Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chaplin (sir Charles Spencer) (suite)

À partir de 1918 (Une vie de chien), Chaplin commence à percer sous Charlot. Sans abandonner ce qui a fait sa célébrité, son côté à la fois fruste et sensible, maladroit et astucieux, goujat et magnanime, anarchiste et redresseur de torts, le personnage commence à s’étoffer. Les poursuites endiablées et les coups de pied au derrière demeurent l’apanage de ce Roméo qui aimerait parfois se faire prendre pour don Juan. Mais la marionnette n’est pas dépourvue d’âme ni de sentiments. Prisonnier de son propre mythe, Chaplin essaie même de se débarrasser de Charlot dans l’Opinion publique, mais l’insuccès l’oblige à renouer avec la tradition. À la même époque, un événement survient qui aura des conséquences amères : Charles Chaplin est compromis dans un scandale que les échotiers s’empressent d’amplifier. Lita Grey, qu’il avait épousée secrètement en 1925, entame une tapageuse action en divorce, cherchant à ruiner le crédit de l’acteur, qui a toutes les peines du monde à terminer son nouveau film (le Cirque). Déjà une partie de l’opinion américaine est déchaînée contre celui que les ligues de la décence accusent de « vilenies sordides ». Chaplin laisse passer l’orage et entreprend non sans difficultés les Lumières de la ville. Il réagit avec quelque amertume devant la vogue du cinéma parlant, qui « détruit toute la technique que nous avons acquise ». Et encore : « Les Talkies ?... vous pouvez dire que je les déteste. Ils viennent gâcher l’art le plus ancien du monde, l’art de la pantomime. Ils anéantissent la grande beauté du silence. » Son œuvre, d’abord essentiellement burlesque, s’est peu à peu encombrée d’une sentimentalité que d’aucuns lui reprocheront violemment. (On se souvient de la phrase vengeresse d’André Suarès : « Ce cœur ignoble de Charlot, je voudrais l’écraser comme une punaise. ») À partir des années 30, elle évolue vers la satire. Satire contre l’aliénation du travail, la taylorisation de l’ouvrier dans les Temps modernes, satire prophétique contre le fascisme allemand dans le Dictateur (dont le scénario fut écrit dès 1938). Les attaques contre sa vie privée redoublent à l’occasion de son remariage avec Paulette Goddard : ses idées politiques, sociales et philosophiques sont brocardées. La sortie de Monsieur Verdoux déchaîne contre Chaplin l’opinion américaine. On parle de « l’intolérable ingérence dans les affaires américaines d’un étranger établi sur notre sol depuis trente-cinq ans, bien connu pour sa turpitude morale, ses énormes dettes, sa lâche attitude pendant les deux guerres mondiales et sa collusion avouée avec les communistes ». Le 18 septembre 1952, Chaplin et sa quatrième femme Oona O’Neill s’embarquent sans espoir de retour à destination de l’Europe, où Limelight est accueilli avec enthousiasme. Désormais, Charles Chaplin ne quitte plus guère sa semi-retraite au bord du lac Léman. En 1957, puis en 1965, il reprend le chemin des studios pour réaliser deux films qui apparaissent dans sa carrière comme des œuvres relativement mineures : Un roi à New York et la Comtesse de Hong Kong. En 1964, il publie ses Mémoires (Histoire de ma vie). Bien que de nos jours l’œuvre longtemps méconnue d’un Buster Keaton semble avoir sans nul doute autant d’importance que celle de Chaplin, il n’en reste pas moins vrai que ce dernier, à la fois comme réalisateur et comme acteur, a pris depuis longtemps place parmi les figures majeures du septième art.

J.-L. P.

 L. Delluc, Charlot (Éd. de Brunhoff, 1921). / R. Florey, Charlie Chaplin (J. Pascal, 1927). / H. Poulaille, Charlie Chaplin (Grasset, 1927). / P. Soupault, Charlot (Plon, 1931 ; rééd., 1957). / P. Tyler, Chaplin : Last of the Clowns (New York, 1948). / P. Cotes et T. Nicklaus, The little Fellow (Londres, 1951). / T. Huff, Charlie Chaplin (New York, 1951 ; trad. fr., Gallimard, 1953). / R. Payne, The Great Charlie (Londres, 1952). / G. Sadoul, Vie de Charlot (Édit. fr. réunis, 1952 ; rééd., 1957). / J. A. França, Chaplin le « Self mode Myth » (Lisbonne, 1954). / R. J. Minney, Chaplin : The Immortal Tramp (Londres, 1954). / G. Viazzi, Chaplin e la critica (Bari, 1955). / P. Leprohon, Charles Chaplin (Debresse, 1957 ; nouv. éd., A. Bonne, 1970). / J. Mitry, Charlot et la « fabulation » chaplinesque (Éd. universitaires, 1957) ; Tout Chaplin (Seghers, 1972). / B. Amengual, Charlie Chaplin (Serdoc, Lyon, 1963). / C. Chaplin, My Autobiography (Londres, 1964 ; trad. fr. Histoire de ma vie, Laffont, 1964). / M. Martin, Charlie Chaplin (Seghers, 1966). / I. Quigly, Charlie Chaplin (Londres, 1968). / M. Bessy et R. Livio, Charlie Chaplin (Denoël, 1972).

Jalons biographiques

1889

Naissance le 16 avril de Charles Spencer à Londres. Son père Charles Chaplin senior est un chanteur de genre, sa mère Hannah Dryden une comédienne qui avait appartenu à la troupe d’opérettes de Gilbert et Sullivan.

1894

Débuts au music-hall.

1896

Charlie Chaplin et son demi-frère Sydney sont envoyés dans un asile d’orphelins, à Ealing, à l’ouest de Londres, leur mère ayant dû être hospitalisée.

1898

Engagement dans la troupe des Eight Lancashire Lads.

1901

Nombreuses tournées théâtrales en province.

1907

Engagement dans la compagnie de Fred Karno, fameux « producer » de pantomimes.

1910

Tournée aux États-Unis et au Canada avec la troupe Karno (il gagne alors 50 dollars par semaine).

1912

Nouvelle tournée aux États-Unis, où Charlie Chaplin se voit offrir un contrat pour le cinéma par Adam Kessel, vice-président de la Keystone. Il refuse.

1913

À la suite d’une nouvelle offre, Charlie Chaplin quitte définitivement la troupe Karno et signe un contrat avec la Keystone.

1914

Tournage de son premier film, Pour gagner sa vie (Making a Living), dont le réalisateur est Henry « Pathé » Lehrman. Chaplin tourne de nombreux autres petits films pour la Keystone sous la direction de H. P. Lehrman, puis sous celle de Mack Sennett, enfin sous la sienne propre (ses premiers films en tant que metteur en scène sont Charlot garçon de café [Caught in a Cabaret] et Un béguin de Charlot [Caught in the Rain]). En novembre est réalisé le Roman comique de Charlot et de Lolotte (Tillie’s Punctured Romance), film de 6 bobines de Mack Sennett. Il a comme principale partenaire Mabel Normand.

1915