Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

agglomération urbaine (suite)

La concentration de toutes les activités collectives dans un espace restreint permet de maintenir la cohésion d’un ensemble lorsque ses dimensions croissent. Dans les limites étroites d’une enceinte fortifiée, les points de rassemblement peuvent s’éparpiller sans cesser d’être accessibles. Dans un espace dilaté, la chose n’est plus possible que par la recherche d’une centralité rigoureuse.

Les transports en commun modernes élargissent considérablement le rayon urbain, mais leur économie est ainsi faite qu’ils ne font qu’accentuer les tendances à la concentration ; ils ne peuvent assurer de circulation également efficace dans toutes les directions ; ils créent une anisotropie, dont le centre des villes a profité.

Les moyens de transports individuels modifient les conditions de cet équilibre. La multiplication des relations le long des mêmes itinéraires cesse d’être avantageuse. Et les nécessités du stationnement rendent inaccessibles les secteurs où existe une trop forte accumulation des activités collectives. Ainsi la tendance à la concentration absolue cesse de se manifester : les lieux où les affaires, les loisirs ou les rencontres prennent place peuvent de nouveau se disperser au sein de l’espace urbain ; c’est même une nécessité si l’on veut éviter l’asphyxie des secteurs centraux. Et comme il est possible de parcourir en un temps raisonnable, une demi-heure par exemple, des distances de vingt ou trente kilomètres, on voit la ville éclater dans un cercle qui a à peu près ce rayon, et cela quelle que soit sa population. Au lieu des quelques kilomètres carrés des villes traditionnelles, voici que les paysages suscités par les activités urbaines sont répartis sur 1 000 km2, parfois bien davantage, puisqu’il s’agit pour Los Angeles de plus de 7 000 km2 !

De tels espaces ne sont plus ordonnés autour d’un seul centre : ils se présentent sous la forme d’une constellation de noyaux d’affaires ou d’industrie. Leur répartition traduit le jeu d’attractions et de répulsions qui fait de l’ensemble un tout en équilibre. L’agglomération y perd l’unité qu’elle avait jusque-là. Elle n’est pas à proprement parler une conurbation, parce qu’elle n’est pas faite de la juxtaposition de centres indépendants dont les aires d’influence ont fini par se rencontrer. Elle a cessé d’être un être simple : elle est constituée par une fédération de noyaux dont les rôles se déterminent mutuellement. C’est ce que veut traduire le géographe américain Vance lorsqu’il parle de sympole pour définir des agglomérations comme celle de la baie de San Francisco. D’autres auteurs parlent de villes régionales, ou de villes-régions, car elles constituent à elles seules, par leur étendue, de petites régions, et qu’elles regroupent dans leurs limites une bonne part des activités qui étaient autrefois réparties parmi tous les centres urbains qui dépendaient de la métropole régionale.

On voit ainsi toute la complexité de la notion d’agglomération urbaine ou, mieux, d’aire métropolitaine : celle-ci est née de l’élargissement progressif des banlieues résidentielles des villes, de leur coalescence en conurbations. Elle s’applique maintenant à des êtres dont la structure est plus complexe, dans la mesure où ils présentent une multiplicité de centres nerveux dont la hiérarchie est souvent indécise.


Les problèmes posés

L’élargissement de l’espace urbanisé, ou dominé par la ville, a multiplié les problèmes. L’administration est généralement malaisée, car l’agglomération, en s’étendant, a englobé des communautés locales autonomes. Le problème se pose de réadapter sans cesse la carte administrative aux limites de l’aire urbaine. De multiples raisons freinent le mouvement : l’égoïsme des petits groupes s’oppose fréquemment à l’intérêt du plus grand nombre. Beaucoup craignent aussi que la concentration de l’autorité n’aboutisse à rompre le contact entre les citadins et ceux qui sont responsables de leur sort.

Les grandes agglomérations font naître aussi des problèmes écologiques qu’ignoraient les villes d’antan. Les progrès des transports permettent bien sûr de les approvisionner avec moins de peine qu’il n’en fallait, à la fin du xviiie s., pour faire vivre les quelques villes qui dépassaient cent mille habitants. Mais les consommations d’eau et d’air ont été multipliées par les activités industrielles, les transports individuels, le développement de l’hygiène et de l’habitat étalé en surface. Il est de plus en plus difficile de trouver des rivières, des lacs ou des nappes qui permettent d’étancher la soif des grandes agglomérations, et cela même dans des pays au climat océanique humide comme l’Angleterre, la France ou certaines parties des États-Unis par exemple.

Plus graves sont encore les conséquences des pollutions : l’eau qu’emploie la ville est pour la plus grande part rejetée, l’air employé l’est en totalité. Mais avant qu’ils ne soient de nouveau utilisables pour la consommation humaine, ils doivent être débarrassés de toutes les impuretés, de tous les principes nocifs dont ils se sont chargés. Dans certains cas, on se trouve aujourd’hui à la limite de ce qui peut être régénéré dans un espace donné : que l’on pense aux agglomérations californiennes, où, malgré une lutte opiniâtre contre toutes les formes de pollution, le nombre de jours où les brouillards polluants régnent ne cesse de s’accroître ! Les nécessités du métabolisme de l’organisme collectif qu’est la ville peuvent, dans certains cas, imposer une limite à son gigantisme.

Les problèmes des agglomérations naissent aussi de l’importance des circulations qu’elles engendrent : les grandes cités appellent la construction de voies autoroutières rapides qui permettent de desservir les noyaux d’activité périphériques qui se créent ; elles ressentent comme un besoin la rénovation des systèmes de transport collectif nécessaires à l’efficacité des vieux centres. Lorsqu’elles ont une histoire assez longue et chargée, les opérations de remodelage de l’espace pour l’adapter aux besoins modernes se multiplient et finissent par accabler les municipalités qui doivent les supporter. Enfin, les nouveaux venus sans qualification et sans revenus ne peuvent s’installer que dans les espaces qui ont été délaissés par le marché foncier général : ils y créent des bidonvilles, des favelas, dont la suppression suppose la multiplication des logements à caractère très économique.