Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chine (suite)

Avec Su Dongpo, la vie quotidienne, ferment de réflexions, s’exprime en vers. Ses poèmes musicaux (ci) bouleversent la tradition au mépris des règles et des sujets imposés. L’illustre ci de la Falaise rouge, sur l’air En pensant à la belle esclave, entrelace le lyrisme de l’histoire à l’évocation du site grandiose :
Les roches en désordre percent le ciel,
Les vagues effrayantes battent les rives,
Roulant mille monceaux neigeux...
Que de héros vit ce seul jour !
Éventail de plume, coiffe de soie,
Sans qu’il cesse de rire et de parler,
La flotte de ses ennemis vole en éclats et se réduit en fumée...

En 1124, les tribus des Djurtchets envahissent la Chine du Nord, prennent la capitale et fondent la dynastie Jin (Kin). Les Song du Sud établissent leur nouvelle capitale à Hangzhou (Hang-tcheou) et y restent jusqu’à ce que les Mongols provoquent leur chute. L’abandon du sol ancestral et le désir de le reprendre aux barbares trouvent un écho dans la poésie des Song du Sud, où les thèmes patriotiques abondent. Li Qingzhao (Li Ts’ing-tchao, 1081-1141 ?), une des rares poétesses de talent de la Chine, a été témoin et victime de ce drame. Née dans une famille opulente et lettrée du Shandong (Chan-tong), mariée à un jeune fonctionnaire qui partageait ses goûts pour la littérature et les belles choses, ses premières poésies sont pleines de délicatesse et de sensibilité féminine. Mais le couple doit fuir les envahisseurs et, peu après, le mari meurt. La détresse de Li Qingzhao, si personnelle soit-elle dans la cinquantaine de poèmes qui nous sont parvenus, exprime la désespérance de tous ceux qui furent pris dans la tourmente.

Lu You (Lou Yeou, 1125-1210) a laissé au contraire plus de dix mille poèmes, presque exclusivement réguliers. Confucéen imbu de la grandeur de son pays, il aurait voulu voir les souverains Song chasser les Jin de la Chine du Nord ; tout au long de sa vie, il ne cesse d’exhorter le gouvernement à l’action. Mais sa voix de petit fonctionnaire, puis de poète à la retraite, n’éveille aucun écho. Préfet d’une ville de la province du Sichuan (Sseu-tch’ouan) qu’il aimait beaucoup pour la diversité de ses panoramas, Lu You décrit ses voyages dans d’innombrables poèmes. Son intérêt ne va pas seulement aux paysages ou aux temples, mais aussi à toutes les manifestations, si humbles soient-elles, de la vie des hommes. Le style en est aisé et familier, sans recherche affectée.

L’inspiration de Xin Qiji (Sin Ts’i-tsi, 1147-1207) est très proche de celle de Lu You, mais son œuvre ne comprend que des poèmes à chanter, dont il est certainement le plus brillant auteur. Également patriote ardent, sa carrière de général lui permet de lutter contre les Jin. Mais, à quarante ans, il est évincé de l’armée et cherche l’oubli dans la poésie et la nature. Parmi ses six cents ci (ts’eu) aux thèmes variés, le paysagisme occupe une place prépondérante. Comme dans la peinture de paysages caractéristique des Song, ses poèmes font surgir, par touches apparemment disjointes, les évocations disparates d’un moment ou d’un lieu dont la réalité prend corps peu à peu.

Sous la dynastie Yuan (1279-1368), la littérature populaire est à l’honneur avec le théâtre et le roman. Le théâtre, mi-chanté, mi-parlé, est à l’origine d’un genre poétique nouveau, le sanqu (san-k’iu). Les parties chantées des pièces de théâtre, composées en vers, sont trop longues pour être considérées comme des poèmes, bien que beaucoup d’entre elles, telles celles de Wang Shifu (Wang Che-fou), soient de toute beauté. Le sanqu suit les mêmes règles de composition que les airs théâtraux : une seule rime, une seule tonalité musicale. Plus libre que le ci, il admet des variantes dans le rythme et des expressions de la langue parlée. La plupart des grands dramaturges ont écrit des sanqu pour exprimer leurs sentiments : les poèmes d’amour de Guan Hanqing (Kouan Han-k’ing) sont très célèbres. Ma Zhiyuan (Ma Tche-yuan) ranime la tendance taoïste de la poésie. Ses poèmes, d’inspiration classique, où il chante le vin, l’amitié et la fuite du temps, le rapprochent de Su Dongpo (Sou Tong-p’o) et de Li Bo (Li Po).

Le sanqu est pour ainsi dire le dernier enfant du génie créateur des poètes chinois. Dorénavant, les poètes ne feront plus qu’imiter et répéter, choisissant leurs modèles soit parmi les Tang, soit parmi les Song, selon la vogue de l’heure et le tempérament de chacun. La sévère censure qui bride la littérature entière sous les Ming (1368-1644) et les Qing (Ts’ing, 1644-1911) n’est pas faite pour faciliter l’originalité et l’esprit inventif. Il existe bien un certain nombre d’auteurs, doués de plus ou moins de talent, mais aucun ne sait s’imposer à la postérité comme leurs brillants prédécesseurs. Citons pour mémoire Yuan Mei (1716-1797), auteur de charmants contes et de poèmes légers, dont la frivolité irrite la morale rigide des confucianistes de l’époque.

Quelques raisons justifient la présentation du roman et du théâtre dans des rubriques séparées. La tradition littéraire orthodoxe chinoise ne comprend aucun de ces deux genres, considérés comme vulgaires et d’ailleurs d’apparition tardive. En effet, les plus grands romans sont écrits en langue parlée, et les contes écrits en langue classique sont abaissés au rang de divertissement sans intérêt. Quant au théâtre, son aspect « spectaculaire » le dégrade aux yeux des lettrés ; les textes eux-mêmes, composés de dialogues en langue populaire et de chants versifiés parfois très élaborés, sont difficiles à classer entre la prose et la poésie. À la recherche de tradition populaire vivante, la révolution littéraire du début du siècle rendra justice à ces manifestations négligées jusqu’alors.


Le roman

Tout au long de son histoire, le roman garde en Chine certaines des caractéristiques qui ont présidé à sa naissance : c’est une littérature orale, populaire et impersonnelle. Récits merveilleux, apologues édifiants ou biographies ornées de personnages historiques, les aventures sont présentées de façon à retenir l’attention d’un auditoire et non d’un lecteur. Cela explique l’importance primordiale d’une action soutenue et rapide, comme la survivance de certaines formes stylistiques. Fait pour être compris et apprécié par des personnes sans instruction, c’est un art populaire : les thèmes favoris sont issus du folklore mythico-religieux et de la vie quotidienne. Par le biais du roman, la langue vulgaire fait une entrée dans la littérature, au grand dam des lettrés. Jusqu’à une époque récente, ceux-ci ont méprisé leur tradition romanesque et considéré la fiction comme un art mineur. La plupart des œuvres romanesques qui nous sont parvenues sont anonymes ; et lorsque l’attribution d’un livre à un auteur n’est contestée par personne, il s’agit le plus souvent d’un compilateur qui n’a fait qu’arranger et présenter des histoires connues. Le roman chinois est une œuvre collective : son histoire n’est pas celle d’une succession d’écrivains de génie, mais une série de thèmes et de personnages qui naissent, se développent, se transforment et disparaissent avec le temps.