Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

agriculture (suite)

Introduction

Les hommes se sont longtemps procuré les produits animaux et végétaux dont ils se nourrissent par la cueillette, la chasse et la pêche, qui sont des techniques faiblement productives. L’invention de l’agriculture et de l’élevage a marqué une véritable révolution (la « révolution néolithique » de Gordon Childe) ; les groupes humains ont pu se multiplier ; leur travail plus efficace a permis de dégager les surplus nécessaires aux populations citadines ; les villes sont apparues dans les premières civilisations rurales, il y a sept ou huit millénaires, au Moyen-Orient.

L’agriculture n’est pas née brusquement. Elle est le résultat d’une somme d’innovations : certaines espèces végétales ont été choisies et peu à peu améliorées pour répondre aux besoins de l’homme.

On a appris à domestiquer quelques espèces animales, à se nourrir de leur lait et de leur viande, à utiliser leur force. L’habitude s’est prise de travailler la terre, ou de l’aménager, afin de substituer à la végétation naturelle des associations utiles. On a combiné, dans la plupart des cas, la culture à l’élevage. Il n’y a guère que dans les milieux difficiles, ceux du monde aride, des déserts froids, que s’est développée une vie pastorale autonome.

Jusqu’à la fin du xviiie s., les travaux des champs ont mobilisé la plus grande partie de la population active de tous les pays : 70 ou 80 p. 100 des gens se trouvaient attachés à la terre. L’emploi qu’ils y trouvaient était irrégulier, marqué par de longues périodes de chômage saisonnier ; mais au moment des travaux, lorsqu’il fallait préparer les terres, semer, récolter, leur présence était indispensable.

La situation de la plupart des pays sous-développés, dans le monde tropical en particulier, demeure semblable à celle que connaissaient les nations européennes au xviiie s. Mais ailleurs, que de transformations ! La mise en culture se fait d’une manière beaucoup plus efficace. Dans les sociétés nées de la révolution industrielle, un travailleur réussit à récolter ce qu’il faut pour en nourrir dix, quinze ou vingt autres, si bien que la part de la population spécialement vouée aux tâches agricoles ne représente que 10 p. 100, 8 p. 100, voire 5 p. 100 du total de la population active.

La paysannerie perd de son importance relative partout dans le monde ; dans nombre de pays, elle voit ses effectifs diminuer de manière absolue. Est-ce à dire que l’agriculture joue un rôle de plus en plus modeste dans le monde moderne ? En partie seulement, car elle continue à conditionner la vie de l’ensemble des populations. Les difficultés qui résultent de la rapidité de son évolution et la gravité des problèmes auxquels elle doit faire face la rappellent sans cesse à l’attention. Dans les nations industrialisées, les cultivateurs se désolent de trop produire. Ailleurs, ils ne peuvent satisfaire les besoins d’une population qui augmente trop vite. Partout, les paysans se révoltent contre une évolution qui les défavorise.


La découverte de la diversité agricole du monde

La diversité des activités agricoles semble défier les efforts de classement : le climat limite les aires de cultures ; les sols imposent, par leur fertilité et leurs aptitudes particulières, des options variables. Mais les traits contrastés de la géographie agricole ne tiennent pas uniquement à des facteurs physiques : ils résultaient, avant que la circulation n’unifie le monde, de l’inégale valeur des plantes dont disposaient les peuples selon le milieu où ils vivaient ; ils dépendent plus généralement des techniques utilisées, du niveau de développement, des habitudes culturelles, des formes d’organisation des unités de production que constituent les fermes ainsi que de la nature et de l’étendue des circuits de distribution des produits agricoles.

Quand a-t-on pris conscience de la diversité de la vie et des travaux de la terre dans le monde ? Les agronomes de l’Antiquité ou de la Renaissance sont préoccupés par l’équilibre de l’exploitation. Ceux des xviie et xviiie s. se penchent sur le problème du maintien ou de l’augmentation de la fertilité et des rendements : ils inventent les techniques modernes de production. Ils s’aperçoivent vite de la fécondité des études comparatives : c’est en analysant les divers systèmes agricoles pratiqués dans le monde que l’on arrive à les comprendre en profondeur. On voit donc apparaître une série d’agronomes et d’économistes voyageurs, qui font découvrir la diversité des systèmes de culture : Arthur Young compare l’Angleterre, l’Irlande et la France ; Sismondi dresse un tableau minutieux de l’agriculture toscane ; l’abbé Rozier donne, dans son cours d’agriculture, une vue générale des techniques utilisées et des assolements pratiqués dans les pays alors connus des Européens. À la diversité de l’outillage, des plantes et des façons s’ajoute celle qui résulte de la part relative donnée au facteur « terre » dans la combinaison productive (ce que Lecouteux signale en France à la fin du xixe s. en montrant l’opposition des pratiques intensives et extensives). Les particularités des agricultures non européennes sont plus longtemps méconnues. On dispose assez tôt de bonnes descriptions de la riziculture extrême-orientale, mais on prend conscience plus tard de la logique de l’utilisation du sol en zone tropicale sèche. Au début du siècle, Paul Vidal de La Blache doit à une relation précise d’Auguste Chevalier la compréhension du problème de l’agriculture itinérante, mais son contemporain Jean Brunhes, lorsqu’il présente l’économie des Fangs du Gabon, ne voit pas l’aspect positif de leurs pratiques, qu’il classe parmi les formes de l’économie destructrice. C’est seulement après 1945 que les problèmes d’ensemble du monde tropical sont posés par Pierre Gourou.

Au fur et à mesure que la connaissance des campagnes se précise, on sent mieux comment les différents éléments de la vie agricole se trouvent liés par des relations complexes. On devine l’importance des rapports stables au niveau du paysage, de l’équipement, de certains réflexes. L’étude de la vie agricole devient celle des structures qui la caractérisent : on découvre l’originalité des sociétés paysannes à la suite des travaux des sociologues américains ; on met en évidence les caractères originaux des paysages agraires ; les recherches sur leur formation, conduites au départ par des auteurs d’Europe du Nord ou d’Europe centrale, comme l’Allemand Emil Meynen, passionnent les géographes et les historiens français depuis les années 1930, comme en témoignent les travaux de Marc Bloch, de Roger Dion et de Gaston Roupnel.