Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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chemin de fer (suite)

Aspect technique du chemin de fer

Le chemin de fer est caractérisé par la faible résistance au roulement offerte par les roues en acier sur des rails eux-mêmes en acier et le guidage des véhicules par ces derniers. De tous les moyens de transport terrestres, il est celui qui présente la plus faible résistance à l’avancement. Sur une voie en palier, un effort de 4 à 7 daN (de 4 à 7 kgf) suffit à déplacer une masse d’une tonne. Cet avantage permit très vite une diminution importante du nombre de chevaux nécessaires à l’exploitation des premières lignes avant l’apparition des locomotives. Cependant, la présence des dénivellations prend dans ces conditions une importance démesurée en raison de la composante de la pesanteur parallèle à la voie, qui s’ajoute à la résistance à l’avancement. Cette particularité a entraîné des travaux considérables pour l’aménagement des voies, car une rampe de 3 p. 100, envisagée comme négligeable dans le cas de la route, est regardée comme très difficile en traction ferroviaire. Cette difficulté est encore accrue par la faible adhérence des roues des locomotives, qui limite le développement de l’effort de traction, et, pour un engin moteur donné, la charge admissible d’un train est considérablement diminuée sur les lignes présentant de sévères rampes. Quoique l’altitude ne soit pas un obstacle insurmontable pour les chemins de fer (la desserte des centres miniers andins a conduit le rail à 3 960 m d’altitude), la construction des lignes de montagne a souvent entraîné la réalisation de très grands ouvrages d’art : viaducs et tunnels. Dans certains cas, les chemins de fer utilisent des dispositions indépendantes de l’adhérence roue-rail. C’est le cas des chemins de fer à crémaillère, des funiculaires et des chemins de fer atmosphériques, qui permettent alors aux véhicules de circuler sur des pentes beaucoup plus importantes. Le guidage des véhicules de chemin de fer par deux files de rails parallèles a, d’autre part, permis des vitesses qui restèrent longtemps inégalées dans le domaine des transports. The Rocket de Stephenson avait déjà atteint 47 km/h en octobre 1829, et les progrès dans ce domaine furent tels que, dès la fin du xixe s., la vitesse de 180 km/h était déjà dépassée. De sensibles progrès furent accomplis grâce à l’application de l’électricité à la traction ferroviaire. Elle fut inaugurée par les tramways avant que n’apparaissent les locomotives électriques. C’est une automotrice électrique qui permit de dépasser la vitesse de 200 km/h en 1903. Les vitesses élevées restèrent longtemps le privilège du chemin de fer, et il fallut l’apparition de l’avion pour que cette suprématie soit contestée. En revanche, le guidage mécanique des véhicules offre au chemin de fer une sécurité de roulement et une possibilité d’automatisation qu’aucun autre moyen de transport n’a encore pu égaler. Sa régularité de circulation, pratiquement indépendante des conditions atmosphériques, le place parmi les moyens de transport indispensables à l’économie d’un pays.


Le rôle économique

Le chemin de fer a été l’instrument de la révolution des transports sur les continents : il est infiniment plus souple que le canal, qui l’avait précédé à la fin du xviiie s. et au début du xixe s. dans la grande aventure du désenclavement du monde. Cependant, le rail nécessite des infrastructures coûteuses et ne peut tout desservir ; malgré ces faiblesses, il demeure l’instrument privilégié de certaines catégories de transport : les envois pondéreux sur de longues distances, les services réguliers par tous les temps. Dans les zones dont le développement entraîne la congestion, il paraît seul capable aujourd’hui d’assurer les mouvements de voyageurs à grand débit sur de courtes ou de moyennes distances.

On peut distinguer dans l’histoire des transports ferroviaires trois grandes périodes : d’abord celle où le rail permet d’ouvrir l’espace et où il domine toute la géographie des communications ; ensuite celle où la concurrence de l’automobile et de l’avion menace sa suprématie et remet en cause les principes de la géographie de l’accessibilité qu’avait créée la voie ferrée à l’ère précédente ; enfin celle — que nous vivons — d’une réadaptation, qui signifie repli dans certains domaines, rééquipement et accroissement de l’efficacité dans d’autres.


Développement et primauté du chemin de fer

L’histoire des perfectionnements et des inventions qui se sont succédé dans le courant du xixe s. est passionnante : la puissance des moteurs augmente rapidement, comme leur vitesse et leur robustesse. Les dispositifs à double et à triple expansion améliorent le rendement de l’engin. Les dispositifs de freinage deviennent de plus en plus sûrs, et Westinghouse trouve le moyen de les commander à distance. La signalisation augmente la sécurité. Les dispositifs à crémaillère ouvrent les régions au relief accidenté. En cinquante ans, les progrès sont tels que le rail apparaît comme le moyen le meilleur marché, le plus régulier et le plus rapide d’assurer des relations rapides sur toutes distances : la voie d’eau ne garde son avantage que sur certains itinéraires et pour de très grandes masses.

L’Angleterre a joué le rôle d’initiatrice, et la plupart des pays se sont équipés en copiant les modèles qu’elle avait mis au point, en adoptant les normes qui étaient les siennes. Très vite, on s’est aperçu que les caractéristiques de la ligne conditionnaient la rentabilité de son exploitation. Les frais de pose augmentent très vite lorsque l’écartement des rails croît. Celui-ci autorise évidemment des vitesses supérieures et des débits plus importants, mais l’investissement supérieur n’est justifié que dans les zones où l’on est certain de disposer d’un trafic lourd et régulier.

Au moment de créer les voies, la rationalité économique semblait donc mener à la multiplication des gabarits. À la fin du siècle, dans les pays colonisés ou dans ceux dont l’économie était dépendante, on diversifia ainsi les écartements, ce qui interdisait de tirer pleinement bénéfice des investissements réalisés : on ne pouvait profiter des avantages qui naissent d’un réseau général de communications. En Europe, en Amérique du Nord, il n’en fut pas de même : au moment de la création des grandes lignes, l’imitation du modèle anglais ou le choix d’un modèle voisin plus large, par exemple en Russie et en Espagne, permirent rapidement la constitution de réseaux cohérents. Le pouvoir politique devait nécessairement intervenir lorsqu’il s’agissait de tracer une ligne pour permettre les expropriations nécessaires : dans la plupart des pays, l’initiative privée gardait le rôle essentiel dans la construction et dans l’équipement, mais l’intervention de l’État, là où il était assez fort, favorisa la normalisation des écartements.