Écrivain et savant allemand (château de Boncourt, Champagne, 1781 - Berlin 1838).
Né en Champagne, émigré à neuf ans en Prusse avec ses parents, il fut d’abord officier, mais sans conviction. Il démissionna très jeune et vécut plusieurs années difficiles avant de se mettre à étudier la botanique (1812) et de devenir directeur adjoint du Jardin botanique de Berlin (1819).
Dès les premières années du siècle, il s’était essayé à des contes ; son fragment sur Faust avait attiré l’attention sur lui en 1803, ainsi que son récit de la légende de Fortunatus (1808), indirectement inspiré de Tieck. Plus tard, il devait composer, dans la seconde partie de sa vie, un grand nombre de poèmes, mais son nom reste attaché à une seule œuvre, un conte, qu’on donne souvent comme exemple de la manière romantique, la Merveilleuse Histoire de Peter Schlemihl (Peter Schlemihls wundersame Geschichte), qui est de 1814.
Schlemihl est naïf comme Candide, malchanceux comme l’étudiant Anselme chez E. T. A. Hoffmann ; comme le docteur Faust, il traite avec le diable et il a aussi à sa disposition les bottes de sept lieues. Mais ce qui le singularise, ce qui n’est arrivé qu’à lui, c’est de n’avoir plus d’ombre, car il l’a vendue au diable, pour que sa bourse ne soit plus jamais vide. Ce qui lui arrive après sa tractation avec l’« homme en gris », qui est le diable, n’est pas une odyssée remarquable, mais une suite de mésaventures : où qu’il apparaisse, quelqu’un s’aperçoit toujours qu’il n’a pas d’ombre, ce qui le rend non seulement étranger, mais quelque peu suspect. L’histoire n’a pas, à proprement parler, de fin, mais elle se termine assez brusquement par une fuite sans objet, comme il arrive souvent dans les histoires romantiques.
L’originalité de la trouvaille, le ton agréable du récit, le talent de l’auteur à intéresser le lecteur aux tentatives toujours nouvelles de ce jeune homme fantasque et toujours à la recherche de lui-même captivent le lecteur. Les commentateurs ont souvent cherché la clef de cette histoire, qui n’en a probablement pas : Schlemihl, comme Chamisso lui-même, est d’abord un déraciné, un jeune homme qui cherche sa patrie terrestre, qui ne peut s’attacher nulle part, car il est, en somme, devenu immatériel, puisque son corps est comme traversé par la lumière. Et puis, vendant son ombre, qui paraissait sans valeur, il a perdu l’essentiel : un bien dont on ne connaît le prix qu’après l’avoir perdu. L’auteur lui-même suggère cette interprétation quand il écrit que l’ombre d’un homme est, quoi qu’il puisse en sembler, « ce qu’il y a de solide » en lui.
Romantique du groupe de Berlin, Chamisso, après un mariage tardif et son entrée dans l’administration prussienne, a donné des poèmes et des ballades bien moins fantastiques, comme les Femmes de Wenisberg ; il a su trouver un ton simple et généreux qui l’a fait comparer à Béranger, dont il a traduit certains poèmes. Dans ses dernières années, il était le centre d’un groupe de poètes libéraux, aimables et souriants, plus près du réalisme que du fantastique.
Pourtant, il avait chaussé les bottes de sept lieues quand il avait accompagné une expédition russe de 1815 à 1818, aux confins du monde connu, à la découverte du fameux passage du Nord-Est, au nord du Kamtchatka. Dans la relation de ce voyage, il montre sa prédilection pour les mœurs du « sauvage » du Pacifique, leur bonté et leur sincérité. Devenu explorateur, Schlemihl-Chamisso demeurait utopiste, amoureux de la pureté des premiers âges, toujours à la recherche d’un ailleurs qui s’évanouissait devant ses pas.
P. G.
R. Riegei, Adelbert de Chamisso, sa vie et son œuvre (Éd. internationales, 1938). / U. Baumgartner, Adelbert von Chamissos Peter Schlemihl (Leipzig, 1944).