Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Cavour (Camillo Benso, comte de) (suite)

L’année 1859 commence par les paroles quelque peu sibyllines qu’adresse l’empereur à l’ambassadeur d’Autriche lors de la réception du corps diplomatique le 1er janvier et par le passage terminal, beaucoup plus clair, du discours du trône prononcé par Victor-Emmanuel à la réouverture du Parlement de Turin. « En même temps que nous respectons les traités — déclare avec vigueur le roi —, nous ne sommes pas insensibles au cri de douleur qui, de tant de parties de l’Italie, se lève vers nous. » Peu de jours après se produit un événement qui sanctionne par une alliance de famille l’accord politique conclu : le prince Jérôme Napoléon, cousin de l’empereur, vient à Turin demander la main de la fille aînée du roi de Sardaigne, la princesse Clotilde, et le prince signe, au nom de Napoléon III, le traité d’alliance qui stabilise les accords verbaux de Plombières.

L’Autriche commence alors à se prémunir elle-même et envoie un nouveau corps d’armée le long des frontières du Piémont. De son côté, Cavour demande au Parlement un crédit extraordinaire de 50 millions et invite Garibaldi à constituer un corps de volontaires, les chasseurs des Alpes. Devant le Parlement, il insiste toutefois sur le fait que le traité conclu avec la France est purement défensif et que celle-ci ne viendra au secours du Piémont que si l’Autriche l’attaque. Il lui faut donc manœuvrer pour que cette attaque se produise.

Ce n’est pas facile. La cour des Tuileries, et surtout l’impératrice Eugénie, espagnole toute dévouée au pape-roi, est peu favorable à l’émancipation de l’Italie ; Waleswski lui-même s’y montre contraire ; l’opinion publique demeure indifférente et plutôt hostile ; Napoléon III hésite. Le gouvernement anglais, tenu par les conservateurs et en rapports étroits avec Vienne, envoie alors son ambassadeur à Paris pour chercher à aplanir le désaccord franco-autrichien ; mais l’Autriche demeure méfiante et continue ses armements, imitée par Cavour, qui, de son côté, fait appel à des volontaires de toutes les régions italiennes. En mars, la Russie intervient à son tour pour proposer de soumettre la question à un congrès. L’Autriche en accepte l’idée à condition que toute discussion de changements territoriaux en soit exclue et qu’avant sa réunion le Piémont désarme. Ç’aurait été rendre vaine l’alliance franco-sarde.

Cependant, Napoléon III ne rejette pas, afin de gagner du temps, l’idée d’un congrès et appelle Cavour à Paris (25 mars) pour tenter de la lui faire admettre. Mais rien ne peut entamer la résolution du grand ministre : celui-ci déclare à l’empereur qu’au besoin le Piémont combattra seul. Cavour demeure très inquiet devant les hésitations de l’allié sur qui compte son pays. Comment l’obliger à respecter ses engagements ? Il décide de pousser à bout l’Autriche en lui proposant des transactions sans portée qui doivent la rendre provocatrice. Le stratagème réussit. À Vienne, l’élément militaire, toujours prédominant, pousse à la guerre, que le jeune empereur — François-Joseph a vingt-neuf ans —, plein du souvenir des succès autrichiens de 1848-49, redoute moins que personne. Les piqûres d’épingle du petit Piémont l’exaspèrent. Espérant réduire celui-ci avant que les Français n’interviennent, il prend en main directement la question primordiale du désarmement préalable et fait remettre à Turin, par un envoyé spécial, une demande formelle d’y procéder promptement, en exigeant une réponse sous trois jours. Pareil ultimatum équivaut à une déclaration de guerre. Cavour, qui, peu auparavant, songeait au suicide, le reçoit le 23 avril avec un transport de joie ; il le repousse le 26, tandis que les premiers régiments français débarquent à Gênes. En rejoignant l’armée en mai, le général La Marmora, ministre de la Guerre, laisse son ministère à Cavour, qui a déjà le portefeuille des Affaires étrangères et celui de l’Intérieur (il a succédé à Rattazzi, démissionnaire en janvier 1858). Tout le poids du gouvernement va pratiquement reposer sur Cavour seul.


La campagne d’Italie

Les premiers succès des armes franco-sardes à Montebello et à Palestro, de Garibaldi à Varèse et à San Fermo rendent tout de suite confiance aux Italiens dans l’issue de la lutte. Après la grande victoire de Magenta et l’entrée triomphale des deux souverains à Milan le 8 juin, Victor-Emmanuel appelle auprès de lui Cavour pour l’associer à un succès qui, à maints égards, est essentiellement son œuvre. Le 9 juin, les Milanais lui font le même accueil enthousiaste. Continuant sa marche en avant, l’armée franco-piémontaise rejoint les Autrichiens le 24 et engage la sanglante bataille de Solferino, aux abords de Vérone. Malgré l’importance de la nouvelle victoire remportée sur l’ennemi. Napoléon III est inquiet des nouvelles reçues de Paris et, dès le lendemain, mande Cavour au camp pour lui interdire de rien laisser entreprendre contre la province frontière des Marches, territoire pontifical.

Puis c’est, le 12 juillet, le coup de tonnerre de l’armistice de Villafranca, conclu entre les deux empereurs à l’insu de Victor-Emmanuel. Cavour, désespéré, arrive en hâte de Turin. Tout son plan paraît s’écrouler, bien que la cession par l’Autriche de la Lombardie à la France, qui rétrocède celle-ci au Piémont, soit déjà un immense avantage. Le roi, bien qu’humilié, l’a compris. Mais Cavour, en rencontrant le souverain à Monzambano, est toujours si indigné contre Napoléon III et contre ce qu’il considère comme la faiblesse de Victor-Emmanuel lui-même qu’il s’oublie jusqu’à lui manquer de respect et lui remet sur l’heure sa démission. Il se rend ensuite à Leri, et de là en Savoie, puis en Suisse, laissant le terrain libre au nouveau ministère formé par le général La Marmora avec Rattazzi comme ministre de l’Intérieur.

Toutefois, le terrain où s’est engagé Napoléon III est une pente glissante, qu’il n’a pas prévue. Le grand-duc Léopold II a abandonné la Toscane le 27 avril ; le prince Jérôme Napoléon, qui a débarqué avec des forces destinées théoriquement à contenir les Autrichiens au sud, s’est tout de suite rendu compte que l’idée d’en empêcher la réunion au Piémont est absolument utopique, et il a même secondé le mouvement émancipateur déclenché par Ricasoli et les patriotes toscans qui l’entourent. Encouragé par cette constatation, Cavour reprend cœur et, rentré à Turin à la fin d’août, résolu à seconder même les éléments avancés rassemblés notamment par la Société nationale tout en les contenant contre tout excès, il attend le développement prévisible de la situation. À l’intérieur, Rattazzi se révèle incapable de résister à l’extrême gauche et, malgré l’appui de l’Angleterre, qu’inquiètent les succès français, de tenir tête à Napoléon III ; il donne sa démission (janv. 1860) sous la pression de l’opinion publique, qui n’a confiance qu’en Cavour.