Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Champagne (suite)

Déjà une révolution agricole est amorcée dans la Marne par le préfet Bourgeois de Jessaint (1800-1838), agronome et éleveur lui-même : elle est limitée ensuite dans les autres départements. Les terres irrécupérables sont converties sous le second Empire en camps militaires. Le paysan, dont les revenus restent précaires, réclame le protectionnisme, et, après 1850, les campagnes se vident. Le xixe s. est une époque de bouleversement des structures ; dans la fabrication du vin de Champagne, le haut négoce l’emporte sur le petit vigneron : c’est une des causes des manifestations sociales de 1911 ; le machinisme dans le textile tue le travail à domicile. Une grave dépression frappe d’ailleurs cette industrie de 1875 à 1900 : Sedan se sauve par la concentration, et Reims se tourne vers d’autres activités. La métallurgie de la Haute-Marne, éloignée du charbon, progresse jusque vers 1870 : ensuite c’est le déclin. La métallurgie ardennaise ne se modernisera — imparfaitement — qu’après la Première Guerre mondiale ; mais l’ouvrier-paysan fait place de plus en plus au prolétaire industriel.

Le socialisme, teinté d’anarchisme, ne touche guère que les Ardennes (J.-B. Clément). Le patron catholique Léon Harmel du Val-des-Bois, à Warmeriville, près de Reims, tente de résoudre le problème social en associant l’ouvrier à l’usine et en payant des allocations familiales. Il inspirera l’action de Léon XIII (v. catholicisme social).

Pendant tout le xixe s., la politique champenoise est modérée : la gauche libérale l’emporte généralement. Les industriels libéraux se rallient mal à Napoléon III, que, pour d’autres raisons, combat H. Taine, né à Vouziers. Sous la IIIe République, la classe moyenne montante sera radicale (Léon Bourgeois).

Malgré Sedan, où s’engloutit l’Empire, la guerre de 1870 ne s’était fait vraiment sentir que par l’occupation. Celle de 1914 laisse d’énormes destructions : 8 000 ha de « zone rouge », 117 communes détruites à plus de 50 p. 100. La reconstruction n’efface pas toutes les ruines, surtout celles de la démographie : l’activité, revenue vers 1925, s’effondre en 1929. Le sort de la campagne de 1940 se joue à nouveau à Sedan... La Champagne d’aujourd’hui, dans le cadre d’une région « Champagne-Ardenne », s’adapte aux conditions d’une économie européenne.

G. C.

Les hauts lieux de Champagne (1914-1918)

Entre la Montagne de Reims et l’Argonne, les larges plateaux crayeux au nord des vallées de la Suippe et de la Tourbe furent de 1914 à 1918 un des secteurs les plus « chauds » du front français. Jalonnée par Souain, le Trou Bricot, Perthes, Mesnil-les-Hurlus, Beauséjour et la Main de Massiges, une solide position d’arrêt avait été établie par les Allemands dès l’automne de 1914. Cherchant à tout prix la percée, les Français y déclenchèrent dès février 1915 une série d’actions locales très meurtrières avant d’en faire l’objectif de leur offensive générale du 25 septembre, qui se heurta vainement à la deuxième position allemande à la ferme de Navarin et à la butte de Tahure. Transformé en un immense bourbier chaotique, le front de Champagne fut inactif en 1916 et ne connut d’autres combats en 1917 que l’attaque de la IVe armée Anthoine sur le massif de Moronvilliers et les Monts (Cornillet, Haut, Sans-Nom, etc.), destinée à appuyer la grande offensive du Chemin des Dames. En 1918, la Champagne fut à nouveau en vedette, d’abord avec l’ultime offensive allemande du 15 juillet, de part et d’autre de Reims, qui échoua à l’est de la ville, alors totalement en ruine, devant l’habile défensive de la IVe armée Gouraud. Deux mois plus tard, celle-ci passa à son tour à l’attaque en direction de Vouziers et de Sedan, en liaison avec les Américains de Pershing, qui débouchèrent à Montfaucon du front de l’Argonne.

P. D.


L’art en Champagne

D’immenses destructions ont dévasté le champ de batailles qu’était la « marche » des anciens comtes de Champagne. Elle n’en conserve pas moins, à côté des édifices majeurs, certains types régionaux d’architecture, les églises construites en colombage de son Sud-Est forestier, les maisons de briques et de moellons de craie du Châlonnais et la vingtaine d’églises fortifiées des Ardennes, renforcées de créneaux et de mâchicoulis entre 1550 et 1650.

De son passé gallo-romain subsistent l’arc triomphal de Reims* (dit « porte de Mars ») et celui de Langres*, dont l’élégante porte du Pont de Vitry-le-François maintient le principe au xviiie s.

Du haut Moyen Âge, la Champagne conserve les cryptes de Reims (cathédrale) et de Jouarre, ainsi que la nef de l’église de Montier-en-Der, ancienne abbatiale bénédictine reconstruite à la fin du xe s. Deux édifices de grand prestige sont érigés durant la période romane : l’abbatiale Saint-Remi de Reims dans la première moitié du xie s. (admirable chœur gothique de la fin du xiie) et la collégiale Notre-Dame-en-Vaux de Châlons* vers 1130 (également dotée d’un chœur à chapelles rayonnantes et de voûtes ogivales à la fin du siècle).

Provins* a gardé son puissant donjon du xiie s. (dit « tour de César ») et ses remparts ; la superbe salle à croisées d’ogives de la Grange-aux-Dîmes date de la fin du xiie s. L’ancien donjon carré des comtes de Champagne à Chaumont (tour Hautefeuille) est du même siècle. Château-Thierry conserve son enceinte fortifiée, Givet sa citadelle de Charlemont, Crécy-en-Brie dix des tours qui assuraient sa défense. Démantelé en 1613, le château de Montaiguillon (xiiie et xve s.) montre encore des ruines imposantes.

Commencée vers 1130, la cathédrale de Sens*, à peu près contemporaine du chœur de Saint-Denis en Île-de-France, est la première des grandes cathédrales gothiques. Celle de Reims, la plus vaste des églises françaises (8 000 m2), réalise la seule expression totale de la conception architectonique du xiiie s., et son décor sculpté présente une non moins magistrale unité. Par contre, la cathédrale de Troyes*, commencée en 1208, ne reçut sa façade ouest que trois siècles plus tard ; celle de Châlons fut pareillement marquée par les interruptions de son chantier.