Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

agressivité (suite)

La solution interviendra en rupture avec la notion proprement nietzschéenne d’une agression définie comme expansion d’une volonté de puissance. La pulsion d’agression finalement reconnue par Freud tiendra sa spécificité de son but, conçu de la manière la plus radicale : comme destruction. Autrement dit, l’agressivité n’est pas une fonction de la vie, ainsi que le voulait Nietzsche ; elle relève de la sphère des pulsions de mort (notion introduite par Freud en 1920 dans Au-delà du principe de plaisir). L’un des bénéfices majeurs de ce renouvellement sera de fonder l’économique de la genèse du sur-moi, en tant que l’agressivité, retenue de s’exercer sur le monde extérieur, se retournera contre le moi. Plus précisément, la désexualisation, voire même la sublimation, qui sont la condition de l’identification du sujet au prototype paternel, renferment la composante agressive de l’idéal, dans la mesure même où elles affaiblissent la composante de tendresse, qui l’équilibrait.

Paradoxalement, le progrès de la culture se solde donc par un développement de l’agressivité. Le thème était virtuellement esquissé dès l’époque du Mot d’esprit... (1905), puisque Freud y fait intervenir dans l’avènement de l’esprit la libération des tendances agressives en présence des résistances de l’objet poursuivi. Et, de fait, c’est désormais en tant que pièce maîtresse d’une théorie générale de la civilisation que la pulsion agressive, ou de destruction, devait être envisagée par Freud, au premier chef en 1930 dans Malaise dans la civilisation.


Melanie Klein

Du seul point de vue clinique, la portée de la conception freudienne de la pulsion agressive n’a cessé de s’affirmer, et en premier lieu grâce à Melanie Klein, dont la restitution d’une structure œdipienne très précoce entraîne notamment l’assignation d’un sentiment de culpabilité archaïque et son explication par l’exaspération des pulsions agressives.

Cette angoisse de culpabilité agit dans une double direction : l’enfant redoute d’être lui-même exterminé par ses propres tendances destructrices ; à mesure que le moi se développe, il découvre le pouvoir de la mère quant à l’assouvissement de ses besoins. Les dangers internes sont alors échangés contre ceux de l’extérieur, et le moi cherche dans la destruction de l’objet une protection contre ces menaces du dehors. Dans la perspective ouverte par Abraham, on peut dès lors tenter de caractériser des types d’agression correspondant aux stades de développement, et qui sont désignés en une acception élargie comme formes du sadisme oral, urétral, anal, correspondant aux stades de développement, et dont le premier objet, au regard de Melanie Klein, demeure le sein frustrateur de la mère. Non que celle-ci détienne par elle-même le privilège de provoquer l’angoisse. L’un des apports les plus originaux de Melanie Klein a été de mettre en valeur le déplacement par lequel le pénis du père intégré au corps de la mère en redouble la puissance de menace. La partie valant pour le tout, père et mère sont réunis en effet en une même personne, et l’on s’explique que le sadisme de l’enfant trouve son objet privilégié dans la scène primitive, qui appelle de sa part « destruction à la fois simultanée et successive du père et de la mère ».

C’est de là que tirent leur origine à la fois le développement ultérieur de la lutte entre les tendances destructrices et la libido, et la fonction essentielle de l’angoisse archaïque, issue de la poussée des pulsions agressives, dans le développement de la réalité.

La représentation kleinienne de l’agressivité se résume donc en un commentaire clinique de la théorie freudienne de la pulsion de destruction, solidaire de la théorie des pulsions de mort. De là deux lignes principales d’élaboration : l’une visant à la réduction psychologique de la notion psychanalytique de pulsion agressive, l’autre tendant à maintenir le concept tout en lui apportant une détermination incontestablement précise dans le registre même de la pensée psychanalytique.


Le groupe de Yale

Paradoxalement, c’est de Freud que se réclame la tentative de réduction du concept de pulsion agressive, conduite par le groupe de Yale : Dollard, Doob, Miller, Mowrer et Sears ; leur publication collective, en 1939, sous le titre de Frustration et agression, a valeur de manifeste. Le malentendu tient d’abord à des raisons négatives.

Les tests* cliniques (Rorschach et T. A. T. de Murray, notamment) ont mis en évidence certaines constances de réaction, qu’il est légitime de rapporter à une composante « agressive » de l’organisation psychique. Les techniques de l’analyse* factorielle ont, à un second degré de représentation, conduit à des résultats comparables. Dans la mesure, toutefois, où le facteur d’agressivité dégagé n’a désormais pour fonction que de répondre à des exigences formelles, son rapport au milieu reste entièrement indéterminé. Le groupe de Yale, en subordonnant l’agression à la frustration d’un besoin, lui donne au contraire la primauté. Définition initiale de l’agression : toute séquence de comportement réactionnel ayant pour terme final le mal infligé à un autre organisme. Hypothèse : toute agression a pour cause une frustration. Nouvelle définition de l’agression en fonction de l’hypothèse : réponse consécutive à la frustration, qui réduit l’instigation secondaire, produite par la frustration, et laisse intacte l’instigation originelle. La théorie psychanalytique de la pulsion est ainsi interprétée à l’aide d’une conceptualisation où convergent le schéma stimulus — réponse du béhaviorisme* — et une psychologie des motivations inspirée du principe d’homéostasie de Cannon. Les problèmes de la socialisation de l’adolescence et de la criminalité, du fascisme et du communisme tombent alors sous une commune explication par la frustration, en accord avec les normes d’une civilisation et les préoccupations d’une époque.