formes d’élevage.

Les racines permettent parfois d’obtenir, sur une superficie donnée, une masse de calories bien supérieure à celle que fournissent les récoltes de céréales. Mais bon nombre de groupes humains éprouvent une certaine répugnance à consommer régulièrement des aliments souvent indigestes et difficiles à préparer. Dans les zones tempérées, la seule racine qui ait concurrencé les céréales est la pomme de terre : mais son introduction est récente et elle a surtout servi de plante de complément. Les cas de civilisations étroitement dépendantes de sa récolte sont exceptionnels : on ne peut guère citer que l’Irlande du xixe s. C’est dans le monde de la forêt humide des zones équatoriales ou subéquatoriales que les racines (ignames, taros, manioc) tiennent la plus grande place. Dans ces milieux, l’existence dépend également beaucoup de certains arbres : les habitants sont autant des planteurs que des cultivateurs.

L’ouverture de relations à grande distance a bouleversé la distribution des espèces cultivées et a fait s’étaler des systèmes dont le rôle était jusqu’alors marginal. Les échanges les plus actifs portent toujours sur les produits alimentaires essentiels, sur les céréales. Pour satisfaire les besoins des pays industriels, on a vu s’établir dans les steppes russes ou sibériennes, dans les prairies américaines, dans la Pampa argentine ou aux deux marges du désert australien des monocultures céréalières ; il n’en existait pas jusqu’alors dans le domaine du blé. Le riz et les céréales pauvres que constituent le millet et le sorgho restent le fait d’agricultures d’autosubsistance, et les systèmes de culture où ils sont intégrés sont demeurés plus stables.

Dans les pays européens, l’élevage était à la fois dépendant de la culture et son associé. Il est devenu une spéculation majeure ; souvent il se greffe sur une agriculture céréalière dont il transforme les produits (Corn Belt américain). Mais, fait nouveau, il est fréquemment associé à des cultures d’herbe, qui n’existaient guère autrefois que dans les bas-fonds inondables ou dans les régions subalpines des massifs montagneux.

La diversification des systèmes de culture tient cependant surtout à la spécialisation de certaines régions dans la fourniture de produits tenus jusqu’alors pour secondaires (fruits, légumes, boissons, excitants) ou de matières premières industrielles. Ainsi se sont multipliés les espaces où dominent des cultures herbacées non céréalières et surtout ceux où s’étendent des plantations.


Facteurs économiques et facteurs sociaux de localisation des productions agricoles

Comment s’est transformée la géographie des grandes zones de production ? Avant la révolution des transports, qui s’annonce, dans le domaine maritime, avec la Renaissance, et qui s’affirme au xixe s., la plus grande partie des économies agricoles était tournée vers la satisfaction des besoins des paysans ou ceux des citadins proches. Comme il fallait produire tout ce qui était nécessaire à l’existence, la tendance était à la polyculture ; on essayait par tous les moyens de corriger les inégalités que créaient les diverses aptitudes du milieu. Le paysage rural aurait donc été fort monotone si les différences de civilisation n’avaient maintenu des écarts sensibles. Un certain tri apparaissait cependant là où les récoltes étaient destinées aux marchés urbains : des anneaux de spécialisation s’ordonnaient autour des villes, comme Vauban ou Boisguilbert le signalaient au début du xviiie s., et comme von Thünen l’expliquait au début du xixe s.