Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chikamatsu Monzaemon (suite)

Gidayū avait mis au point un nouveau mode d’interprétation des jōruri, le « mode gidayū », qui distingue nettement les parties lyriques, chantées, du dialogue, parlé, dans lequel le ou les diseurs cherchent à diversifier les voix des personnages. Cela, ajouté au perfectionnement progressif des poupées, rapprochait le ningyō-jōruri (« jōruri avec marionnettes ») d’un véritable théâtre.

En 1686, Gidayū ouvrait une salle à Ōsaka et commandait une pièce à Chikamatsu. C’est Shussei-Kagekiyō (les Exploits de Kagekiyō), qui consacre la rupture avec la tradition épique : malgré l’inévitable schématisation des caractères, malgré l’emphase boursouflée du discours, malgré l’invraisemblance de certaines situations, c’est un véritable drame, et non plus un récit linéaire.

Une quarantaine de jōruri suivront, dans un premier temps, de mieux en mieux construits, avec une intrigue de plus en plus savante, un dialogue d’une subtilité croissante. Les thèmes, du type « historique », c’est-à-dire empruntés à la tradition nationale, ou plus rarement continentale, et très librement adaptés, sont dans une large mesure ceux que déjà le nō et les « jōruri anciens » avaient utilisés, mais ils sont traités avec une ampleur nouvelle ; les personnages les plus populaires, tels l’illustre Yoshitsune, le héros des guerres du xiie s., ou les frères Soga, dont la vendetta est le sujet de tout un cycle épique, y prennent un caractère de plus en plus éloigné de leur archétype historique ou légendaire, mais qui fait d’eux d’authentiques héros de tragédie, exemplaires parce que plus proches de l’humanité.

En 1703, Chikamatsu franchit une nouvelle étape en portant sur la scène non plus des princes de légende ou des héros d’une épopée lointaine, mais des petits bourgeois d’Ōsaka, protagonistes d’un drame sanglant qui venait de défrayer la chronique de la ville, et cela sous leur propre nom. C’est le Double Suicide de Sonezaki, qui conte la fin lamentable d’un commis de boutique et d’une courtisane de bas étage, qu’une sordide question d’argent contraint à mourir. Le succès fut tel que les finances de Gidayū en furent rétablies. Il confia alors à Takeda* Izumo la direction de la salle : homme d’affaires avisé et metteur en scène de grand talent, ce dernier voulut donner à Chikamatsu, dont il s’assura l’exclusivité, des interprètes dignes de lui en perfectionnant l’art des marionnettes.

Le dramaturge, de son côté, s’attachait de plus en plus au réalisme dramatique et à la vraisemblance, tant et si bien que ses drames de la dernière époque pourront être transposés plus tard, sans modifications notables, en pièces d’acteurs pour le kabuki. Vingt-trois drames bourgeois suivront Sonezaki, et parmi eux des chefs-d’œuvre qui éclipsent aux yeux de la postérité tous les jōruri « historiques », notamment le Double Suicide à Amijima (1720) et surtout le Meurtre d’une femme, un enfer d’huile (1721), dans lequel, à propos d’un crime crapuleux, toute une société est impitoyablement disséquée et mise en accusation.

Parmi les drames historiques, il convient cependant de relever Kokusenya-kassen (les Batailles de Coxinga), qui, du vivant de Chikamatsu, fut son triomphe. Gidayū était mort en 1714, et il fallait, par une pièce taillée sur mesure, imposer au public son fils adoptif et successeur, Masadayū. La pièce tint l’affiche pendant dix-sept mois, avec plus de 200 000 entrées, dans une ville qui avait alors environ 300 000 habitants.

R. S.

 M. Chikamatsu, Œuvres complètes, éditées par I. Fujii (en japonais, Ōsaka, 1925-1928 ; 12 vol.). / A. Miyamori, Chikamatsu, the Japanese Shakespeare (Londres, 1926). / T. Takano, Recueil de pièces de théâtre kabuki de Chikamatsu (en japonais, Tōkyō, 1927). / R. Sieffert, Bibliographie du théâtre japonais (Tōkyō, 1954). / D. Keene, Major Plays of Chikamatsu (New York, 1961).

Chili

En esp. Chile, État de l’Amérique du Sud. Capit. Santiago.
Situé sur la côte occidentale de l’Amérique du Sud, dans la partie méridionale du continent, le Chili est un État de forme particulièrement originale : il s’allonge sur environ 4 200 km du nord au sud, alors que sa largeur, qui ne dépasse jamais 350 km, est inférieure en certains points à 100 km. Le Chili se présente donc comme une étroite bande de terre, essentiellement formée par le grand versant occidental des Andes et affectée de climats variés du fait de son étendue en latitude.
Longtemps isolée en raison des difficultés de communication, la population actuelle est le fruit d’un métissage entre les colons espagnols et les populations indiennes autochtones. L’économie a été caractérisée jusqu’à une époque récente par l’association d’une agriculture extensive dans le cadre de grands domaines et de l’exploitation des matières premières destinées à l’exportation ; elle s’est différenciée depuis quelques dizaines d’années avec l’essor des industries de biens d’usage et de consommation et la diversification des productions agricoles. Mais ce développement caractérise essentiellement la partie centrale du Chili, qui s’oppose, de ce fait, à la région nord, désertique, aussi bien qu’à la zone sud, au climat froid et humide.


Le pays et les hommes


Le relief

Pays de montagne, le Chili est entièrement constitué par l’édifice andin depuis la partie méridionale des Andes centrales jusqu’à la disparition de la muraille andine, à l’extrême sud du continent. Dans les régions du nord et du centre, la montagne est formée, en fait, de deux chaînes parallèles méridiennes : à l’ouest s’étire une cordillère littorale dont les altitudes dépassent rarement 1 000 à 1 500 m (mis à part quelques sommets, qui atteignent plus de 3 000 m dans le désert d’Atacama et 2 000 m à la latitude de Santiago). En général, cette première ligne de crêtes, peu vigoureuse, correspond à d’anciennes surfaces d’érosion soulevées et disloquées en blocs étages, offrant des paysages aux formes lourdes. À l’est, au contraire, formant frontière avec la Bolivie, puis avec l’Argentine, s’étend la haute cordillère des Andes proprement dite, dont les altitudes décroissent progressivement du nord vers le sud. Ces hautes crêtes, qui, au nord, dépassent 5 000, voire 6 000 m d’altitude, constituent une véritable muraille surmontée de volcans, dont certains sont en activité et provoquent des séismes parfois très dangereux. De courtes vallées transversales facilitent néanmoins la traversée. Entre cette grande cordillère orientale et la ligne des hauteurs plus modestes de la côte s’étend une zone de fossés d’effondrement qui, dans le nord, constituent des bassins intérieurs discontinus et étroits, puis forment sur plus de 1 000 km la fameuse Vallée centrale, véritable cœur du pays, aussi bien pour le peuplement que pour la mise en valeur économique. La cordillère côtière, d’autre part, ne retombe pas toujours directement sur la mer ; elle en est séparée par une série de petites plaines littorales, ou de petites terrasses transformées en collines ; aussi, dans toute la partie nord et centre du pays, sur plus de 2 400 km, la côte est-elle peu accidentée et assez rectiligne. Au contraire, dans le secteur méridional, sur environ 1 800 km de longueur, la montagne andine, moins élevée, atteint directement la mer ; façonnée par les glaciers, elle offre un paysage côtier beaucoup plus irrégulier, fait d’une série de golfes, de petites îles et d’archipels et, dans l’extrême Sud, de vallées glaciaires qui descendent jusqu’au niveau de la mer.