Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Cavour (Camillo Benso, comte de) (suite)

Cette année 1855 va, en revanche, créer à Cavour des difficultés nouvelles sur le plan intérieur, du fait de l’opposition des milieux cléricaux à la suppression de nombreuses congrégations religieuses votée par la Chambre, mais déplaisant à une partie du Sénat. Le roi Victor-Emmanuel est atteint à ce moment par une série de deuils familiaux. Le parti clérical réussit alors à troubler la conscience du souverain en lui faisant voir dans ces malheurs une punition divine. À la sollicitation secrète de Victor-Emmanuel, le sénateur Calabiana, évêque de Casale Monferrato, au nom de l’épiscopat, offre de contribuer, par la somme importante de 928 000 lires, aux besoins du Trésor, pourvu que la loi soit retirée. Le roi agrée cette proposition, mais Cavour ne veut pas l’admettre et donne sa démission.

Il en résulte dans le pays une très vive agitation, qui décide Massimo d’Azeglio à représenter au roi les risques qu’il court. Cavour est rappelé à la présidence du gouvernement et, en mai, la loi, légèrement amendée, est approuvée également par le Sénat. Vers la fin de l’année, Victor-Emmanuel et Cavour visitent ensemble la France et l’Angleterre, et sont accueillis dans les deux pays par de chaleureuses démonstrations de sympathie.

La Russie ayant accepté la médiation de l’Autriche, très désireuse de mettre une fin honorable à la guerre, la conclusion de la paix est confiée à un congrès qui doit se tenir à Paris en mars 1856. Cavour n’en augure rien de bon pour le Piémont et s’y rend de très mauvais gré. Mais il a tant d’accointances dans le monde diplomatique, il déploie en dehors des séances — où il observe volontairement une attitude modeste — une telle activité pour gagner des sympathies à la cause italienne qu’à défaut d’avantages positifs comme ceux que Napoléon III aurait voulu assurer au Piémont par l’acquisition des duchés de Parme et de Modène, à quoi l’Autriche s’oppose résolument, il obtient du moins de l’empereur qu’à la fin du congrès son président, le ministre des Affaires étrangères, le comte Walewski, soulève la question italienne. Bien que, personnellement, peu favorable aux ambitions piémontaises, Walewski le fait avec habileté et décision. Après lui, le ministre anglais Clarendon entame un procès en règle des détestables conditions d’existence imposées aux populations de l’État pontifical et du royaume de Naples, conditions si mauvaises qu’elles sont dangereuses pour la paix de l’Europe. Les représentants de l’Autriche objectent alors que la question italienne n’est pas à l’ordre du jour de la conférence et qu’ils n’ont aucun pouvoir pour la traiter. Prenant la parole en dernier lieu, Cavour en convient, mais observe qu’il a néanmoins le devoir d’exposer qu’en dehors même des difficultés propres au Piémont les populations de la péninsule demeurent assujetties à un état permanent d’agitation révolutionnaire par le refus étroit et brutal que de mauvais gouvernements opposent à toute réforme et qu’afin de leur complaire l’Autriche elle-même a dépassé les limites de ses propres domaines pour s’avancer jusqu’à Ancône dans l’État pontifical et à Plaisance dans le duché de Parme.

Le congrès se termine par une déclaration signée par l’Autriche et la France, souhaitant que les garnisons autrichienne et française évacuent les territoires de l’Église aussitôt qu’ils pourront le faire sans mettre en péril la souveraineté du pape ; par ailleurs, la majorité des plénipotentiaires reconnaît l’utilité d’un régime moins sévère dans les gouvernements italiens, principalement celui des Deux-Siciles. Avant de quitter Paris, Cavour remet au comte Walewski et à lord Clarendon un mémoire beaucoup plus explicite, où il souligne que l’opposition de l’Autriche empêche seule qu’il soit apporté un remède aux maux dont souffre l’Italie et que le Piémont demeure seul indemne d’esprit révolutionnaire grâce au libéralisme qui lui permet de se soustraire aux influences autrichiennes. Dans ses conversations privées avec l’empereur Napoléon III, il est allé plus loin encore et l’a persuadé que la guerre contre l’Autriche représente l’unique moyen de résoudre la question italienne. Rentré à Turin, le ministre y reçoit du Parlement et de la population un accueil triomphal.


Pour l’unité italienne

Durant les trois années suivantes, Cavour hâte les travaux qui peuvent aider le Piémont à soutenir un conflit armé : percement du mont Cenis, reconstruction des fortifications d’Alexandrie, création d’un grand arsenal à La Spezia, etc. De son côté, l’Autriche se résout à changer de politique et à user de la manière douce vis-à-vis de ses sujets lombardo-vénètes. Les prisonniers politiques bénéficient d’une amnistie, le séquestre est levé sur les biens des émigrés en Piémont, le jeune empereur François-Joseph vient en personne visiter ses domaines italiens et remplace comme gouverneur le vieux maréchal Radetzky par son frère l’archiduc Maximilien, prince loyal et bon, qui, en d’autres circonstances, aurait gagné toutes les sympathies. Mais rien ne peut plus effacer le passé ni modifier l’avenir souhaité par tout un peuple. Les rapports austro-piémontais ne cessent de se tendre, et, en 1857, Vienne prend elle-même l’initiative de rompre complètement les relations diplomatiques avec Turin, qui, depuis 1853, n’étaient plus assurées que par des chargés d’affaires. À l’intérieur, Cavour encourage la formation, par Giorgio Pallavicino et Giuseppe La Farina, d’une Société nationale ayant pour but de propager à travers l’Italie entière l’idée de la libération de tout joug étranger par le ralliement au Piémont, seul doté d’une dynastie nationale. En même temps, il décide de faire appel à Garibaldi, déjà célèbre par ses exploits guerriers en Amérique latine et la part qu’il a prise à la campagne de 1848, pour qu’il épaule officieusement les entreprises du gouvernement royal.

La clef de la situation demeure à Paris. En janvier 1858, l’attentat du mazzinien Orsini contre Napoléon III manque compromettre tous les plans de Cavour. Mazzini, réfugié à Londres, d’où il continue d’ourdir toutes sortes de conjurations vouées à l’échec pour réaliser son rêve d’une Italie républicaine et unitaire, a, cette fois, frôlé une victoire à la Pyrrhus, qui, bien loin de hâter l’unité italienne, l’aurait retardée sine die si l’empereur des Français avait péri. Heureusement, Napoléon III est sorti indemne de l’attentat. Orsini, avant son exécution, écrit à l’empereur une lettre très digne, où il le supplie de penser au destin de l’Italie ; cette demande touche Napoléon III, qui en permet la publication. De son côté, Cavour s’en autorise pour lui démontrer qu’il est désormais impossible d’empêcher la continuation des soulèvements en Italie et — sans un changement éclatant de la politique française — d’éteindre la rancune des patriotes italiens contre le souverain, qui, en 1849, a étouffé la république romaine. Napoléon est convaincu. En juin, il envoie secrètement à Turin son ami le docteur Conneau prier Cavour de venir le rejoindre à Plombières, où, le 21 juillet 1858, sont établies les bases de l’accord qui doit conduire à éliminer l’Autriche des terres italiennes. Pour l’heure, il s’agit simplement de constituer en faveur du Piémont un royaume de l’Italie du Nord atteignant l’Adriatique contre la rétrocession à la France de la Savoie et du comté de Nice en échange de son appui armé.