Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Charles III (suite)

Le comte d’Aranda va continuer la lutte menée contre le traditionalisme, particulièrement enraciné en Espagne. En 1767 est décrétée l’expulsion des Jésuites du territoire métropolitain et des colonies, car ils sont accusés d’avoir pris une part active à l’émeute. Le Portugal et la France ont déjà appliqué la même décision, et Charles III s’efforce vainement de faire décréter par le pape Clément XIII l’extinction de l’ordre. Par contre, Clément XIV, à la demande de l’ambassadeur d’Espagne à Rome, José Moñino (qui recevra le titre de comte de Floridablanca en récompense de cette démarche), promulgue le bref Dominus ac redemptor (1773), qui dissout la Compagnie de Jésus.

Les autres réformes ont des effets très positifs : colonisation des zones dépeuplées, notamment dans la sierra Morena (1767) ; mesures de désamortissement en vue d’éviter la concentration de la propriété ; défense de la liberté de l’industrie et de la circulation des marchandises ; suppression des douanes et autres barrières intérieures ; protection de la production nationale par un régime douanier rigoureux ; modification du système fiscal pour que tous puissent participer aux dépenses publiques ; diminution des privilèges de la noblesse ; lutte contre les particularismes régionaux ; réorganisation de l’enseignement ; création des sociétés des Amis du pays, destinées à promouvoir la culture professionnelle et technique ; modifications dans l’Administration, la justice, l’armée et la marine ; impulsion donnée à l’urbanisation de Madrid et de quelques autres villes espagnoles ; fondation de la première banque nationale, la Banque de Saint-Charles.

L’Amérique n’est pas oubliée ; en effet, la liberté du commerce avec les colonies est proclamée (1778), ce qui favorise le développement des échanges avec les possessions espagnoles d’outre-mer, et l’administration est améliorée par l’abolition des « encomiendas » (répartition des Indiens en groupes confiés à un propriétaire chargé de les protéger et de les évangéliser en échange de leurs services).

Bien que certains penseurs espagnols, dont Marcelino Menéndez Pelayo (1856-1912), estiment que le règne de Charles III a dénaturé complètement l’esprit de la civilisation espagnole et brisé l’élan qui, au cours des siècles précédents, avait mené le pays au pinacle dans le domaine des lettres, de la pensée et des arts, il faut souligner que le bilan des réalisations de ce souverain est positif, puisqu’il se solde par la mise en marche des activités de tous ordres et par l’abandon de la politique antiéconomique qui conduisait le pays à la ruine. Mais ce renouveau est dû exclusivement au monarque et à une petite élite, et les successeurs de Charles III ne sauront pas poursuivre l’œuvre entreprise.

R. G.-P.

 V. Rodríguez Casado, Política interior de Carlos III (Valladolid, 1950) ; La política y los políticos en el reinado de Carlos III (Madrid, 1962). / L. Sánchez Agesta, El pensamiento políticó del despotismo ilustrado (Madrid, 1953). / M. García Puertas, Jovellanos (Montevideo, 1954). / P. Voltes Bou, Carlos III y su tiempo (Barcelone, 1964). / J. Prados Arrarte, Jovellanos economista (Madrid, 1967).

Charles IV

(Portici, près de Naples, 1748 - Rome 1819), roi d’Espagne (1788-1808).


Fils de Charles III et de Marie-Amélie de Saxe (1724-1760), Charles IV succède à son père sur le trône d’Espagne à l’âge de quarante ans. De constitution robuste, mais de caractère faible, il ne connaît rien aux affaires de la nation, Charles III l’en ayant toujours écarté. Le début de son règne se déroule parallèlement à la Révolution française. José Moñino, comte de Floridablanca (1728-1808), qui reste à la tête du gouvernement sur le conseil du roi défunt, essaie de soustraire l’Espagne aux idées révolutionnaires. En 1792, à l’instigation de la reine Marie-Louise de Parme (1754-1819), épouse de Charles IV, il est renversé et remplacé par le comte d’Aranda (1719-1798). Ce dernier préconise la neutralité armée face à la Révolution. Sa chute (nov. 1792) marque une rupture complète avec le despotisme éclairé qui a inspiré l’époque précédente.


Le gouvernement de Manuel Godoy

Manuel Godoy (1767-1851) prend la suite du Premier ministre discrédité. C’est un jeune homme qui, en trois ans, a su passer de la condition de garde du corps à celle de personnage le plus influent du royaume. Tout en étant l’amant de la reine, il jouit de l’amitié et de la confiance du souverain. L’exécution de Louis XVI pousse l’Espagne à déclarer la guerre à la République française (1793-1795). Les succès remportés par l’armée espagnole placée sous le commandement du général Antonio Ricardos (1727-1794), notamment la conquête du Roussillon (1793), sont annulés par les échecs subis au cours des années ultérieures (occupation par la France de Saint-Sébastien, Bilbao, Vitoria et Tolosa). Le conflit se termine par la paix de Bâle (1795), aux termes de laquelle l’Espagne recouvre tous les territoires qui lui ont été enlevés et accorde en échange quelques avantages économiques et la partie espagnole de Saint-Domingue à la France. L’intervention de Godoy lui vaut le surnom de « Prince de la paix ».

La politique du Premier ministre est, dès lors, dictée par la France, et, en 1796, l’alliance de San Ildefonso est contractée avec le Directoire. Les attaques perpétrées par l’Angleterre contre les colonies américaines incitent l’Espagne à participer à la guerre que mène la France contre l’Empire britannique. La flotte espagnole est battue au cap Saint-Vincent (Portugal), l’île antillaise de la Trinité perdue (1797). Minorque de nouveau occupée (1798) et la Louisiane rétrocédée à Napoléon (1800). Les défaites et le blocus des colonies espagnoles par les Anglais portent un coup sérieux au commerce avec les pays d’outre-mer. Godoy, n’étant plus soutenu par la France, en est réduit à présenter sa démission (1798).

Ses successeurs tentent en vain de se libérer de l’emprise française, mais Napoléon Ier entraîne Charles IV dans la « guerre des Oranges », qu’il livre contre le Portugal, allié naturel de l’Angleterre. Godoy, qui a repris le pouvoir (1800), est nommé généralissime. La paix d’Amiens (1802) met fin aux hostilités. Les Anglais doivent restituer Minorque, mais conservent la Trinité.