Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

chanteurs et chanteuses (suite)

Le style scat

Louis Armstrong raconte qu’il inventa le style scat en enregistrant Heebies Jeebies (1926) : ayant perdu le texte du refrain, il substitua alors aux paroles des onomatopées choisies pour leur valeur phonétique et rythmique. Ainsi découvrit-il un mode d’expression qui procure une grande liberté pour improviser et pour imiter le jeu des instrumentistes. Les spécialistes du scat, en conséquence, suivent assez fidèlement révolution du style des solistes instrumentaux.

Parmi eux citons : Louis Armstrong, Joe Carroll, Cab Calloway, Richard Boone, Dizzy Gillespie, Leo Watson, Slim Gaillard, Jon Hendricks, Dave Lambert, Babs Gonzales, Leon Thomas, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan.


1930-1945
Les grands orchestres trouvent leurs voix

La popularité des grands orchestres, indissociable du goût du public pour la danse et le spectaculaire, détermina et favorisa une exceptionnelle multiplication de chanteurs. Le refrain chanté (burlesque ou « de charme ») était devenu une sorte de tradition ; cette parenthèse vocale permettait aux grandes formations d’« apprivoiser » un public plus vaste que celui constitué par les seuls amateurs de jazz. D’intéressantes personnalités se révélèrent : le chanteur chef d’orchestre Cab Calloway, novateur du langage et initiateur du phénomène « zazou », Mildred Bailey (chez Red Norvo), Bing Crosby (chez Paul Whiteman), Ivie Anderson, Adelaide Hall, Kay Davis, Joya Sherrill, Betty Roche, Herb Jeffries, Al Hibbler (chez Duke Ellington), Helen Humes, Jimmy Rushing, Joe Williams (chez Count Basie), Dan Grisson (chez Jimmie Lunceford), Helen Forrest (chez Artie Shaw), Ella Fitzgerald (chez Chick Webb), Martha Tilton, Peggy Lee, Helen Ward (chez Benny Goodman), Frank Sinatra (chez Tommy Dorsey puis Harry James), Bob Eberley (chez Jimmy Dorsey), Kay Starr et Lena Horne (chez Charlie Barnet), Dinah Washington (chez Lionel Hampton), June Christy et Ann Richards (chez Stan Kenton), Anita O’Day (chez Gene Krupa), Sarah Vaughan (chez Earl Hines), Doris Day (chez Les Brown), Billy Eckstine (avec son orchestre). Pendant toute cette période, Duke Ellington fut sans conteste le plus audacieux utilisateur d’éléments vocaux, et surtout celui qui sut le mieux les intégrer à son œuvre. Dans quelques-unes de ses compositions, la voix devint un nouvel et parfois étrange instrument, responsable de couleurs sonores et de climats littéralement inouïs, à l’époque, dans l’univers musical négro-américain.

Dans l’ensemble, cependant, la formule du grand orchestre (sauf dans le cas de Cab Calloway, qui utilisait son orchestre comme tremplin de ses propres improvisations vocales) étouffait, occultait la personnalité — lorsqu’elle existait — des vocalistes. Ceux qui réussirent à s’imposer et à définir leur style dans de tels contextes apparaissent aujourd’hui d’autant plus remarquables ; Bing Crosby et Frank Sinatra pour la romance (les crooners), Ella Fitzgerald, Billie Holiday, Dinah Washington et Sarah Vaughan pour le jazz devaient assurer leur réputation naissante et se libérer des contraintes du conditionnement orchestral.

Avec Leo Watson (au début des années 30), mais surtout Fats Waller, le chanteur de jazz devient l’animateur, le catalyseur dont dépend tout le développement d’une œuvre, quel qu’en soit le degré d’improvisation. Il n’est plus le comparse effacé chargé d’amuser le profane : l’instrumental doit mettre en valeur le vocal et s’organiser au gré de sa fantaisie. Fats Waller peut être considéré, avec Louis Armstrong, comme l’un des rares chanteurs de jazz authentiques. Outre son humour parfois féroce, le plus remarquable de son œuvre est sans doute la parfaite complémentarité de son chant et de son discours instrumental, celui-ci commentant celui-là, ou l’inverse. Il avait l’avantage d’être son propre accompagnateur, pianiste de tout premier plan et, aussi, excellent compositeur.

En 1940, l’apogée des grands orchestres correspond au début d’une transformation décisive du style des petites formations. Billie Holiday chante en compagnie du saxophoniste Lester Young. Tous deux découvrent un cheminement neuf de la mélodie sur les harmonies, un découpage rythmique plus subtil que les riffs d’autrefois. Billie sera, avec Ella Fitzgerald, la plus grande chanteuse de jazz. Épisodiquement, à la même époque, le guitariste Slim Gaillard exploite le scat à la limite de l’absurde, tandis que Nat King Cole annonce un art tendre, délicat, presque mièvre.

Instrumentistes chanteurs

Comme Louis Armstrong, mais avec moins de succès, un grand nombre de musiciens de jazz sont aussi chanteurs. Leur style vocal ressemble évidemment à celui qu’ils pratiquent sur leur instrument. Les plus originaux furent les trombones Jack Teagarden, Kid Ory, Jimmy Harrison et Trummy Young, les trompettistes Hot Lips Page, Henry Allen, Roy Eldridge, Dizzy Gillespie, Bill Coleman, Chet Baker, Ray Nance, Cootie Williams, Jonah Jones, les chefs d’orchestre Woody Herman, Bob Crosby, Lionel Hampton, Jay McShann, Don Redman, l’organiste Jimmy Smith, le pianiste Willie Smith, le violoniste Stuff Smith.


1945-1955
Révolution ou retour aux sources ?

Le be-bop* triomphe ; le blues réapparaît. Ella Fitzgerald, la jeune fille timide qui a fait le succès de l’orchestre Chick Webb, dialogue avec les solistes du Jazz At The Philharmonic. Dinah Washington retrouve les accents du blues, qu’elle rajeunit par des harmonies modernes et un soutien rythmique plus excitant, plus varié qu’autrefois. Mais ce sera Sarah Vaughan qui donnera des thèmes de Dizzy Gillespie et Charlie Parker la plus passionnante traduction vocale, avec une maîtrise technique que n’ont pas Eddie Jefferson et King Pleasure, dont les imitations de solos instrumentaux exigent une grande virtuosité.


1955-1960
Sous le signe du « soul »

Ray Charles, « The Genius », impose sa manière : une synthèse du blues, du gospel et de l’œuvre de King Cole. Il donne le ton à la chanson populaire, aux danses nouvelles, influence l’évolution vers le rock and roll avant, lui aussi, d’accorder une place de plus en plus large aux romances. Il aura pour émule féminine Aretha Franklin (la reine de la soul music, musique de l’âme noire), tandis que le Blanc Mose Allison cherchera à combiner le blues primitif (rural) avec le style des instrumentistes be-bop. Versatile, éclectique, extraordinairement populaire et très actif, Sammy Davis Jr., lui, s’imposera comme le chanteur « à tout faire », capable d’improviser avec l’orchestre de Count Basie ou accompagné seulement par un percussionniste, de chanter les mélodies les plus sirupeuses ou d’imiter tous les grands de la chanson américaine.